Cry Macho de Clint Eastwood : dernier arrêt

Un dernier tour de piste : de prime abord, c’est ainsi que l’on peut voir Cry Macho (2021) de Clint Eastwood. Encore un, pourrait-on croire, car les précédents films d’Eastwood ressemblaient à une cérémonie des adieux, à une tentative de rédemption. Or, l’adieu à déjà eu lieu, le glas du crépuscule a déjà sonné, Clint Eastwood s’est déjà mis de lui-même à la retraite dans Gran Torino et La Mule. Le début du film l’indique, qui montre Mike Milo, ancienne gloire du rodéo et éleveur de chevaux, renvoyé par son employeur. Ce dernier a peut-être des remords, car le voici plusieurs mois après qui confie à Mike l’improbable mission d’aller chercher son fils à Mexico, où il subirait des mains de sa mère mexicaine de mauvais traitements. C’est une manière pour Mike de payer la dette qu’il doit à cet homme qui s’est occupé de lui après l’accident de rodéo qui lui brisa le dos.

On le voit : le scénario est cousu de fil blanc et imagine une série d’échappatoires improbables. Citons, pour faire d’emblée un sort à ces réserves, la facilité avec laquelle Mike échappera aux sbires envoyés par la mère pour retrouver son fils, ces femmes si belles qui s’amourachent d’Eastwood qui a trente ans de plus que le personnage (la chose aurait été plus crédible si elles n’étaient pas si jeunes par rapport à lui), ce coq qui le sort du pétrin plus d’une fois, les personnages secondaires taillés à la serpe (comme souvent chez Eastwood du reste). Mais l’essentiel n’est pas là et comme le dit Mike, dans la vie, on finit par se rendre compte que certains détails, certains titres de gloire, n’ont pas l’importance qu’on leur prêtait au début. L’essentiel, c’est que Mike, au lieu de quitter le Mexique, y reste. Autant dire que le film s’arrête, ou plutôt qu’Eastwood lui-même l’arrête au milieu de son cours, comme si effectuant des repérages pour les besoins de la course-poursuite qu’il filmait, il avait trouvé à son goût ce village mexicain où Mike va se retirer du jeu, comme s’il s’était choisi un endroit pour finir sa vie, pour mourir confortablement. L’enfant lui devra continuer son chemin car il a encore toute sa vie à vivre alors que celle de Mike est finie – le personnage de l’enfant étant d’ailleurs assez peu approfondi comme si Eastwood s’en désintéressait un peu. Tout ceci n’est qu’une coda, comme quelque chose de rêvé par Mike/Eastwood.

Le film apparaît alors sous un jour nouveau : c’est Eastwood qui choisit de quitter sa vie d’acteur, et peut-être aussi de réalisateur, d’une façon agréable, auprès d’une belle veuve dans un petit village mexicain où il pourra soigner des animaux sans qu’on vienne lui demander des comptes, sans qu’on vienne lui rappeler son passé, tout ce qu’il a mal fait, tout ce qu’il a omis de faire. Il est trop tard pour s’occuper de nouveau de cette histoire de rédemption et de toute façon la dette due à son employeur est désormais payée. Et cela, cet arrêt terminal, Eastwood le raconte bien. Les quelques afféteries stylistiques du film, ces effets de lumière au début, cette voiture suivie par des chevaux galopant dans les champs, apparaissent alors comme les quelques ornements, pareils aux fleurs d’une procession, agrémentant ce dernier voyage et ce dernier arrêt le long de la route.

Strum

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11 commentaires pour Cry Macho de Clint Eastwood : dernier arrêt

  1. princecranoir dit :

    Joli texte, qui prend bien soin de ne pas pousser papy Clint dans les orties mais, au contraire, retient de ce film les plus attachants moments partagés. Je ne peux qu’aller dans ton sens car j’ai, avec moins d’acuité sans doute, fait de même dans mon propre article. « Cry Macho », s’il est comme beaucoup le présentent le dernier film de l’acteur (voire du réalisateur), ne sera évidemment pas celui que l’on gardera dans les anthologies, sinon pour illustrer une sortie de piste. Un baisser de rideau qui, comme tu l’as très bien écrit, a eu lieu à maintes reprises déjà, et de manière autrement plus brillante. Il y a malgré tout ce retour au western, cette terre de cocagne que tu évoques, un paradis au clair de lune de l’autre côté de la frontière tel que l’avaient naguère trouvé, pour un temps, Sam Peckinpah ou John Huston (un des modèles d’Eastwood sur lequel il fera d’ailleurs un film, et on notera l’homonymie entre l’actrice mexicaine de « Cry Macho » et le romancier auteur du « Trésor de la Sierra Madre »). Rien de commun politiquement évidemment entre Clint et bloody Sam ou même Huston, sinon une personnalité entière, un des derniers (le dernier ? ) francs tireurs du cinéma qu’on aura appris à admirer sans pour autant totalement totalement adhérer. Une somme d’éléments qui font qu’on apprécie quand même « Cry Macho ».

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    • Strum dit :

      Merci. J’ai écrit mon texte rapidement, mais je pense que tu as tout à fait raison de souligner que Clint Eastwood n’a pas choisi son lieu de retraite au hasard – même s’il ne s’agit pas pour moi d’un véritable western.

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  2. Pascale dit :

    J’ai encore une fois l’impression de lire une nécrologie. Un jour, on aura raison, mais je crois que Clint n’en a pas fini avec le cinéma.
    Pour ce film. Je dirai, pour faire vite, oublions-le.
    Et tu es généreux avec l’écart d’âge avec les filles. 30 ans auraient presque été raisonnable. Il y en a 40 avec la veuve et sans doute 50 avec la mère du jeune.

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  3. Pascale dit :

    Pardon, j’ai compris après coup. C’est Clint qui a trente ans de plus que le personnage. Désolée.
    En tout cas, ces deux relations avec deux jeunes femmes sont bien ridicules. Et quand il danse… au secours !!!

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    • Strum dit :

      Voilà. Nous sommes d’accord pour la différence d’âge avec ces dames. Pour le reste, Cry Macho est le dernier film où Eastwood se met en scène en tant qu’acteur et il est difficile de ne pas aborder le film sous cet angle; a fortiori parce que c’est l’histoire de quelqu’un qui se retire, qui s’arrête, qui se trouve un dernier lieu de vie.

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  4. Martin dit :

    Que tu me fais plaisir avec cette présentation mesurée ! Clint se fait à nouveau tomber dessus par une bonne partie de la critique, j’ai l’impression, et je crois être exactement sur la même ligne que toi : un film vraiment loin d’être parfait (mais est-ce seulement possible ?), assez éloigné de la force de certaines de ses autres réalisations-interprétations, mais qui ressemble bien au message apaisé d’un homme de son âge. Cela m’inspire… de la tendresse.

    Est-ce son dernier tour de piste ? Je l’ignore. On verra bien. C’est lui qui décidera. Et rien que cette idée est touchante, je trouve. Voilà un gars qui aura été le maître de son destin jusqu’à cet âge avancé. C’est une chance, certes, mais c’est beau aussi, je trouve, à 90 ans passés…

    Pas beaucoup d’analyse cinéma dans ce que je dis, mais bon… 😉

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  5. Valfabert dit :

    Eastwood est un revenant. On le sait depuis « L’homme des hautes plaines ». Voilà le fond de l’affaire.

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