
Eviter que le monde ne se défasse, que l’amour ne se défasse, qu’un quartier ne se défasse. Retrouver pour cela un peu des forces du cinéma français des années 1930, et en particulier celui de Jean Grémillon, mais aussi celui dialogué par Prévert. Voilà ce à quoi fait songer, entre autres, et à première vue, Corps à coeur (1979) de Paul Vecchiali. C’est l’histoire du joli coeur d’un quartier, un peu comme Jean Gabin était un joli coeur au début de Gueule d’amour de Grémillon, qui s’éprend d’une pharmacienne dont il a aperçu le profil lors d’un concert du Requiem de Fauré dans la Sainte Chapelle. Proust l’a écrit à propos de Saint-Loup découvrant Rachel sur scène pour la première fois : on peut tomber amoureux d’une femme parce qu’on l’a vue sous un certain angle, un certain soir, dans certaines conditions. On peut aussi lui associer pour toujours la musique entendue au moment de la découverte de son visage et cette musique sera ici le Requiem de Fauré qui va accompagner tout le film.
Le coup de foudre est immédiat pour Pierrot (Nicolas Silberg), malgré la différence d’âge et de condition sociale entre ce garagiste de 30 ans et Jeanne-Michèle (Hélène Surgère), qui est entrée dans la cinquantaine. Et le joli coeur de se transir d’amour, délaissant ses conquêtes, ses amitiés de voisinage, son métier de réparateur de voitures. Plus rien ne compte sinon aimer Jeanne-Michèle. Mais donner sa vie à cette femme ne suffit pas, car au début elle ne veut pas de lui. Il faut encore que l’approche de la mort s’en mêle pour la convaincre qu’elle peut s’offrir au jeune homme. Qu’au fond, il est peut-être le dernier don que lui dispense la vie. Le don d’un coeur et d’un corps, car il s’agit ici de donner les deux. Lui, donne d’habitude son corps – mais cette fois le corps à corps ne lui suffit pas. Elle, propose de donner son coeur, d’en rester à un amour platonique, mais cette fois, c’est le coeur à coeur qui ne suffit pas à Pierrot. Il veut autre chose, il la veut entièrement, offerte et sans la défense du coeur. C’est le corps à coeur du titre, la fusion des deux.
L’un doit donc passer du corps au coeur, l’autre du coeur au corps. Et c’est pour cela peut-être que l’on trouve dans le film plusieurs plans de mains se joignant, comme deux mondes se rencontrant et s’étreignant. Et pour cela aussi peut-être que l’on perçoit une dualité dans certains éclairages d’intérieur : dans plusieurs scènes, on a l’impression qu’une partie du cadre appartient au corps par ses lumières profondes, tandis que l’autre partie, qui semble envahie de la rosée du matin, appartient au coeur par ses lumières plus tendres et vaporeuses. Tout est déjà donné par le titre qui ne disait pas autre chose : le film raconte ce cheminement du corps vers le fond du coeur où demeurent les vérités cachées, où l’on peut se délester de la pesanteur des êtres et des choses pour que seul reste le sentiment. Cela donne au film un caractère assez particulier, à la fois sensuel et intime, sûr de lui et incertain. Il trouvera sa justification quand ses couleurs fusionneront elles aussi, dans la lumière du midi où l’amour s’accomplira. Un amour qui pourra un temps, mais un temps seulement, retenir le travail de la mort. Car tout le récit est placé sous l’ombre du Requiem qui relie le monde des vivants et le monde des morts.
Cette histoire d’amour tragique se déroule dans un quartier du Kremlin-Bicêtre un petit village, devrais-je écrire, qui réunit les protagonistes du film. Ils forment comme les spectateurs de l’histoire d’amour qui se déroule devant nous, comme un choeur sur une scène. Les scènes avec les habitants du quartier apparaissent d’ailleurs comme des scènes autonomes par rapport au tronc principal de la narration, avec des dialogues très écrits, où se répondent d’anciennes fidélités qui puisent leurs racines dans des sentiments qui précèdent le film : une solidarité populaire entre les habitants du quartier, qui n’est pas éternelle, tout comme l’amour n’est pas éternel. Ces scènes de dialogues entre seconds rôles, commentant l’action principale, font là aussi penser à certains aspects du cinéma français des années 1930, qu’aime tant Paul Vecchiali et auquel il a consacré son Encinéclopédie toute personnelle, où il dresse un vaste panorama des cinéastes ayant oeuvré en France à l’époque.
Dans cette histoire d’amour, il est donc question de fidélités : fidélité à la première image vue d’une femme, fidélité à un amour, fidélité à un quartier, fidélité au cinéma français populaire des années 1930, fidélité enfin à des acteurs et actrices avec lesquels Vecchiali a l’habitude de travailler, et en particulier Hélène Surgère, dont on a l’impression qu’elle ne joue pas son personnage mais qu’elle l’est, tant elle paraît naturelle dans ses attitudes et ses réactions, face à un Nicolas Silberg dont le jeu est plus direct, plus buté (ce qui correspond certes bien au personnage). Elle est exceptionnelle et l’on regrette qu’elle n’ait pas eu l’opportunité de faire une plus grande carrière, de commencer plus tôt au cinéma. Mais même les fidélités les plus anciennes, les plus ancrées dans la chair et le sentiment, ont une fin. Comme dans Femmes, femmes, il faut que les choses s’arrêtent, il faut que le voile de la comédie se lève sur les coulisses de la réalité, car on ne peut retenir le travail du temps et de la mort : tout s’arrêtera abruptement.
Strum
Jamais vu…. tu donnes envie….
J’aimeJ’aime
Merci ! Tu verras, c’est un beau film, au découpage parfois atypique, au ton particulier qui évolue au fur et à mesure que l’histoire progresse.
J’aimeAimé par 1 personne
Ping : Femmes, femmes de Paul Vecchiali : jouer la comédie | Newstrum – Notes sur le cinéma