Rendez-vous de juillet de Jacques Becker : « Réveillez-vous ! »

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« Réveillez-vous ! » : c’est l’appel que lance Lucien Bonnard (Daniel Gélin) à ses camarades dans Rendez-vous de juillet (1949) de Jacques Becker qui suit immédiatement Antoine et Antoinette (1947). Dans ce dernier, Becker filmait un couple, ici il filme un groupe d’amis un peu plus jeunes ; dans les deux cas, c’est sur la jeunesse d’après-guerre que ce cinéaste de plus de quarante ans fixe sa caméra bienveillante, comme s’il voulait être des leurs. « Réveillez-vous ! » car la vie n’attend pas, car ce n’est « pas la Providence qui fera tout le boulot ». Ce rendez-vous qu’évoque le titre c’est celui d’avec ses rêves de jeunesse, au début de l’été de la vie, quand éclosent certains projets mûris avant vingt ans.

En 1931, Paul Nizan ouvrait Aden Arabie sur ces mots célèbres : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » Rendez-vous de juillet est la réponse d’après-guerre à cette assertion pessimiste. C’est l’histoire d’un groupe d’amis. Il y a d’abord Lucien, fils de bonne famille qui veut devenir ethnologue, puis son amie Christine (Nicole Courcel), dont le frère François est dramaturge et tombe amoureux de Thérèse (Brigitte Auber), laquelle en aime déjà un autre, Roger (un tout jeune Maurice Ronet aux faux airs de Boris Vian, la trompette aidant). Avec ce Pierrot au large sourire et d’autres encore, ils forment un petit groupe qui se fréquente et s’amuse dans les clubs de Jazz de Saint-Germain-des-Prés. Deux projets les occupent : une expédition que prépare Lucien avec les garçons et une pièce de théâtre que jouent Christine et Thérèse avec des fortunes diverses ; la première, minée par le mal de vivre, souffre, tandis que la seconde saisit sa chance. La rencontre des sentiments amoureux et des désirs professionnels mettra à l’épreuve les liens du groupe car les uns et les autres sont confrontés aux choix qu’appelle l’entrée dans la vie active que le cinéaste décrit avec sa clarté coutumière.

Becker possède ce talent propre aux grands cinéastes d’arracher ses films au travail du temps (travail si visible dans d’autres films français des années 1940 qui paraissent datés). Malgré la portée documentaire du film (le club de Jazz Le Caveau des Lorientais était fréquenté, outre les zazous, par Queneau, Vian ou Sartre) et certains traits de l’époque (la question de la virginité des héroïnes, la gifle superflue à la fiancée infidèle), les personnages de Rendez-vous de juillet semblent proches de nous. C’est grâce à la mise en scène de Becker qui les filme avec chaleur et amitié, à hauteur de visage, comme un membre introduit dans la bande qui photographierait « le véritable visage de la jeunesse ». Un découpage toujours juste dessine en lignes claires l’espace de la scène ; des mouvements de caméra brefs donnent au film un dynamisme souvent irrésistible. Au début, le mouvement du film se fait latéralement via des panoramiques, ainsi dans la séquence introductive où le groupe d’amis forme une chaine tissée par les coups de téléphone dans le sens de la longueur (comme pour aller de l’avant) ; ensuite, Becker utilise aussi des lignes verticales, tel ce raccord où la caméra descend un escalier avec Lucien pour soudain remonter par un autre escalier que monte en riant un groupe joyeux, ce qui donne un mouvement de balle rebondissante à la séquence. Enfin, il y a ces scènes en extérieur qui font respirer le film (à l’instar d’Antoine et Antoinette) et singularisaient Becker dans les années 1940.

Lucien veut devenir ethnologue à une époque où Michel Leiris avait depuis longtemps écrit L’Afrique Fantôme, (mi-étude ethnographique mi-journal intime tiré de la Mission Dakar-Djiboujti de 1931-1933) mais le jeune Levi-Strauss pas encore son génial Tristes Topiques (il faudra attendre 1955) même s’il était déjà sous-directeur du Musée de L’homme. Lucien se situe donc entre Leiris et Lévi-Strauss, c’est-à-dire dans un entre-deux (une meilleure définition de la vingtaine que l’injonction définitive de Nizan) ; un ethnologue en devenir, un chasseur de rêve surtout, qui par son énergie parvient à réaliser son projet en ralliant à lui le groupe d’amis un temps tenté par des lendemains plus ternes mais plus sûrs. C’est alors que Lucien lance son « Réveillez-vous ! », lequel non content de galvaniser ses amis s’adresse aussi au spectateur que d’habiles contrechamps amènent fictivement aux côtés des amis qui écoutent. Ne doutons pas que cet appel, Becker se l’est appliqué à lui-même, lui le grand cinéaste français de l’après-guerre (chef-opérateur du film, Claude Renoir assure le passage de flambeau entre Jean Renoir et Becker qui fut l’assistant du premier) car la ténacité fait partie des qualités indispensables non seulement pour lancer une expédition au Congo-Brazzaville mais aussi pour réaliser des films. Quelques belles idées de mise en scène (cette montée dans une cage d’escalier enténébrée) annoncent les futurs films noirs de l’auteur.

Strum

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6 commentaires pour Rendez-vous de juillet de Jacques Becker : « Réveillez-vous ! »

  1. modrone dit :

    J’aime ce film, « témoignage choral » et la belle empathie de Becker pour ses personnages. Ce sera toujours ainsi pour Becker que ce soit pour les couples Edouard et Caroline, Antoine et Antoinette, les gangsters du Grisbi, même les paysans de Goupi ou les apaches de Casque d’Or, jusqu’aux taulards du Trou (que je viens de revoir). Et puis Gélin, Ronet, si jeunes. Je crois qu’il y a même un Pierre Mondy tout mince.

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  2. J.R. dit :

    « PS : Entre autres nouvelles, la France a donc un nouveau Président. Mais connaissant la difficulté qu’il y a à discuter de politique sans susciter des incompréhensions ou sans créer de ressentiment ensuite (même avec la meilleure volonté du monde), je m’abstiendrai pour le bien de ce blog de tout autre commentaire sur le sujet (commentaires qui sont de toute façon légions ailleurs, pour le meilleur et pour le pire). 🙂 »
    Le post-scriptum du précédent billet m’interpelle, je me demande si celui-ci n’est pas un moyen détourné de parler politique. Car le « Réveillez-vous! »me fait rrésistiblement penser au fameux « En marche! »… Où bien suis-je un « dormeur immobile », qui rêve.
    Dommage, comme je n’ai jamais trop aimé les jeunes, je crois que je n’apprécierais pas trop ce film. Je plaisante! Enfin…. à moitié.

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    • Strum dit :

      Ah, remarque intéressante. 🙂 Mais non, il n’y a aucun rapport, ni conscient, ni inconscient (je n’avais pas vu Rendez-vous de juillet (ni ne savais qu’il contenait ce « réveillez-vous » quand je me suis décidé à le voir) au moment où j’ai écrit le PS), et je n’avais pas réalisé ce rapprochement possible entre les deux termes. Je ne suis pas duplice, si j’avais voulu faire passer un message politique, je l’aurais fait directement. A posteriori, votre remarque valide mon PS – le niveau de méfiance et d’incompréhension est devenu tel que même quand on ne veut pas discuter politique, on vous soupçonne de le faire, fut-ce à moitié. 😉 Bref, vive le cinéma, et pour revenir à Rendez-vous de juillet, le film porte certes sur un groupe de jeunes, mais il est à voir pour sa mise en scène.

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  3. J.R. dit :

    S’il n’y avait pas eu de PS je n’y aurait pas pensé…
    Je me doutais fortement que je sur-interprétais😉
    Par-ailleurs on peut toujours faire référence á la politique, elle englobe presque tout : morale, philosophie, religion, économie…. Tout est politique, même, et surtout, la critique de cinéma.
    C’est curieux mais aux cahiers dans les premières années, Godard était de droite (eh oui), Chabrol, je crois, était même monarchiste avant de virer á gauche. C’est anecdotique.

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    • Strum dit :

      Je formulerais les choses un peu autrement ; on peut décider que « tout est politique », c’est-à-dire tout interpréter à travers le prisme de la politique comme Marx qui interprétait la totalité du monde (y compris le concret, des arbres dans une cour…) à travers le matérialisme historique et donc la politique, mais je ne partage pas l’idée (ou plutôt cette volonté) que « tout » est politique, y compris la critique de cinéma, principe d’airain ne souffrant pas d’exception et qui, je le crains, limite le cinéma en le réduisant potentiellement à un instrument, qui visse les horizons, qui réduit le débat à une sphère particulières des activités humaines et qui de plus oriente par cet a priori l’interprétation que l’on peut avoir des films.
      Sinon oui, les hussards des Cahiers avaient plutôt des opinions politiques de droite dans les années 1950.

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