
Satiriste du mode de vie américain, Billy Wilder l’est encore dans Avanti ! (1972), un de ses films tardifs, qui suit La Vie privée de Sherlock Holmes (1970) dans sa filmographie. Son héros Wendell Armbruster (Jack Lemmon), businessman américain à la tête d’une entreprise importante, contraint de venir chercher le corps de son père décédé à Ischia, en Italie, possède tous les traits, accentués par la satire, de certains américains en voyage : pénétré de sa propre importance (« I am an American citizen! »), impatient, ignorant du reste du monde, affichant des goûts douteux (le café italien déclaré très mauvais). Mais la satire s’exerce aussi ici aux dépens d’une Italie présentée comme soumise à une réglementation bureaucratique où les blocages administratifs se dénouent à coups de pots de vin et de services rendus, ce qui oblige Wendell à séjourner dans le même hôtel que son père le temps d’obtenir les autorisations nécessaires à la sortie du corps du territoire italien.
Adapté avec beaucoup de libertés d’une pièce de Samuel Taylor, le scénario est le fruit d’une nouvelle collaboration de Wilder et I.A.L Diamond, qui confrontent leur protagoniste américain excédé à la douceur de vie italienne, tirant de cet argument une série de gags déclinés durant tout le film. L’heure n’est plus cependant où Wilder provoquait, tout en le contournant, le Code Hays, que ce soit dans Certains l’aiment chaud (1959), La Garçonnière (1960) ou Embrasse-moi, idiot (1964). Dans Avanti !, le « scandale » tient à l’adultère du père, dont Wendell découvre qu’il avait une maîtresse anglaise qu’il rejoignait à Ischia tous les étés depuis 10 ans. Ce qui choque le fils ne pouvait plus choquer le spectateur de l’époque et, selon Wilder, l’échec public du film était dû à son manque d’audace, laquelle aurait commandé, toujours aux dires de Wilder, que le père ait plutôt une aventure homosexuelle.
Mais ce serait singulièrement appauvrir son cinéma que de l’analyser à la seule aune de son caractère plus ou moins provocateur. Comme tous les grands moralistes, Wilder substitue à la morale conventionnelle une autre morale, celle d’Avanti ! pouvant se résumer ainsi : on ne connaît pas son père et la pitié filiale peut contrevenir à la morale conventionnelle. Car la stupéfaction de Wendell relève de deux ordres : l’ordre satirique (Wendell aurait préféré que son père ait dix maîtresses occasionnelles plutôt que la même fréquentée pendant dix ans, ce qui révèle le caractère hypocrite du puritanisme américain qui veut par dessus tout conserver sauves les apparences) et l’ordre filial (Si Wendell est stupéfié d’apprendre que son père avait une maîtresse c’est bien parce qu’il ne le connaissait pas). En entamant une relation avec Pamela Pigott (Juliet Mills), la fille de la maîtresse de son père, non seulement il remet en question sa vision puritaine du monde (ses chaussettes noires utilisées comiquement pour cacher les seins de Pamela en étant les derniers feux), mais il fait également preuve de fidélité filiale envers son père, séduit comme lui par ce lieu si loin de sa vie organisée, comme s’il entrait (« avanti », dit le titre) dans un autre monde, cette Italie ensoleillée aux rivages bleus. Ce qui aboutit à ce paradoxe : accepter que le corps d’un émigré italien prenne la place du père dans son cercueil (pied de nez à la pompe et à l’orgueil américain car des funérailles nationales sont prévues) devient un geste moral puisqu’il permet à Armbruster Sr. de résider éternellement dans cette Ischia qu’il aimait tant aux côtés de sa maîtresse. Un gérant d’hôtel surmené (Clive Revill), auquel sont réservées de bonnes répliques (« – Quand dormez-vous ? – L’hiver »), fera tout pour aider Wendell à parvenir à ses fins
Ainsi, une histoire souterraine court sous l’intrigue de surface d’Avanti !, qui est celle de la réconciliation posthume d’un père et d’un fils à travers la réévaluation des valeurs de la vie, cette dernière pouvant être vécue de plusieurs façons. Dans ses interviews sur le film, Wilder n’en a jamais parlé, mais il n’est pas interdit de penser à la propre révélation qu’a eu le cinéaste adolescent à propos de son père quand il apprit par hasard que celui-ci avait une double vie et que le réalisateur avait un demi-frère. Cela donne à ce film sentimental, plus que de coutume chez Wilder, un caractère mélancolique et attachant qui fait pardonner un découpage moins vif qu’à la grande époque du cinéaste, un Jack Lemmon sans doute un peu âgé pour le rôle, et quelques gags moins inspirés tenant des clichés sur la Campanie (le chantage du clan Trotta) et la Sicile (le meurtre passionnelle de la femme de chambre sicilienne). C’est que le spectateur doit ici lui-même se laisser aller, se défaire de son empressement et de ses inclinations aux jugements, accepter le rythme ralenti de la dolce vita ; et puis le film reste un joli prétexte pour revoir de belles images d’Ischia et Capri.
Strum
Chouette papier, très juste, sur ce film que j’aime beaucoup, découvert en 2013 au festival de La Rochelle, dans la salle de l’Olympia qui vient de fermer après 107 ans d’existence…
http://ilaose.blogspot.com/2013/07/la-rochelle-2013-2eme-partie.html
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Merci Rémi ! Un film très attachant, avec des passages formidables, que j’ai revu avec plaisir même s’il m’a paru un peu moins rythmé que dans mes souvenirs.
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Un film que j’ai vu il y a une éternité, c’était au ciné club d’Antenne 2, lors d’un cycle Billy Wilder (c’est d’ailleurs là que j’ai découvert Wilder je crois, c’est dire).
Je n’en garde pas un bon souvenir, un fait j’en garde très peu de souvenirs ce qui n;est pas bon signe. Mais mon jugement est probablement biaisé car j’avais vu dans les semaines qui précédaient Certains l’aiment chaud (pour la première fois je crois) ou Embrasse moi idiot, Dur de rivaliser avec ça. J’irai le revoir si il repasse chez moi.
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Du point de vue du rythme, on est en effet loin de Certains l’aiment chaud, mais ce rythme alangui va bien avec le sujet du film.
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C’est un des films de Billy Wilder (par ailleurs un des mes réalisateurs préférés) que j’aime le moins. Je le trouve ronronnant, à tous les sens du terme. Avec un « logiciel » dissocié coincé dans les années 50/60 qui se résume à « 11 mois avec ma femme dans la carcan du mariage, 1 mois avec ma maîtresse sous le soleil de l’Italie ». Sauf qu’on est dans les années 70 et que les moeurs ont évolué. Alors que « Certains l’aiment chaud » était un film d’avant-garde en plus d’être une comédie étourdissante, celui-ci est en retard et se traîne, Le fait d’avoir gardé le même acteur alors qu’il aurait fallu rajeunir le casting tout autant que les comportements n’aide pas. Autant la censure lui donnait des ailes, autant la permissivité l’alanguit.
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C’est un film très sentimental, avec un rythme alangui en effet. Mais c’est ce côté très sentimental, rare chez Wilder, qui le rend attachant, même si la comédie de moeurs a moins de mordant que par le passé – quoique le personnage de diplomate à la fin…
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Elle a moins de mordant parce que qu’elle est à côté de la plaque! Prôner la reproduction du modèle paternel au début des années 70, cela m’a paru tout simplement consternant. « Avanti » est peut-être sentimental mais par conséquent ramollo et je le trouve tellement moins sensible que d’autres films de Wilder. Notamment à la condition féminine. Le personnage joué par Jack Lemmon s’épanouit effectivement dans ce modèle ce qui n’est guère étonnant car la double vie était très répandue dans les élites des anciennes générations. Mais il est difficilement crédible d’imaginer que la jeune femme puisse être heureuse de devoir partager l’homme qu’elle aime avec une autre femme et qui plus est avec un ratio de 1 mois contre 11 mois. Il y a là une inégalité criante. Si Wilder avait imaginé qu’elle aussi décide de s’offrir un extra en plus d’une relation régulière, ça aurait tout changé. Mais alors que lui a un statut très clair, elle n’en a pas, elle n’est que la fille de la maîtresse de son père dont il va faire sa propre maîtresse. Je pense qu’on touche là aux limites de ce que pouvait faire Wilder. Il était explosif dans un système patriarcal- puritain mais il faisait néanmoins partie intégrante de ce système qui l’a poursuivi par la suite. Quand on compare « Avanti » à ce qui se faisait par ailleurs au même moment du côté du nouvel Hollywood, ça fait mal. Je pense d’ailleurs que c’est pour cette même raison que Wilder n’aurait jamais pu raconter une histoire entre deux hommes contrairement à ses dires (le nouvel Hollywood n’arrivait déjà pas à le faire frontalement alors lui, n’en parlons pas!)
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A côté de la plaque, je ne sais pas, mais c’est un film où le point de vue est en effet très masculin, le personnage de la fille n’ayant aucun mot à dire, comme si la vraie histoire d’amour était entre le père et le fils plutôt qu’entre Wendell et Pamela. On peut bien sûr critiquer ce point de vue patriarcal comme vous le faites. Mais je ne suis pas sûr en revanche que comparer le film aux moeurs de l’époque ou à d’autres films du Nouvel Hollywood soit « fair ». C’est le film d’un homme déjà âgé qui se souvient peut-être de son père avec nostalgie.
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Oui, c’est bien vu, c’est une histoire d’amour entre le père et le fils d’où la femme est exclue. Et le film d’un homme d’une autre génération. Mais ce que je trouve triste, c’est que Wilder qui était plutôt progressiste et féministe se retrouve à regretter un modèle qu’il n’a cessé de conspuer lorsqu’il était monopolistique. Je ne l’aurais pas comparé au nouvel Hollywood s’il ne s’était pas lui-même placé sur le terrain des moeurs des années 70 tout en y plaquant une vision révolue des rapports hommes-femmes. Peut-être effectivement par peur de perdre définitivement son père. Mais comme c’est un cinéaste qui comptait beaucoup pour moi, j’ai ressenti une cruelle déception à la vision de ce film. Presque un sentiment de trahison. Mais lorsque j’ai ensuite lu ses propos de regrets mettant en lumière ses tiraillements contradictoires, ça m’a apaisé.
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Bonjour Strum, c’est un film que j’adore et que je revois régulièrement. Le cadre d’Ischia est sublime. A voir en cette période où les voyages sont compromis. Je ne trouve pas Lemmon trop âgé pour le rôle. Bon dimanche.
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Bonjour dasola, oui, Ischia, Capri (que l’on voit aussi), Sorrente (où se trouve en fait l’hôtel), tout cela est sublime. C’est sûr que c’est un film approprié pour cette période. Merci et bon dimanche également.
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« Avanti » était le premier film de Wilder que je découvrais – il m’en reste encore quelques-uns « inédits ». Je suis très attaché à ce long-métrage piquant et le nom de Miss Pamela Pigott a toujours été gravé dans ma mémoire affective et cinéphile. Content de la retrouver ici 😉
Cela donne envie de voyager vers le Sud de l’Italie…
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J’ai failli manquer ton commentaire. Tu as raison, à défaut d’avoir le mordant de certains Wilder c’est un film qui donne envie de s’abandonner à la Dolce Vita en Campanie et ça c’est déjà beaucoup !
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