Que l’on n’aille pas imaginer à la lueur de ce titre un film égrillard. Au contraire : si un film pouvait dissuader de recourir à la pornographie, ce pourrait être celui-ci. Le titre original japonais rend mieux compte des intentions de Shohei Imamura : Introduction à l’anthropologie au travers de pornographes. Il s’agit à nouveau pour le cinéaste, après Cochons et cuirassés (1961) et La Femme Insecte (1963), d’ausculter la société japonaise et ses pulsions, d’en faire une coupe immobile à un moment donné, dans un milieu donné – d’où ces plans qui se figent parfois.
Le film raconte les tribulations d’Ogata (Shoichi Ozawa), un cinéaste de films érotiques ou pornographiques à Osaka en 1966, qui sert à l’occasion d’entremetteur. Compagnon d’Haru (Sumiko Sakamato), une aimable veuve gérant un salon de coiffure, il se trouve écartelé entre les exigences de ses clients, ses besoins d’argent, le racket des yakusa du quartier, son attirance pour sa belle-fille, sa conscience qui l’amène de temps à autre à expier dans un temple bouddhiste sans résultat visible. Comme à l’accoutumée chez Imamura, la composition des plans, d’une extrême précision, exprime le sujet du film. Les personnages sont presque toujours vus à travers une fenêtre, une embrasure de porte, des barreaux, un aquarium même, ce qui met le spectateur dans une position de voyeur prenant les personnages sur le fait, quoique ne voyant qu’une partie de l’action, que des parcelles de corps, que des bris de désirs. Telle que représentée par Imamura, Osaka apparaît comme une ville surpeuplée où d’irrépressibles pulsions sexuelles font la loi, Ogata suivant les demandes du marché : qui demande une fille vierge pour assouvir un vieux fantasme, qui amène sa propre fille handicapée pour tourner un film érotique, qui préfère les partouzes. Imamura ne montre presque rien et a recours à la suggestion, mais à mille yeux de l’érotisme tant tout ici est marchandage rance et empressement maladroit.
Ogata a l’air de se faire des illusions sur son compte. Il porte volontiers des jugements sur le temps présent, sur cette jeunesse soi-disant sans repère et sans morale. Il s’imagine humaniste répondant à des exigences physiologiques de l’homme. Mais il ne se rend pas compte que le caractère inavouable de son commerce reflète ses propres pulsions. Surtout, ce qu’il prend pour la liberté de créer se paie du prix de la marchandisation progressive des corps, de tous les corps. Il n’est pire misanthrope que celui qui veut échapper à la juridiction de son jugement. Keiko, sa belle-fille, Koichi, son beau-fils, paraissent dénués de toute morale, elle utilisant son corps comme monnaie d’échange, lui volant sa propre mère. Mais comment leur reprocher quoi que ce soit avec un beau-père pareil, aux velléités incestueuses ? Leur mère est pourtant admirable : comme dans les précédents films d’Imamura, c’est la mère qui se sacrifie et les pulsions de l’homme qui commandent. L’homme, Imamura le rapproche une nouvelle fois de l’animal, puisque la mère croit son ancien mari réincarné dans une carpe qui la surveille dans son bocal.
Le regard d’anthropologue d’Imamura lui fait non seulement voir le présent mais aussi anticiper l’avenir. En imaginant que qu’Ogata finisse par tomber amoureux d’une poupée sexuelle artificielle, qui fera selon son bon vouloir, ce qui est l’aboutissement logique de sa fascination des corps par morceau, au mépris du vrai désir, il annonce un phénomène actuel de la société japonaise, où certains hommes, dit-on, vivent avec des poupées en silicone plutôt qu’avec des femmes. Malgré cette prescience du cinéaste et son impressionnante maitrise cinématographique (celle d’un maître faisant naître le fond dans le creuset de la forme), Le Pornographe s’avère moins convaincant en tant que récit que d’autres films d’Imamura, ou plus difficile à regarder dans sa logique d’un désir sans issue, se répétant mécaniquement, jusque dans cet épilogue gigogne où l’image l’a définitivement emporté sur la réalité, la pulsion de désir du personnage ayant fini de le dissoudre, de l’emporter à la dérive. Occasionnellement, des traits d’humour noir imamuriens émaillent le récit, ainsi quand la carpe, ou le mari réincarné en carpe, proteste lorsque Ogata et Haru sont au lit. Une pierre de plus à l’édifice cinématographique érigé par ce cinéaste-sociologue assez unique en son genre. C’est le premier film co-produit à travers la société de production indépendante qu’il créa en 1965.
Strum
Il ne fait pas très envie ton pornographe.
J’ai cherché Gervaise (revu hier en replay) de René Clément et La nuit des forbans (vu avant hier) sur ce blog mais je ne les ai pas trouvés.
Gervaise est un monument.
La nuit m’a déçue… c’est un coffret Gene Tierney et elle doit apparaître un quart d’heure. Bon, je me suis UN PEU consolée avec Richard prodigieux.
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Ce n’est probablement pas le film par lequel il faut commencer pour découvrir Imamura, mais si tu as l’occasion de voir ses autres films, n’hésite pas, c’est un cinéaste prodigieux. Jamais vu Gervaise, mais j’aimerais bien. Je n’ai pas vu Les Forbans de la nuit depuis 20 ans, mais j’avais adoré le film quand je l’avais découvert, avec un incroyable Richard Widmark. C’est sûr que Gene Tierney n’y a qu’un tout petit rôle, mais le film n’est pas à voir pour elle.
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J’ai vu Pluie noire aujourd’hui (reprise au cinéma) : magnifique.
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Un très grand film ! L’un des plus beaux d’Imamura.
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