
Voici un film qui porte bien son titre et s’inspire d’une affaire criminelle qui défraya la chronique dans la France des années folles : l’affaire Sarret, du nom d’un avocat marseillais qui commit plusieurs crimes dans le cadre de fraudes à l’assurance-vie. Le film fit plus ou moins scandale à sa sortie en 1974 en raison du rôle dévolu à Romy Schneider, celle de la maîtresse allemande de Sarret, qui l’assistait avec sa soeur dans ses entreprises macabre, mais aussi du caractère amoral du récit et du regard porté par Francis Girod sur ses personnages. Car le réalisateur relate les différents meurtres du film en se situant toujours du côté de personnages-fonctions et de leurs machinations, comme s’il s’agissait pour lui d’enregistrer mécaniquement leurs crimes horribles.
Cette approche lui sert de prétexte pour filmer frontalement le clou du film, le meurtre d’un couple par Sarret et ses deux maitresses, où le trio fait disparaître les corps en les dissolvant dans des baignoires emplies d’acide sulfurique. Le temps que passe Girod à filmer cette séquence, la plus longue du récit, révèle l’importance qu’elle tient dans son découpage et l’intérêt qu’il lui porte et lui prête, alors qu’elle n’a qu’un intérêt dramaturgique très limité. Le choix des plans (dont plusieurs sur les seaux contenant la substance décomposée des cadavres), l’inclusion d’une scène de sexe dans la salle de bain où se dissolvent à deux mètres les corps dans leur bain sulfurique, le luxe de détails sanglants, témoignent tout à la fois de l’horreur des meurtre et du caractère diabolique et sans nuances des personnages, mais aussi de la complaisance du metteur en scène par rapport à ce qu’il filme sous le couvert d’une impossible neutralité, où s’intercalent parfois des traits d’humour noir.
Impossible car par définition, toute image relève d’un choix d’angle et d’échelle de plan, révélateur d’un regard orienté sur un évènement donné. La neutralité d’une prise de vue est une fiction, une posture. Or, ici, Girod prétend passer par le vecteur du personnage de Sarret, comme s’il lui donnait les clefs du film. Sarret est un personnage diabolique qui reçoit tous les honneurs de la société (avocat célébré, héros militaire, bientôt homme politique), tout en commettant, caché par la robe de l’avocat et le voile de la réussite sociale, les pires atrocités. Girod ne donne aucune tentative d’explication de ses actes, qu’elle soit d’ordre psychologique, sociologique ou sociale, sinon celle de l’avidité du gain, le temps d’une seule scène, où le trio infernal se partage l’or fruit de leurs plans. Le temps d’une autre scène, tout aussi furtive, est suggérée l’idée que Philomène Schmidt (Romy Schneider) se donne à Sarret et épouse ses vues pour ne pas se retrouver à la rue. C’est bien trop peu, et cette posture d’un regard distant révèle au contraire les limites de ce film dépourvu de nuances et le rend à la fois anecdotique dans sa mise en scène (elle est dénuée de toute espèce de verve et de style, ce qui anémie le film au lieu de l’acidifier) et de peu d’intérêt quant à ce qu’il raconte (les escroqueries à l’assurance-vie s’enchainant selon le même procédé répétitif, où il s’agit de faire disparaitre l’assuré âgé ayant épousé une soeur Schmidt, après avoir fait passer la visite médicale de rigueur à un complice). Pire : à trop vouloir préserver un regard neutre sans rien juger de ce qui est à l’écran, ou à trop essayer de choquer son spectateur par l’amoralité du récit et de son issue, Girod triche avec la véritable histoire, ce qui met à nu la posture de son positionnement qui est faussement neutre ; dans la réalité le trio fut arrêté, ses meurtres révélés, et Sarrêt condamné à être guillotiné, là où le film se termine par un mariage guilleret entre Sarret et Philomène et donc la victoire sardonique du duo maléfique. A supposer que Girod ait eu à un moment l’ambition de parler du réel et d’une affaire criminelle emblématique des années folles, il fausse la réalité en l’asservissant à un scénario au final démonstratif.
Restent les acteurs bien entendu : dans les années 1970 et 1980, personne ne joua mieux les personnages diaboliques, aux motivations insondables, que Michel Piccoli (Sarret), dont le large visage barré de sourcils charbonneux ne laisse voir aucune faille, aucun regret, aucune explication, tout comme dans Dilinger est mort de Marco Ferreri, film d’une toute autre trempe sur le plan de la mise en scène et de la réflexion sur la société. Quant à Romy Schneider, elle est excellente, presque trop pour un rôle si unilatéral, semblant se donner corps et âme à son personnage d’intrigante humiliée et amoureuse de son maître. Maschka Gonska qui joue sa soeur et complète le trio possède un visage candide censé souligner, sans doute, l’écart entre l’horreur de ses actes et le caractère juvénile de ses traits.
Strum
Je ne me rappelle pas de l’avoir vu celui-là…. Merci pour cette piqure de rappel !
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De rien !
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Pourquoi diable le réalisateur devrait il porter un jugement quelconque sur ses personnages ?
Il les filme comme un entomologiste , c’est son choix !
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C’est son choix certes mais je trouve cela déplaisant et vain dans le contexte d’un tel film. Le regard soi-disant entomologiste est ici une posture. Tout film oblige à sélectionner des scènes, des images, des echelles de plans et lorsque le réalisateur passe 30 minutes du film à filmer le meurtre à l’acide sulfurique avec force détails morbides au lieu de filmer autre chose de plus intéressant (une vision plus nuancée des personnages, un contexte socio-culturel, tout ce qui permettrait de mieux les comprendre alors que dans le film ce sont des cartoons, tout ce qui relèverait d’une approche réellement entomologiste à la Imamura), il fait un choix qui montre le peu d’interet du film et le manque de profondeur d’un scénario qui ne cherche qu’à choquer son spectateur – du moins est-ce mon sentiment dont je fais part ici sans autre intention que de partager ma réaction devant le film.
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