Cuban Network d’Olivier Assayas : évènements sérialisés

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Tout récit d’espionnage fait face au même écueil : parvenir à dépasser la simple relation des évènements qui composent la surface du récit, rendre compte du jeu parfois imprévu des relations humaines, révéler le coeur battant des personnages et des interactions entre Etats. Il faut que le récit se fasse chair. De chair, c’est ce dont manque Cuban Network, qui doit condenser trop d’évènements pour franchir cet écueil. Olivier Assayas y décrit les actions du groupe d’espions cubains qui contrecarra les actions terroristes du réseau anti-castriste de Luis Posada Carriles dans les années 1990. La véritable nature de leurs actions nous est révélée au milieu du récit à la faveur d’un flashback, ce qui ôte au film une partie de son enjeu puisque le spectateur sait dès lors de quoi il retourne. Auparavant, les personnages jouaient le rôle, vis-à-vis des américains comme des spectateurs, de dissidents ayant fui leur pays où l’on manque de tout.

Assayas organise certes son récit avec une certaine efficacité, parvenant à entremêler des évènements historiques que le spectateur a connu (les attentats survenus à La Havane en 1997 pour le compte de la Fédération nationale cubano-américaine, l’arrestation des agents cubains à Miami en 1998), et la vie de l’agent Cubain René Gonzales (Edgar Ramirez) et de sa femme Olga (Penelope Cruz). De fait, on ne s’ennuie pas devant cette histoire qui se divise en deux lieux : La Havane et Miami. Mais l’imbrication de la vingtaine d’évènements du film, qui se déroulent sur plusieurs années, se fait au détriment des personnages. Quelques scènes éparses sont censées leur donner une épaisseur humaine,  notamment à travers leur vie de famille, mais elles sont trop courtes et échouent à donner un aperçu réel de leur psychologie, de leur rêves, de leurs failles, alors même que le film en se situant du côté des espions cubains prétendait lever le voile sur une réalité cubaine qui nous demeure largement inconnue. L’interprétation extrêmement sobre d’Edgar Ramirez n’aide pas à percer le mystère de son personnage.

Il en résulte une impression de survol, pareille à celle que donnerait une série, comme si le film courait derrière les évènements qu’il entend relater, au lieu de plonger dans les yeux des personnages. L’esprit de série, qui tient plus de la mécanique, du fonctionnalisme, que de l’organique, est toujours préjudiciable à un film. Fait défaut la capacité du cinéma à aspirer ses spectateurs à l’intérieur du film, aux côtés des personnages, à se substituer au monde réel le temps du récit. Au vu de la masse narrative qu’Assayas entendait raconter, il aurait été préférable, me semble-t-il, soit d’en faire une série, soit de réduire le nombre d’évènement à raconter en supprimant notamment le personnage superflu et opaque de la star cubaine qui se trouve au centre du fil narratif le moins convaincant, et ce afin de mettre plus en avant la vérité humaine du récit, lequel se serait alors concentré sur seulement deux ou trois personnages. Dommage car émergent au sein de cet ensemble décevant quelques séquences d’action bien mises en scène.

Strum

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12 commentaires pour Cuban Network d’Olivier Assayas : évènements sérialisés

  1. Marcorèle dit :

    Ça devient une habitude chez lui, les quelques scènes de réussies au milieu d’un film pas passionnant.

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  2. dasola dit :

    Bonsoir Strum, ce n’est vraiment pas le genre de film qui me tente. Et puis, je ne suis pas une grande fan d’Assayas. Bonne soirée.

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  3. Martin dit :

    Pour le casting et le sujet, le film m’a attiré, mais j’en ai eu lu des choses trop peu élogieuses pour me convaincre d’en faire une de mes priorités cinéma. Merci quand même d’en avoir parlé, Strum. J’aurais mieux aimé, je crois, un film d’action « pur et dur ».

    Au fait, sans vouloir te contrarier, le titre, c’est « Cuban network » (sans S)…

    Bonne fin de semaine, l’ami ! 🙂

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    • Strum dit :

      En effet pour le titre, merci Martin ! J’ai vu le film un peu par hasard, et je ne le recommanderais pas forcément même s’il y a des moments intéressants. Mais je n’aime pas trop les séries, genre auquel le film m’a fait penser.

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  4. Eh bien, voilà Assayas habillé pour l’hiver ! Et comme tu n’avais pas aimé le précédent, il est sur une mauvaise pente !

    Moi, je n’ai pas vu celui là (mais j’irai le voir si il sort chez moi) ni le précédent. Pour ce qui est d’Assayas, je suis resté à Personal shopper (pas aimé du tout), Sils Maria (génial), Après mai (formidable) et L’heure d’été (formidable aussi). Un bilan globalement positif comme dirait l’autre.

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    • Strum dit :

      Habillé pour l’hiver, je ne sais pas, car j’essaie d’expliquer ce qui m’a déplu tout en reconnaissant au film certaines qualités, mais il est vrai que j’ai parfois eu l’impression de voir une série – ce qui pour moi n’est pas un compliment.

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  5. Benjamin dit :

    C’et à moitié manqué. J’ai plutôt apprécié le portrait qu’il fait de ses personnages. Je me trouvais bien dans les scènes de famille ou au travail. Là, Assayas sait regarder les visages, les attitudes, il prend le temps avec ces plans. Mais c’est vrai que ces scènes sont écrasées par le reste, le factuel. Et le reste, c’est un pudding qui n’a pas suscité chez moi une grande excitation. Reste encore les acteurs et le sujet inédit. Disons que ça m’a rendu curieux de Carlos.

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  6. Benjamin dit :

    Oups. Le début de mon commentaire aussi EST à moitié manqué.

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