
Certains l’aiment chaud (1959) de Billy Wilder racontent comment deux musiciens de Jazz témoins d’un règlement de compte sont obligés de rejoindre un orchestre de filles pour échapper aux mafieux qui veulent les éliminer. Mais c’est d’abord un film de transformations. Transformation de Jerry (Jack Lemmon), un contrebassiste de jazz dépourvu de personnalité, en travesti épanoui auquel un millionnaire fait la cour ; transformation de Joe (Tony Curtis), un saxophoniste cynique et coureur de femme, en amoureux transi de Sugar (Marilyn Monroe) ; transformation de Joe en faux milliardaire imitant le maintien et l’accent de Cary Grant, lequel était lui-même le résultat d’une transformation puisque Cary Grant à la ville a toujours prétendu ne pas être celui que l’on voyait à l’écran (et c’est ainsi que Wilder parvint à avoir Cary Grant dans un de ses films sans jamais l’avoir eu) ; transformation enfin du récit qui commence comme un film policier en noir et blanc des années 1930, avant de se faire farce (le nom de Mozzarella utilisé comme couverture par les malfrats italiens vendant la mèche), pour finir comme un film introduisant les années 1960, décennie de mélange des genres, de remises en cause – il ne manque à cette transformation-ci que la couleur, mais cela étire justement le spectre de transformations du film que de garder le noir et blanc ; on y trouve même George Raft, échappé des films de gangsters des années 1930.
Bien entendu, aucune de ces transformations n’est parfaite, car parfait, personne ne l’est, selon le motto final du film, mais le fait même que Certains l’aiment chaud soit un film qui se transforme sous nos yeux explique sa notoriété pérenne, son succès jamais démenti ; sa drôlerie (l’hilarante « party » improvisée dans le train) et sa mélancolie sous-jacente font le reste. Les mots mêmes des répliques des scènes avec Marilyn sont des sous-entendus, suggérant des transformations d’ordre sexuel qu’il ne tient qu’au spectateur de deviner ou d’imaginer. Seule Marilyn ne se transforme pas ici, même si le film lui réserve une fin heureuse en épilogue à une vie malheureuse (la réalité fut moins clémente) ; mais il faut dire que Marilyn était unique, mélange de candeur et de sensualité torride à nulle autre pareil. Elle forme avec Lemmon et Curtis un trio formidable et chante notamment deux chansons inoubliables (I wanna be loved by you et I’m through with love).
Au fond, si Wilder reste encore aujourd’hui un cinéaste si estimé, c’est parce qu’il connaissait cette caractéristique de la vie, il possédait ce savoir que ce que l’on appelle la vie n’est que la jonction de plusieurs vie successives où apparaissent séparément nos mois transformés selon les périodes de nos vies. Le Jerry du début de Certains l’aiment chaud, n’est pas le même que le Jerry de la fin même s’il reste un « homme ». Il en va de même pour Joe. On pourrait d’ailleurs tout à fait leur imaginer des vies passées en guise de prologues et des vies à venir, car le film débute en trombe et finit sans crier gare, d’un coup, sur la réplique finale que chacun connaît. Ce savoir des transformations de la vie, Wilder, qui eut plusieurs vies lui aussi, notamment en Europe avant de gagner les Etats-Unis, nous l’a fait partager en particulier dans les films qu’il écrivit avec son comparse Iz (I.A.L.) Diamond, co-scénariste de Certains l’aiment chaud, Ariane, Embrasse-moi Idiot, La Vie Privée de Sherlock Holmes, Avanti et d’autres Wilder, autant de films où il est également questions de transformations, plus ou moins bien réussies d’ailleurs. C’est pour cela que les personnages ne cessent de se faire des clins d’oeil dans le film, de l’orchestre à la salle, de la salle à l’orchestre. En réalité, ces clins d’oeil nous sont destinés de même que le large sourire final du milliardaire Osgood (comprendre « Is Good ») sur son bateau.
Le Hot du titre fait référence au Hot Jazz mais la traduction française conserve l’esprit de double sens de nombre des dialogues du film. Les amateurs du film peuvent encore aujourd’hui partir en pèlerinage à San Diego pour séjourner dans l’hôtel de la plage, le fameux Hotel Del Coronado, qui existe toujours.
Strum
Complètement d’accord avec vous! Un des grands films de métamorphoses du duo magique Wilder/Diamond, le film étant lui-même « transgenre » si j’ose dire et vous avez raison de souligner que Wilder lui-même eut plusieurs vies avec notamment la grande fracture du nazisme et de la guerre même si devenu américain, il a gardé l’esprit mitteleuropa. Personnellement « Certains l’aiment chaud » fait partie de mes préférés du cinéaste (avec « La Garçonnière », « Ariane » et « La vie privée de Sherlock Holmes ».
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Tout à fait, nous pouvons tomber entièrement d’accord ici, comme souvent avec Wilder ! Je ne suis pas loin de partager vos préférences s’agissant de vos Wilder favoris. J’ajouterais cependant Assurance sur la mort et La Scandaleuse de Berlin (qui m’a toujours paru sous-estimé).
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C’est exact, « La Scandaleuse de Berlin » est l’un de ses meilleurs films et pourtant il n’est jamais cité! Il a une immense valeur historique puisqu’il a été tourné dans les ruines du Berlin d’après-guerre, ville où avait vécu Billy Wilder entre 1926 et 1933. Et les personnages marquants sont des femmes. Avez-vous remarqué que Wilder a offert deux films à chacune des grandes actrices qu’il a fait tourner? « La Scandaleuse de Berlin » et « Témoin à charge » pour Marlène Dietrich, « 7 ans de réflexion » et « Certains l’aiment chaud » pour Marilyn Monroe et « Ariane » et « Sabrina » pour Audrey Hepburn. Et à chaque fois l’un de ces deux films est un chef-d’oeuvre! Bien que tragique, j’aime beaucoup aussi « Assurance sur la mort », en particulier la relation entre Fred McMurray et Edward G. Robinson mais par contre je n’ai jamais adhéré à l’archétype des garces des films noirs… sauf quand ce ne sont pas des garces ^^.
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Un pélerinage à San Diego ? Ne me tente pas !
Depuis ce film, à chaque fois que je croise une Daphné, je m’interroge… et souris.
Belle chronique, Strum, qui me donne envie de re-re-re-re-re-re-re-re-revoir le film !
Nobody’s perfect, but Wilder is quite good, anyway.
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Daphné ou Josephine ! Wilder et Iz Diamond, c’est proche de la perfection en effet.
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J’insiste : surtout avec Daphné ! Puisque, dans le film, il refuse de se faire appeler Geraldine 😀 Non ?
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Oui, bien vu! Car Daphné signifie se métamorphoser (cf Ovide) là oû Joséphine et Géraldine ne sont que des déclinaisons de leur personnage masculin.
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C’est juste, en effet, merci Florence !
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Tout à fait Martin !
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Film transformiste qu’il me tarde désormais de revoir suite la lecture de cette passionnante analyse. Je ne me souvenais pas de ce côté Cary Grant cultivé par Tony Curtis dans le film, sans doute un clin de Wilder au film de Hawks « Allez coucher ailleurs ». Et puis, il y a effectivement le double sens relatif à la vie privée de Cary Grant qui, visiblement, était bien différente de l’image cultivée par Hollywood.
Marylin reste Marylin par contre, et elle rime ici avec sublime.
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En effet, tout se transforme ici, sauf Marilyn qui reste Marilyn, même si ce n’est pas le rôle où je la trouve la plus belle. Si tu revois le film, tu verras que Tony Curtis imite très bien Cary Grant !
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Un film que j’adore.
Tu as raison, Tony Curtis c’est Cary Grant.
Qu’elle chantait (et jouait) bien Marilyn !
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Oui, elle ne pouvait pas tout jouer, mais dans son genre, elle n’a jamais été vraiment remplacée.
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Un autre film où l’actrice se transforme : Titane. Mais Princecranoir t’a interdit de le voir…
C’est vrai que ce n’est pas un film dans ta sensibilité mais il est tellement unique. Tu en aurais fait une belle chronique
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Ma foi, tu vas finir par me convaincre d’aller le voir !
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Une palme aussi différente et intrigante vaut le coup qu’on s’y intéresse.
Même s’il n’était pas palmé, je trouve ce film 100 coudées au dessus de Grave dont je n’avais pas compris l’engouement qu’il avait provoqué.
Je te rembourse ton billet si c’était tellement insupportable 🙂
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Bon, tu m’as convaincu. 🙂
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