Le Septième juré de Georges Lautner : tous coupables

A Pontarlier, dans le Doubs, Grégoire Duval (Bernard Blier), pharmacien de son état, étrangle une jeune femme connue pour ses moeurs légères, qui prenait un bain de soleil seins nus au bord d’un lac. C’est le point de départ du Septième Juré (1962) de Georges Lautner, réalisé un an avant Les Tonton flingueurs, et c’est peu dire que les deux films diffèrent, bien qu’aucun ne me convainc tout à fait. George Lautner fait ici le procès d’une certaine bourgeoisie de province, des notables d’une petite ville, qui se serrent les coudes pour protéger l’un des siens, qui pourrait par son comportement nuire à leur réputation et à leurs avantages.

L’intrigue, tirée d’un roman policier de Francis Didelot, est assez bien trouvée : Duval l’assassin est nommé juré du procès d’assise qui s’ouvre contre Sautral (Jacques Riberolles), le compagnon de la victime, un photographe mal établi. Tirant parti d’une règle de la procédure pénale autorisant un juré à intervenir, Duval va au cours du procès, grâce à d’habiles questions posées aux différents témoins, parvenir à innocenter Sautral. Mais sa conscience ne se satisfait pas de ces louables efforts et lui demande un sacrifice plus grand encore : se dénoncer, ce qui suppose que son entourage, c’est-à-dire sa femme et ses amis notables (le commissaire, le juge, etc.), prennent au sérieux ses accusations, et acceptent de payer le prix de ce scandale, qui rejaillirait sur toute la ville.

De Clouzot (par exemple dans Le Corbeau) à Chabrol (par exemple dans Le Boucher et Que la bête meure), le cinéma français a souvent rendu la bourgeoisie de province coupable de meurtres. Il l’a plus souvent encore rendue coupable de dissimulation, de déni de responsabilité, le meurtre commis devant rester secret, afin de ne pas entacher l’honneur des notables, thème qui a nourri plusieurs grands films français, et d’autres moins réussis. Le Septième juré est une variation sur ce thème et si l’idée d’un juré coupable est intéressante, la mise en scène de Lautner souligne bien trop lourdement les motifs de la narration et le sujet du film. La mise en place fait d’emblée voir là où le bât blesse : Lautner a recours à des plans à l’esthétique recherchée, qu’il s’agisse de la lumière (blanche et au bord de la surexposition) et des angles de prises de vue (plongée ou contre-plongée), que prétend ennoblir le recours aux Quatre saisons de Vivaldi (et plus précisément le concerto de L’Eté, qui devient le motif musical de la femme assassinée), et en même temps, à une voix off particulièrement envahissante, celle de Duval, qui vient à l’écran dire ses affres, sa culpabilité, son écoeurement, face à son geste, et la médiocrité de sa propre vie et de son entourage. C’est comme si Lautner tenait à bien faire savoir que cette fois il était sérieux et se déprenait vigoureusement de son ton habituel de comédie policière. Ce surcroit de signes rend impossible au début tout espèce de nuances et le jeu outré de plusieurs acteurs (Francis Blanche exécrable en procureur général, Danièle Delorme en épouse aux yeux ronds qui finit par comprendre) contribue au surlignement général. Toute la première partie du récit se ressent de cette absence de finesse, qui tient du mauvais Simenon.

Le film devient plus intéressant quand commence le procès, car la voix off disparait enfin, et la narration prend le relais. Au fur et à mesure que grandit l’inquiétude de la femme de Duval, se tisse un lien entre Sautral et Duval, le premier voulant comprendre pourquoi le pharmacien cherche à le sauver de la potence. Il y a là plus que la conscience de Duval au travail, il y a la compréhension qu’il ne veut plus de cette vie hypocrite et le regret de n’avoir pu mener une vie plus libre, exempte des contraintes et du regard de son milieu. S’il avait été moins laid, moins terne, plus courageux, peut-être aurait-il pu vivre comme Sautral, qu’il jalouse et admire au fond. Mais il a tué l’été de sa vie (cet été désormais inaccessible que fait entendre la bande-son) et désormais arrive son hiver, sans qu’il ait jamais vraiment aimé. Cet été, il l’avait tué une première fois en renonçant à un amour de jeunesse, il le tue une seconde fois à travers l’assassinat de cette jeune fille pleine de joie qui aimait la vie. Où l’on voit que ce féminicide (encore un dans le cinéma français), à la fois réel et symbolique, n’est qu’un prétexte du scénario. Il ne reste à Duval qu’à expier, mais même cela lui sera refusé par son entourage qui veut à tout pris éviter le scandale. L’attachant Maurice Biraud joue le seul des amis notables de Duval qui possède une conscience, et celle-ci lui dicte qu’ils sont tous coupables. Bertrand Blier, qui a suggéré l’idée du film à Lautner, est de tous les plans.

Strum

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Un commentaire pour Le Septième juré de Georges Lautner : tous coupables

  1. endescendantmontezdonc dit :

    Comme il n’y a encore aucun commentaire, je lance aux lecteurs habituels de ce site un défi: Nous citer un film français qui se déroule à Pontarlier. Merci d’avance.

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