
Quand est évoqué La Piscine (1969) de Jacques Deray, c’est presqu’immanquablement pour parler des retrouvailles d’Alain Delon et Romy Schneider, qu’illustre un prologue où leurs corps glorieux et dorés se mêlent au bord de l’eau, étreinte d’un dieu et d’une déesse sous l’oeil des éléments, le soleil qui darde ses rayons et l’eau limpide promesse de fraicheur. C’est l’été, saison qui fait croire la jeunesse et la beauté éternelles. Pourtant, cet olympe n’est que de façade : le soleil peut se faire de plomb et l’eau peut être traitresse, comme le montre le générique où les reflets troubles de la piscine ont envahi l’espace. Cet olympe, surtout, est temporaire : cette magnifique villa près de Ramatuelle, qui surplombe Saint-Tropez, n’appartient pas à Jean-Paul (Alain Delon) et Marianne (Romy Schneider) ; elle leur a été prêtée par des amis. Ces dieux sont précaires. Marianne est journaliste et Jean-Paul, écrivain raté devenu publicitaire faute de mieux.
Cette précarité va être révélée par leur « ami » Harry (Maurice Ronet). De passage, accompagné de sa fille Penelope (Jane Birkin), il est invité par Marianne à rester quelques jours dans la villa. Harry est un de ces êtres que la réussite professionnelle a rendu indifférend aux sentiments des autres, qui s’est persuadé que sa richesse lui donne raison sur tous les sujets, et l’autorise à porter des jugements sur ceux qui ne roulent pas comme lui en Maserati. Les signes extérieurs de richesse peuvent être une morsure pire que le soleil pour certains qui furent ou sont déclassés socialement et elles le sont pour Jean-Paul qui entretient un complexe d’infériorité vis-à-vis d’Harry, qui date de leur jeunesse. Plus Harry se pavane au volant de sa Maserati (« moteur V8, 4,7 litres de cylindrée, quatre arbres à cames en tête et quatre carburateurs double corps, mon petit bonhomme« ), plus il fait rire Marianne, son ancienne maitresse, par son esprit et ses sourires, plus il parle de lui, plus Jean-Paul se sent rejeté de l’Olympe des happy fews qui ont une piscine et qui s’amusent dans les fêtes de l’année 1969, insouciantes du futur. Nul ne s’avisait alors, sans doute, que la voiture, symbole de liberté et de vie aisée, empoisonnait l’atmosphère de son dioxyde de carbone. Ce complexe de classe était déjà le sujet de Plein Soleil (1960) de René Clément, où Alain Delon et Maurice Ronet jouaient déjà des rôles assez similaires, du moins en ce qui concerne le rapport de classe, et où par jalousie, Tom Ripley assassinait un homme riche dont il voulait prendre la place. Et de tant d’autres films du cinéma français, directement ou indirectement.
Le récit scénarisé par Jean-Claude Carrière et Deray raconte avec justesse et méticulosité comment Jean-Paul prend peu à peu ombrage de l’arrivée d’Harry dans son paradis factice jusqu’à commettre l’irréparable. On devine au début du film que Marianne s’ennuie un peu de cet été au bord de la piscine, réclusion voulue par Jean-Paul, sans doute en raison de son complexe de classe et de sa peur de se comparer aux autres. Elle sous-estime ce complexe quand elle propose à Harry de rester quelques jours, montrant par là que si elle aime Jean-Paul en raison de ses fragilités mêmes, elle n’a pas encore sondé le fond de ses abîmes. Parce qu’il se sent peu à peu rejeté de ce cercle insouciant où règne le soleil, Jean-Paul se rapproche de Penelope, la fille d’Harry qui déteste son père, le soupçonnant de l’utiliser dans ses projets de conquêtes féminines. Il retrouve chez Penelope ce fond de caractère qui est le sien, où le ressentiment l’emporte sur tout. Se méprenant sur les intentions de Jean-Paul en lui prêtant une aventure avec Penelope, Marianne flirte avec Harry, en espérant ainsi provoquer une réaction chez Jean-Paul. Funeste erreur de jugement, car ce faisant elle lui fait craindre qu’il soit définitivement exclu du cercle des dieux insouciants, elle le renvoie à ses faiblesses humaines, à sa tentative de suicide qu’il lui a caché. Et Jean-Paul de s’imaginer que Marianne ne l’aime plus et va l’oublier dans les bras d’Harry, qui est si riche, qui possède une Maserati, qui est tout ce que Jean-Paul n’est pas. Quant à Harry, son côté donneur de leçon, son attitude de « monsieur je-sais-tout » dont il n’a peut-être pas tout à fait conscience, ne l’empêche nullement de se tromper lui aussi faute d’empathie pour Jean-Paul, non seulement parce qu’il croit que son ancien ami a séduit sa fille et veut s’enfuir avec elle, mais parce qu’il sous-estime aussi le venin du ressentiment, nourri au sein amer de l’humiliation.
Ainsi donc, ces dieux aux corps enluminés par le soleil ne sont pas seulement faux ou précaires, ils passent leur temps à se tromper dans leurs jugements, à se méprendre sur les intentions des autres. Humains, trop humains, insouciants, trop insouciants des autres. Trompeuse est aussi la musique de Michel Legrand aux choeurs féminins joyeux. Que se passe-t-il après le soleil, après l’été, quand les illusions de la jeunesse se sont enfuies ? C’est l’automne, c’est la retombée en dehors de l’Eden, que fait voir une évolution dans la photographie du film où les éclairages dorés du début cèdent la place à un brun automnal. C’est ce qui arrive dans la dernière partie du film où la piscine, après avoir été le symbole d’un bonheur sans nuage, après avoir été le lieu trouble de la brutalité humaine excitée par la jalousie, devient un lieu d’enfermement pour Marianne, le lieu du terrible secret qu’elle doit désormais partager avec Jean-Paul. On peut imaginer ce que le rôle de Jean-Paul avait de personnel pour Alain Delon, de révélateur de ses propres fragilités, lui qui a produit le film, imposé Romy Schneider pour incarner Marianne, et voulu interpréter un personnage cousin de celui de Plein Soleil qui l’avait révélé au grand public, avec Rocco et ses frères de Visconti. D’un simple regard de ses yeux bleux foncé, un bleu plus opaque que le bleu de la piscine, il dit beaucoup des fragilités de Jean-Paul, tandis que Maurice Ronet incarne avec un naturel confondant l’antagonisme représenté par Harry. Quant à Romy Schneider, son interprétation allait marquer un tournant dans sa carrière, annonçant ces rôles de femmes émouvantes et inquiètes, de femmes qui se sacrifient souvent pour des hommes qui n’en valent pas forcément la peine, dans les années 1970. C’est sur la foi de quelques images du film que Claude Sautet lui confia le rôle d’Hélène dans Les Choses de la vie (1970).
Strum
Un tremplin vers Sautet pour Romy, c’est bien en effet une des qualités de ce Deray. Dans mon article, j’étais resté à la surface de ces eaux troubles les qualités là où tu explores davantage les grands fonds du scénario de Jean-Claude Carrière. J’y voyais une assemblée de grands fauves là où tu les assimiles à des faux dieux (il est vrai que Delon a tout d’un Apollon).
Il va sans dire qu’on sort de cette lecture rafraîchissante avec l’envie nouvelle de piquer une tête.
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Merci ! Une sacrée distribution effectivement. Profite-bien de ton été.
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Merci, toi également
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On s’y croirait Strum, surtout en ces temps de canicule 😀
C’est le meilleur film de Deray, il faut dire qu’il a su s’entourer, entre Carrière et son casting cinq étoiles (où chacun des quatre acteurs est parfait dans son rôle), il a mis tous les atouts de son côté.
On voit un Delon impérial, fragile et dérangé plus que dans Plein soleil à mon avis où Ripley est beaucoup plus raisonné et manipulateur que ne l’est Jean-Paul. Un grand film.
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Merci. C’est vrai que Delon apparait ici plus fragile que dans Plein Soleil où son Ripley était un carnassier froid qui ne montrait pas ses failles. Ici, Delon les laisse apparaitre, et c’est d’ailleurs dans ce type de rôle qu’il est le meilleur. Des films de Deray que j’ai vu, de loin le meilleur en effet.
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C’est le film de Deray le plus « respecté » par la critique. Par ailleurs, ce réalisateur reste à mon avis un peu négligé, peut-être à cause du classicisme de sa mise en scène.
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J’ai vu peu de films de Deray mais celui-ci est de loin le plus respecté en effet. Néanmoins, sa mise en scène manque de personnalité ou plutôt de caractère personnel et c’est probablement ce qui lui est reproché.
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