The French Dispatch de Wes Anderson : un américain à Blasé-sur-Ennui

The French Dispatch (2021) est autant, sinon davantage, un hommage au cinéma français qu’une ode au journalisme américain. Le titre fait référence au supplément français imaginaire d’un journal américain, the Liberty, Kansas Evening Sun, dont la rédaction se situe à Ennui-sur-Blasé, version folklorique, cinématographique, d’Angoulême, qui publie un numéro d’adieu à la mort de son rédacteur en chef, Arthur Howitzer Jr (Bill Murray), numéro obituaire comportant trois articles et une nécrologie. Des trois articles, Anderson fait un film tandis que la nécrologie restera à écrire hors champ. C’est le temps des adieux, puisque nul ne reprendra les rênes du supplément, qui disparaîtra avec Arthur. Autant dire que cet hommage est mélancolique et tourné vers un passé disparu, celui du cinéma français d’antan décrit par Anderson dans le film. Ce n’est pas un américain à Paris, mais un américain au cinéma (français).

Bien sûr, le film se nourrit aussi de l’admiration que voue Anderson au New Yorker, chaque histoire faisant référence à des journalistes célèbres de la revue ou des personnes ayant fait l’objet d’un article : le marchand d’art Lord Duveen pour la première histoire, la journaliste Mavis Gallant pour la deuxième et James Baldwyn pour la troisième. Mais c’est bien l’idée que se fait Anderson du cinéma français qui dicte la forme de ses récits. Dans la première histoire en noir et blanc, la plus intéressante en soi, un assassin emprisonné à vie (Benicio Del Toro) devient un peintre d’art abstrait, aux destinées duquel préside un marchand d’art joué par Adrien Brody et qui tire son inspiration du corps voluptueux d’une gardienne de prison flegmatique (Lea Seydoux). Dans la deuxième, la plus faible du lot car bâtie sur une série de clichés sur des étudiants révolutionnaires en mal d’égalité, mai 1968 est revisité sous une forme picturale colorée empruntant au Godard de La Chinoise – et peut-être un peu aux premiers Carax. Dans la troisième, le journaliste a pris le pouvoir, c’est-à-dire que l’histoire vaut non pas pour le sujet du reportage, l’histoire d’un enfant enlevé, prétexte d’un hommage au Quai des Orfèvres de Clouzot (le couple formé par le commissaire joué par Mathieu Amalric et l’enfant des colonies étant le même que celui que formaient Louis Jouvet et son enfant adopté) et à la ligne claire du Tintin d’Hergé quand le film se pique d’animation. Elle vaut pour la figure du journaliste mélancolique qui est interviewé, épigone de James Baldwyn campé suavement par Jeffrey Wright.

Au fond, c’est le mouvement du film, qui part des formes de certains films français célèbres admirés par Anderson pour atterrir dans le cinéma coloré et miniature d’Anderson et en déterrer la mélancolie sous-jacente Comme dans The Grand Budapest Hotel, c’est un récit gigogne, fait d’histoires racontées à l’intérieur d’une plus grande histoire, qui célèbre un mort et dont le regard est tourné vers le passé. Ce qui fait que ce film inégal mais très plaisant, narré avec la vitesse et le don d’invention propres au cinéma du réalisateur, échappe au reproche de l’inutile et de l’empilement de clichés sur la France vue par un étranger ami – un pays où l’art compterait plus que la morale, où le sujet de l’égalité compterait plus que la paix dans les ménages et les familles, où la bonne chère serait l’aliment indispensable du corps et de l’esprit. Howitzer étant mort, et les récits étant ceux d’anciens articles, la France que convoque Anderson dans ses images miniatures n’existe pas ou plus, pas seulement parce que notre pays a beaucoup changé ces dernières décennies, mais parce qu’il n’a peut-être jamais été tel que le représente le film, où les plans s’enchainent d’ailleurs souvent par l’effet d’un travelling latéral comme dans un kaléidoscope. Et puis, le cinéma français a toujours donné à voir, lui aussi, une certaine idée de la France. C’est le goût de cette mélancolie que retiennent les papilles du spectateur à l’issue du film, qui élève du reste les qualités gustatives au rang d’art de vivre. On y retrouve la troupe d’acteurs et d’actrices qui suit désormais le cinéaste de film en film.

Strum

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9 commentaires pour The French Dispatch de Wes Anderson : un américain à Blasé-sur-Ennui

  1. Florence Régis-Oussadi dit :

    Comme vous, j’ai trouvé le film inégal avec un plus sur la première histoire et un moins sur la deuxième, gênante (l’infantilisation de mai 68) et la 3e, très émue par Jeffrey Wright que j’adore. J’ai été gênée surtout par l’empilement gratuit de stars qui me faisait sans arrêt sortir du film

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  2. Pascale dit :

    Je n’ai pas trouvé la mélancolie dont tu parles à plusieurs reprises malgré les décors, le sepia et cette espèce de nostalgie d’un Paris Angoulême fantasmé. Ennui sur blasé convient bien à ce film.
    Aucune histoire ne m’a intéressée.
    Je n’ai nullement retrouvé le merveilleux James Baldwin dans le personnage de Jeffrey Wright. Ça ne m’a même pas effleurée.
    Et s’il n’y avait eu cette foule d’acteurs (oh tiens ya machin et machine !!!) je me serais encore plus ennuyée.
    Quel foutoir !

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  3. Benjamin dit :

    On ne reprochait pas à Orson Welles les courtes apparitions de Marlene Dietrich ou de Romy Schneider dans ses films. Ce n’est vraiment pas un argument pour attaquer FRENCH DISPATCH.
    C’est un film à voir plusieurs fois et l’article est très juste.

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  4. Eliseuse dit :

    Moi, pour le coup, j’ai adoré, j’ai trouvé le récit très fin…
    C’est digne d’un Wes Anderson grandi, qui laisse ses personnages évoluer, et qui ne sont plus à l’était d’un pantin désarticulé.
    Ils réfléchissent.
    Et puis, c’est sans compter le casting incroyable ! Pour moi, c’était un des meilleurs longs-métrages de l’année

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