
C’est une sorte de version française de L’Impossible Mr. Bébé de Hawks, auquel Michel Deville et sa scénariste Nina Companeez empruntent plusieurs idées, plusieurs motifs : une femme riche et en apparence écervelée qui pourchasse un violoncelliste à lunettes carrées dont elle est tombée amoureuse ; un accident de voiture lors de leur première rencontre ; un chien qui s’en mêle et cherche avec eux dans le jardin l’objet désiré, un os de brontosaure chez Hawks, une clé de voiture ici ; l’homme qui devient femme un instant ; la vitalité du découpage aussi, qui lorgne du côté de Hawks, la rigueur des cadrages en moins.
Ce que Michel Deville et Nina Companeez ajoutent à Hawks cependant, dans ce film charmant et insouciant, né d’une époque moins inquiète que la nôtre, c’est une sensibilité française particulière. D’abord, un marivaudage où c’est la femme qui prend les initiatives, marivaudage féminin qui précède historiquement le féminisme de la screwball comedy américaine, mais que l’on a en définitive assez peu vu dans le cinéma français. Cela s’aperçoit dans les répliques entre Bardot et Cassel, qui tournent autour du pot, et dans la situation de chacun des personnages, Félicia (Bardot) vivant entourée de ses anciens maris et de ses nouveaux prétendants qu’elle mène à la baguette, Gaspard (Cassel) étant séparé de sa femme.
Ensuite, une satire du mâle français, qui se distingue de son collègue américain par un type de vanité particulière. Dans L’Impossible Mr. Bébé, le personnage de Cary Grant essaie tant bien que mal d’exister face à la tornade Susan Vance, mais le fait qu’elle mène le jeu et porte la culotte ne semble pas porter atteinte outre mesure à l’idée qu’il se fait de sa virilité (idée qui est pour ainsi dire inexistante car au fond le sujet ne l’inquiète pas), la richesse de Susan lui octroyant des passe-droits dans la société américaine. Dans L’Ours et la poupée, au contraire, Gaspard tient à son statut d’ours puisqu’il le revendique et s’en attribue le titre. Il tient à ses charentaises, à sa maison de campagne à l’écart de la ville, à sa manière libre d’élever ses enfants. Bref, à sa tranquillité d’homme qui prétend se défendre contre les assauts de cette demoiselle trop jolie et trop entreprenante à son goût. Il prend les assiduités de Félicia comme une atteinte à son statut d’homme, qu’il défend par plusieurs moyens : le flegme et le sarcasme, le recours au réconfort de la musique, l’exercice physique, se figurant que couper du bois dans la remise à trois heures du matin est une image de virilité.
Une scène du film où Félicia se déguise en homme pour dénoncer leurs prérogatives et l’inégalité des sexes, et où Gaspard se prête au jeu d’incarner une femme, montre que les rapports entre l’homme et la femme à l’aube des années 1970 est le vrai sujet du film. Cette séquence de jeu de rôles où Bardot arbore une casquette fait penser à la Nouvelle Vague dont Deville fut contemporain. Une fois que Gaspard a compris qu’il tombait amoureux, au lieu de reconnaitre la supériorité de Félicia, il réclame son statut d’homme décidant pour la femme, se donnant du courage en chantant à tue-tête du Rossini dans son jardin. Félicia a alors l’intelligence de jouer le jeu de la femme pourchassée, c’est-à-dire qu’elle fait mine de fuir en laissant Gaspard croire qu’il prend les devants, flattant ce faisant sa vanité de mâle français. D’où cette fin où Gaspard a désormais l’air sûr de son fait et de ses désirs, pourchassant Félicia sur la route et dans les champs. En réalité, c’est elle qui n’a cessé de décider des choses pendant tout le film, faisant valoir ses attraits charnels bien sûr, Bardot oblige, mais mimant aussi la bétise, l’ivresse et la faiblesse pour susciter chez Gaspard l’illusion de son rôle protecteur, ce que Deville montre par certains gros plans sur le visage conspirant de Bardot. Gaspard joue à l’ours parce qu’il a peur de ne pas en être un vrai, tandis que Félicia joue à la poupée car elle est sûr, par son intelligence et sa fausse candeur, de ne pas en être une véritable.
Pour finir, les rapports entre Félicia et Gaspard sont autant envisagés sous l’angle de la différence de richesse (la Rolls contre la 2CV) que sous celui de la différence entre la ville et ses fêtes yéyé, où vit Félicia, et la campagne silencieuse, où vit Gaspard, pays des vaches et des fleurs, césure un peu tranchée que permet la satire. Cette différence est surlignée par une musique envahissante, c’est-à-dire systématique dès que l’on passe d’un territoire à un autre. Ce n’est pas gênant pour la campagne, car on y joue du Rossini, ça l’est plus pour la ville, où sévit un rock yéyé français agaçant mais marqueur lui aussi de l’époque. Un film enjoué, qui ne vaut certes pas son modèle américain sur un plan cinématographique, mais qui se laisse voir non sans plaisir. Et puis cette éphémère bulle temporelle a le mérite de la brièveté, conservant sa vitalité jusqu’à son terme. Jean-Paul Belmondo et Catherine Deneuve avaient été pressentis pour les rôles de Jean-Pierre Cassel et Brigitte Bardot.
Strum
Ah j’adore ce film, ces deux acteurs si beaux, si parfaitement assortis, cette musique tellement joyeuse (Rossini non ?) et c’est vrai cette folle insouciance qui donnait de jolis petits films enthousiasmants qu’on oublie pas malgré ou à cause de leur légèreté.
Ce soir, ça se passe sur Arte 🙂
la bétise
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Oui, Rossini ! Oui, ce soir, Ecrit sur du vent du grand Douglas Sirk sur Arte. Quel beau film.
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As-tu regardé le documentaire sur Douglas Sirk après le film ? J’ai trouvé ça d’une tristesse sans nom. Je ne savais pas qu’il était allemand. Ce que sa 1ère femme, nazie, lui a fait endurer par jalousie (sa 2ème femme est juive…).
Il faudra que je revois Le temps d’aimer, le temps de mourir, notamment pour cette scène dingue décrite dans le docu.
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Je n’ai pas vu le documentaire mais je connaissais son histoire. Elle est terrible en effet ! Le temps d’aimer et le temps de mourir est sublime. J’aimerais bien le revoir.
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J’ai découvert hier en recevant Télérama que Michel Deville est mort. Ça n’a pas fait les gros titres à France Inter… Je comprends mieux pourquoi cette note arrive.
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En effet, on en a très peu parlé. Cela dit, cela faisait un moment que je voulais voir ce film.
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Bonjour Strum
Michel Deville, né le 13 avril 1931 et mort le 16 février 2023, mort donc à 92 ans, a dû donc faire pas mal de films. Eh bien, j’ai attendu sa mort pour voir un de ses films, et en plus sur You tube ! Zut et zut !
L’ours et la poupée a beaucoup de charme. Dès le générique, des couleurs et une musique qui emportent vers un monde merveilleux, du fond des âges. Des dialogues pétillants, une mise en scène trépidante, un rythme qui ne faiblit jamais – enfin si un peu vers la fin ! – une Bardot belle – c’est un euphémisme – et un Cassel si migon. Vous nous aviez prévenus. Bien sûr je l’ai regardé en pensant à « L’impossible M. Bébé », et cela a rajouté au plaisir car j’avais une clé supplémentaire. Merci pour la clé et pour avoir parlé de ce réalisateur.
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Bonsoir Ana-Cristina, avec plaisir, merci à vous, les échos avec L’Impossible M. Bébé – que j’adore – font effectivement partie des plaisirs du film. Je n’ai pas tellement vu non plus de films de Michel Deville, mais il n’est jamais trop tard.
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Quand j’ai entendu l’annonce du décès de Michel Deville, j’ai immédiatement pensé à ce film, le seul que j’ai vu de lui il me semble. Je n’ai pas pris le temps de le revoir sur Arte, mais surtout je me rend compte que je suis passé complètement à côté d’un cinéaste important. J’espère pouvoir à l’avenir expérimenter regard croisé avec Hawks.
Article au regard toujours pointu et à l’articulation passionnante.
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Merci beaucoup. Je ne suis pas sûr que ce soit un cinéaste important, même si ce film-là a du charme. J’ai été déçu en revanche par Dossier 51. Il a eu en tout cas une longue et belle carrière et je verrais volontiers d’autres de ses films.
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Disons que c’est un auteur discret qui a su tracer son sillon. C’est ce qui me donne désormais envie de le découvrir. Un peu tard malheureusement.
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Oui, il me semble d’ailleurs qu’il revendiquait ce statut de cinéaste « bricolant dans son coin » et traçant son sillon.
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