
On ne peut parler de ce film sans évoquer d’abord ce qui le caractérise esthétiquement : sa photographie surexposée et blanchâtre où les extérieurs semblent avalés par une grande étendue blanche, brûlée à la chaux. C’est particulièrement frappant quand Hong Sang-soo filme ses longues séquences dialoguées à partir d’un intérieur où les personnages sont attablés au premier ou au second plan et où le monde extérieur se dissout dans un vide blanc à l’arrière-plan. Soit un plein et un vide (que remplissent les dialogues). Cette photographie surexposée parait bien ingrate, bien laide – que cela soit voulu ou que cela tienne au budget – et prive le monde extérieur de toute beauté, à l’exception de l’épilogue en couleurs, d’une grâce subite mais fragile.
Seuls subsistent les personnages, et en premier lieu, une romancière en panne d’inspiration, qui ne peut plus écrire. Venue de Séoul retrouver une ancienne amie devenue libraire, elle est pleine de colère, en particulier contre ce metteur en scène qu’elle rencontre par hasard et qui, autrefois, l’a trahie. Une nouvelle coïncidence lui fait rencontrer une célèbre actrice, retirée de la scène, et il lui vient alors l’idée de mettre en scène un court métrage avec elle. Un troisième hasard survient : la romancière revoit un ancien compagnon de beuverie poète avec qui elle eut une aventure. C’est le passé qui resurgit pour lui venir en aide. Mais exhumer des souvenirs ne suffit pas, cela ne fait au contraire que raviver de vieilles rancoeurs, dont la romancière n’arrive pas à se défaire. Est-ce pour cela qu’elle ne peut plus écrire et qu’elle est tombée dans la solitude ? Ce qu’il faut retrouver, c’est l’espoir, la vigueur, la pureté du monde, dans le jaillissement de la première fois, faire comme si tout recommençait, recommencement qui est un des motifs principaux du cinéaste. Hélas, ici, il n’y a pas de recommencement du récit ou de récit dédoublé, et ce qui faisait le charme de ses autres films, un jeu fictionnel concurrençant le réel, semble absent, la narration étant linéaire, quoique bien construite. Les personnages ne cessent de parler de « pureté » et de « charisme », précisément parce que la pureté ne se laisse pas capturer par des mots. La romancière n’y arrive plus.
Réinjecter de la vie dans la page blanche des images, voilà le but qu’elle s’est assignée en filmant son court-métrage. C’est peut-être cette page blanche qu’est censée représentée cette photographie à la chaux, qui m’a tant gêné. La beauté renaîtra quelques minutes dans l’épilogue, à travers les couleurs d’un bouquet de fleurs et dans le visage radieux de la compagne du réalisateur, Kim Min-hee. C’est trop peu, c’est trop tard, c’est presqu’un autre film qui devrait commencer alors, mais qui ne commence pas car celui-ci s’achève. On a trop attendu ce renouveau printanier, aussi beau et tendre soit-il. Un petit cru dans la filmographie de Hong Sang-soo, où l’économie inhérente à son cinéma trouve ses limites, même si c’est un anneau d’une chaîne autrement plus solide. Rien de grave : sans doute aimerais-je le prochain Hong Sang-soo que je verrai.
Strum
Encore une coréenne en colère ? 🙂
C’est vrai que la photo est bien moche mais puisque c’est Hong Sang-soo j’imagine que c’est voulu.
Je ne l’ai pas vu et il n’est pas sorti chez moi.
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Ah ça oui pour la photographie. Au départ, je pensais que c’était en partie une question de budget – il tourne dans des conditions matérielles difficiles avec de tous petits budgets – mais vu que son dernier film présenté à Berlin est entièrement flou à dessein (!), j’ai l’impression que c’est malheureusement voulu, en tout cas en partie…
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Bon je n’irai pas. Il y a suffisamment de « belles » choses à voir visuellement. J’en ai parfois assez de me sentir comme un cobaye face aux expériences de certains réalisateurs. Avec un petit budget Nicolas Giraud a réussi à mettre une belle ambiance et laisser galoper notre imagination dans L’Astronaute.
Et j’ai été subjuguée par le parti pris d’images déformées dans Hinterland de Stefan Ruzowitzky.
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Je ne voudrais pas être la cause d’un refus de voir un film et peut-être que tu seras moins gênée que moi par cette photo surexposée.
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Bonsoir Strum,
Je n’ai pas encore vu « La Romancière… « .
J’ai toujours l’impression que les rendus des plans (et de l’image) sont très conscients dans les films de Hong Sang-Soo car ils sont si reconnaissables. J’ai un peu de mal à concevoir qu’une telle image n’ait pas été désirée ou n’ait pas été conservée avec une idée derrière la tête.
Les films que j’ai vus de Hong Sang-Soo m’ont souvent beaucoup plu, intriguée ou simplement intéressée. Mais, ils finissent par se confondre… Pour cette raison, s’il en fallait une, j’aime bien les revoir. Je suis aussi toujours curieuse de voir le petit dernier car je suis d’accord avec vous, même moins bon, il n’en restera pas moins « un anneau d’une chaîne autrement plus solide ».
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Bonsoir, les plans des derniers films de Hong Sang-soo répondent souvent à un même cahier des charges en effet, où les plans fixes de personnages buvant à une table et filmés de profil abondent, et tendent vers un minimalisme et une sobriété toujours plus prononcés qui reflètent à la fois je pense sa conception du cinéma, avec une équipe réduite et mobile et des tournages rapides, et les contraintes imposées par des budgets de production de plus en plus serrés. Ce minimalisme visuel ne m’a jamais empêché d’apprécier ses films jusqu’à présent. Mais ici, l’image surexposée est très particulière, comme celle d’une caméra numérique mal réglée. C’est peut-être raccord en effet avec les thèmes du film, mais cela m’a franchement gêné sur un plan esthétique. Vivement que j’en voie un autre plus à mon goût – un ancien dans sa filmographie, puisque le nouveau présenté à Berlin est annoncé comme étant volontairement « flou », nous informe Pascale…
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Vu hier. Le film m’a beaucoup touchée.
En ce qui me concerne, la photo ne m’a pas dérangée du tout. Au contraire ! Ce blanc, comme tu l’as écrit, le vide de l’image, ajoute du trouble aux situations qui s’enchaînent inéluctablement. Oui, c’est ça : la romancière fait le vide derrière elle (passé) et autour d’elle (présent). Elle conserve l’essentiel. Le film montre sa dernière ligne droite. L’avenir ? Est-il tout entier contenu dans la projection du court-métrage, images capturant des moments de vérité (c’est ce que désirait la romancière).
Je me sentais un peu à l’étroit, ce blanc participait à cette impression d’enfermement, un ciel bas, un jour de mauvais temps. D’ailleurs il y a peu de ciel et comme tu l’as dit, l’extérieur est comme avalé. Des grilles, même les arbres du parc emprisonnent dans un premier temps. On étouffe. La présence de l’actrice, son sourire, irradiant l’image, annonce-t-elle la libération prochaine du personnage principal.
La romancière ne peut respirer que dans sa création ; c’est la sève créatrice qui la nourrit. Elle en a besoin très vite et en perfusion. D’ailleurs, son film en est la preuve. Magnifique fin, oui, je suis bien d’accord. Ouaou ! Ces petites fleurs délicates, les doigts fins qui les unissent en enroulant les tiges d’une fine ficelle de raphia… C’est la naissance d’une œuvre.
Bonne soirée!
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Merci. Je suis sûr que j’aurais aimé si j’avais pu faire fi de cette photographie monocorde qui brûle allègrement les extérieurs, et qui est contraire à l’idée – peut-être un peu bornée – que je me fais d’une photographie de film où des éclairages différents sont nécessaires pour éviter la surexposition en extérieurs. Mais je crains de me répéter et personne d’autre ne semble avoir été aussi gêné (au contraire, dis-tu). Tant pis pour moi ! J’essaierai de me rattraper pour le prochain film que je verrai du cinéaste. Bonne journée.
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