La Vérité d’Hirokazu Kore-eda : exils

la vérité

L’intérêt de La Vérité (2019) d’Hirokazu Kore-eda réside moins dans son sujet (la relation entre une grande actrice au soir de sa carrière et sa fille) que dans la question de savoir si l’on retrouve la patte du réalisateur dans ce film produit et tourné en France. Les exils occasionnels ont rarement réussi aux cinéastes, à quelques exceptions près. Si La Vérité tient de la récréation pour Kore-Eda, il y évite plusieurs écueils. Celui de l’exotisme d’abord (pas de plans emblématiques de Paris), celui de l’entre-soi ensuite (qui parasite certains films se déroulant dans les milieux du cinéma ou de la littérature, ainsi les derniers films d’Olivier Assayas). Bien que Catherine Deneuve y joue presque son propre rôle – celui d’une actrice légendaire au manteau léopard sur laquelle plane le fantôme d’une rivale trop tôt disparue, écho probable de Françoise Dorléac – l’admiration manifeste que lui porte Kore-eda ne le distrait pas outre mesure de son propre cinéma, qui résiste en partie au déplacement géographique. On le retrouve, ici, dans cette façon dont il filme l’arbre fleuri de la cour, là, dans un soudain plan de coupe du profil de Deneuve qu’un cinéaste français n’aurait jamais inséré, plus loin, dans ces scènes où il s’occupe du devenir de la petite-fille de la grande actrice vouée à reprendre le flambeau après le saut d’une génération. Chez Kore-Eda, c’est toujours l’enfant qui est le juge de paix, et cet enfant a les yeux qui brillent devant les artifices d’un tournage et les personnages de sorcière. Le legs familial est habituellement une malédiction pour le cinéaste, dont il faut se défaire ; dans ce film souriant et aimable, c’est un don. Hors le cadre de la société japonaise, Kore-eda se fait plus indulgent, trop doucereux regretteront peut-être certains, conformément à cette règle qui veut que l’on juge parfois plus durement son pays natal que le pays ami que l’on découvre.

La vérité dont parle le titre n’existe pas. C’est le titre de l’autobiographie de Fabienne (Catherine Deneuve), et l’on apprend bien vite qu’elle est mensongère ; une actrice ne peut prospérer dans la vérité. Dans la réalité, la vérité n’est pas moins insaisissable, car elle est propre à chacun, mère et fille choisissant du reste de se dissimuler certains pans de leur vie. Fabienne fut jalouse de la relation quasi-filiale que sa fille Lumir (Juliette Binoche) entretint autrefois avec sa rivale. Mais elle ne se résout à le révéler à sa fille que lorsque celle-ci revient la voir après un long exil aux Etats-Unis. L’exil, c’est aussi le sort de Fabienne, toute sa vie en exil d’elle-même, puisque sa personnalité d’actrice a recouvert tout le reste jusqu’à aspirer ses émotions. Etre actrice ou acteur, c’est ne pas être, c’est s’en remettre aux mots des autres, qui peuvent en retour vous berner. Lumir, elle-même scénariste, écrit pour les autres, écrit même des mots que sa mère pourrait utiliser dans son quotidien, car elle n’est pas parvenue à écrire sa propre vie sinon dans la fuite, loin de sa mère. A côté, l’exil relatif et temporaire de Kore-Eda, pour les besoins du film, n’est rien.

Hommage sincère et modeste à Catherine Deneuve, conçu par un artisan du cinéma ne reniant ni ses marottes, ni sa manière, La Vérité se laisse voir non sans plaisir et bénéficie d’une bonne interprétation de Deneuve et Juliette Binoche, vives et naturelles en mère et fille aux personnalité opposées. C’est assez pour satisfaire le spectateur prévenu contre de précédents exils de cinéastes moins convaincants.

Strum

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11 commentaires pour La Vérité d’Hirokazu Kore-eda : exils

  1. lorenztradfin dit :

    Ma compagne et une amie ont vu le film et se sont ennuyé (à mort). Tu as vu le film avec des yeux d’expert…. Moi j’avais entendu à la radio une interview de Miss Binoche qui m’a fait hésiter de regarder le film : les dialogues étaient – semble-t-il – tous improvisés, et c’était en fin de journée le travail des traducteurs pour permettre à Kore-eda de faire ses choix…. approche intéressante certes, et au vu de ta critique plutôt réussie, mais elle n’est pas suffisamment enthousiaste pour me pousser à le voir .

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    • Strum dit :

      Effectivement, je pense qu’on peut pas mal s’ennuyer pendant le film si on ne s’intéresse pas aux sujets dont je parle (la mise en scène de Kore-eda, et la mise en abyme relative à Catherine Deneuve). Après, l’ennui au cinéma n’est pas un mal en soi s’il donne l’occasion de réfléchir à un sujet. Pour ma part, je n’y serai pas allé si le réalisateur avait été un autre que Kore-eda. Un film mineur et dispensable certes, mais plaisant et bien joué.

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  2. Pas vu le film mais j’irai le voir dès qu’il sortira chez moi (et je te dirai ce que j’en pense).

    Tu dis L’intérêt de La Vérité (2019) d’Hirokazu Kore-eda réside (…) dans la question de savoir si l’on retrouve la patte du réalisateur dans ce film produit et tourné en France. Les exils occasionnels ont rarement réussi aux cinéastes et c’est exactement la réflexion que je me fais avant même d’avoir vu le film. Je jugerai sur pièce.

    Petite question qui m’a fait tiquer 🙂 , quand tu dis ainsi les derniers films d’Olivier Assayas , tu penses à quoi ? Pas à Sils Maria j’espère !

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    • Strum dit :

      Oui, je te lirai avec plaisir quand tu l’auras vu. Pour Assayas, je pense surtout au affreux Doubles vies !

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      • Pas vu ! Je l’ai donc échappé belle 😉

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        • Je reviens sur ce post Strum car j’ai vu le film hier (mon premier film au cinéma après la crise du COVID, une libération) et j’en pense … exactement la même chose que toi.

          Ce n’est pas un film indigne, même pas un film ennuyeux, mais quand on pense à la qualité de la production de Kore-Eda, on ne peut qu’être déçu. Comme toi je trouve le film trop gentil, « souriant et aimable » comme tu dis alors que le sujet ne s’y prêtait pas ».

          Mon post est moins indulgent que le tiens, mais je me laisse aussi (trop) souvent emporter 🙂

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          • Strum dit :

            Oui, c’est un film aimable, ce qui fait que les raisons pour lesquelles on peut le critiquer (trop aimable) sont aussi celles pour lesquelles on n’a pas envie d’en dire trop de mal non plus. Un film plus aimable que son sujet comme tu dis.

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  3. Pascale dit :

    Je pense que Kore Eda doit continuer de filmer le Japon et les japonais…
    Sa vénération pour Catherine Deneuve explose et je suis d’accord avec cette admiration mais le film m’a paru artificiel. J’ai trouvé Binoche mal à l’aise et l’exercice vraiment vain et pas bien passionnant.

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    • Strum dit :

      L’admiration de Kore-eda pour Deneuve n’est pas, elle, artificielle, donc cela passe et ça reste intéressant à mes yeux de voir un cinéaste en exil. Pour ma part, j’ai trouvé Binoche naturelle et donc bien. Disons que Kore-eda s’est fait plaisir le temps d’un film et je ne doute pas qu’il revienne au Japon pour les suivants.

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  4. Valfabert dit :

    Intéressante réflexion sur l’exil qui, dans la création artistique, peut fournir une distance précieuse dans certains cas (ici, rendre hommage à une actrice célèbre). Je n’ai pas vu le film mais je l’inscris dans la catégorie des films à découvrir, à l’occasion. Meilleurs voeux !

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