L’Homme de l’Arizona (The Tall T) de Budd Boetticher : rapprochements

Il est frappant, devant L’Homme de l’Arizona (The Tall T) (1957), un bon western, solidement bâti, de constater à quel point l’échelle de plan est généralement différente de ce que l’on peut voir dans La Chevauchée de la vengeance (Ride lonesome) (1959) du même réalisateur. Bien que travaillant avec le même directeur de la photographie (Charles Lawton Jr.), Budd Boetticher filme ici Randolph Scott en plan plus rapproché, le montrant même sourire et plaisanter au début du film, alors qu’il est une figure mutique et dévorée par la solitude dans La Chevauchée de la vengeance (Ride lonesome), cavalier lointain gravé dans le paysage. The Tall T possède même un prologue n’ayant qu’un rapport ténu avec le fil narratif principal, ce qui est inhabituel pour les westerns de Boetticher et donne deux atmosphère et deux enjeux successifs au film : une première atmosphère assez paisible ayant trait à l’activité économique de Brennan, un éleveur novice acquéreur d’une terre, essayant sans succès d’acheter un taureau au début du récit, ce qui inscrit le personnage dans une communauté humaine aux intérêts communs ; puis, l’atmosphère menaçante du reste du film, qui devient huis-clos lorsque Brennan est pris en otage par trois bandits lors d’une attaque de diligence. Parmi les otages, figure l’héritière d’un riche éleveur de la région, Doretta Mims (Maureen O’ Sullivan). Trahi par son lâche mari, qui suggère aux bandits de réclamer une rançon en négociant sa propre liberté, Doretta va se rapprocher de Brennan lors de leur captivité, ce qui répond à un autre besoin futur du personnage, non plus économique mais social et physiologique : se trouver une compagne. Rude traitement du reste que celui subi par Doretta dans le film en ce qui concerne les jugements à son endroit des personnages masculins.

On le voit, The Tall T est un film organisé de manière rigoureuse d’un point de vue narratif, où le destin va cette fois se révéler favorable à Brennan, le contraignant à une promiscuité forcée avec Doretta dans une cahute au milieu des rochers ocres dans l’attente du paiement de la rançon. L’attente est un des moyens cinématographiques privilégiés mis à la disposition du western, car les distances doivent y être couvertes, les espaces traversés. Il s’agit donc ici d’attendre un dénouement. De ce point de vue, The Tall T est tout entier tourné vers le futur du récit, ce qui est confirmé par la latéralité des plans orientés vers la droite, alors que le regard dans La Chevauchée de la vengeance (Ride lonesome) était tout entier tourné vers le passé mystérieux du cavalier solitaire joué par Scott, symbolisé par l’arbre en forme de croix tourmenté et l’horizon inaccessible. Dans l’exercice difficile du huis-clos, Boetticher peut compter sur son scénariste Budd Kennedy pour construire une dramaturgie, qui imagine trois figures de bandits assez disparates, dont l’éternel pistolero trop jeune et trop nerveux, et à vrai dire pas très intéressant, mais aussi un chef de bande assez étonnant : Frank Usher (Pat Boone). Frank est un bandit récalcitrant qui veut se ranger après un dernier coup. Il se prend d’amitié pour Brennan et se trouve bientôt dans la situation paradoxale de le préférer à ses deux complices, dont il ne supporte plus ni la bêtise ni la propension à tirer sur tout ce qui bouge. Ce film est décidément une histoire de rapprochement en tout genre.

Le spectateur est parfois tenté de souhaiter la rédemption de Frank, de le voir faire finalement ce que faisait Boone dans La Chevauchée de la vengeance (Ride lonesome), à savoir se racheter une conduite en devenant ami avec le héros. Mais il y a une grande différence entre les deux protagonistes, qui forment manifestement pour Burt Kennedy une variation sur la même idée de personnage : Frank est encore un assassin, dont la bande liquide pas moins de quatre personnes pendant l’enlèvement, dont un enfant jeté au fond d’un puits. Boetticher, au lieu de montrer son cadavre, filme le puits censé le contenir, économie de moyen qui force le spectateur à l’imaginer. Frank est donc encore en amont du développement de ce personnage de bandit qui veut devenir honnête. Il n’en est pas encore au point rejoint par Boone qui sauvait la vie de son ami dans Ride Lonesome. Donner du prix à la vie, a fortiori celle d’un enfant, voilà le plus juste de tous les critères de jugement et l’on comprend donc pourquoi le rachat de Frank, tout sympathique soit-il lorsqu’il s’esclaffe, est impossible. Manque également par rapport à La Chevauchée de la vengeance (Ride lonesome) une image visuellement aussi forte que l’arbre du pendu, qui pouvait prétendre aller au-delà de la seule intrigue du film. Cependant, la photographie du film, tourné très majoritairement en extérieurs, reste fort belle.

Notons le caractère assez incompréhensible du titre original dont la genèse est la suivante : le film fut adapté d’une nouvelle d’Elmore Leonard (dont les récits donnèrent aussi bien lieu à des westerns – 3h10 pour Yuma – qu’à des films policiers – Jackie Brown de Tarantino), dont le titre The Captives ne put être repris en raison d’un problème de droits d’auteur. Le film fut dès lors tourné sous le titre provisoire The Tall Rider (référence manifeste au maintien raide de Randolph Scott), qui fut changé au dernier moment en The Tall T, le « T » étant censé être une référence au ranch Teenvorde, sauf que celui-ci n’est mentionné qu’au début du film, dans la scène du taureau, ce qui en rend la signification particulièrement obscure.

Strum

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3 commentaires pour L’Homme de l’Arizona (The Tall T) de Budd Boetticher : rapprochements

  1. princecranoir dit :

    Il me semble que « the tall T » désigne aussi en anglais la potence, nous mettant immédiatement dans le bain de ces bandits cruels.
    En te relisant, me reviennent des images sombres du scénario, notamment cet enfant au fond du puits. Tu parles de l’arbre de Ride Lonesome, mais il y a je crois à la fin de celui-ci une mine qui n’est pas moins chargée de symbole.
    Reste que ce très bon western de Boetticher n’atteint pas la puissance Ride Lonesome selon moi, ni même celle des deux films majeurs de la série dont nous avions deja parlé.
    Je le suis encore régalé de ton texte qui donne envie de repartir vers ces contrées.

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    • Strum dit :

      The Tall T, la potence ? Not really. Potence, c’est plutôt gallows (« keep me from the gallows pole », chantait Led Zeppelin), potence dont on ne trouve de toute façon nulle trace dans le film. Je cite Boetticher qui ne savait pas non plus ce que cela signifiait : « It took Burt and me five months to discover why and what the ‘T’ stood for. There was another picture registered as The Captives, and rather than go to court over the title, some young executive in New York thought of The Tall T. We finally discovered the ‘T’ came from the first letter in ‘Tenvoorde,’ the owner of the ranch where Randy goes to buy the Brahma bull. » Sinon, il n’y a pas de mine chargée de symbole dans The Tall T, juste le réduit fonctionnel servant de prison aux captifs, qui est a priori l’entrée d’une ancienne mine, mais rien dans le scénario ou dans la mise en scène n’en fait un choix signifiant, rien d’équivalent visuellement en tout cas à l’arbre du pendu de Ride Lonesome. 😉

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  2. princecranoir dit :

    « The gallow is high and heaven is near » chantait aussi (entre autres) Johnny Cash dans « long black veil »… Je m’étais donc fixé sur une fausse idée.
    Pas plus d’éléments en effet dans la nouvelle de Leonard : « Je suis allé rendre visite à Teenvoorde pour voir s’il me vendrait des génisses et j’ai perdu mon cheval sur un pari » dit Brennan. Tout ce qu’on a sur ce fameux T.

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