« Le 16 avril 1960, pendant une minute, nous avons été amis ». Dès le prologue de Nos Années Sauvages (1990), son deuxième film, Wong Kar-wai l’annonce : il sera un cinéaste de l’instant, qui filmera la minute, l’instant, où ses personnages auront été heureux et dont ils poursuiveront vainement le beau souvenir toute leur vie. Le cadre est ici celui du Hong-Kong des années 1960, et on retrouve déjà Leslie Cheung (Yuddi) et Maggie Cheung (Su), le couple séparé et malheureux des Cendres du temps.
Ce film est le récit d’une jeunesse perdue, qui se meurt de ne pas s’être trouvée. La parabole de l’oiseau sans pattes qui volera jusqu’à sa mort ne s’applique pas seulement à Yuddi, cette petite frappe élevée par une autre femme que sa mère, mais à tous les personnages du film. Aucun n’a trouvé de nid à son usage. Les récits entrecroisés dessinent une suite d’amours impossibles formant une seule chaîne d’êtres inconsolés : Yuddi aime sa mère qui l’a abandonné ; Su aime Yuddi qui l’a quitté ; Tide (Andy Lau), le policier, aime Su qui attend Yuddi ; Zeb (Jackie Chung) aime Leung (Carina Lau) qui n’a d’yeux que pour Ruddy. Wong Kar-wai attachera d’autres anneaux à cette chaîne dans ses films suivants, cercles où s’aperçoivent les images du passé, les flammes d’une chandelle. Pour lui, il n’y a pas d’amour heureux, il n’y a d’amour que dans la mélancolie du souvenir. C’est pourquoi Chungking Express (1994) et son histoire d’amour heureuse est un rayon de soleil dans son oeuvre, une parenthèse euphorique qui en est l’envers espéré.
Le Hong-Kong de Wong Kar-wai, c’est pour toujours celui de 1960, aux chambres exiguës et moites, aux couleurs incertaines, faiblement éclairé par des néons trépassés, cadre d’existences solitaires. Ce n’est pas seulement le Hong Kong d’avant la rétrocession à la Chine, c’est aussi le Hong Kong d’avant Wong Kar-wai, puisque lui-même, né en 1958 à Shanghaï, n’y est arrivé qu’en 1963. Peut-être recherche-t-il lui aussi, comme Yuddi, une mère qu’il n’a jamais connue, à tout le moins son image, lorsqu’il prétend recréer cette Hong Kong perdue dans les brumes du passé, qui l’enfantera en tant qu’artiste. Mais cette Hong Kong là, qui danse au son de tangos argentins venus d’on ne sait où, n’a probablement jamais existé.
Le tic-tac incessant des horloges dit la scansion du temps, les plans de montres récurrents égrènent la menace qu’il fait peser sur les personnages : il leur est compté. L’instant où se joue les destins est imperceptible, indicible, déjà évaporé quand surgit la conscience de son importance. La beauté n’est jamais notre présent, car elle est la nourriture d’un sentiment. Elle ne se reconnaît que rétrospectivement. Yuddi le dit lui-même : l’oiseau est déja mort le jour où il a laissé partir Su. Tout le film n’est que l’épilogue de sa vie, un épilogue assez minable où il prétend régenter la vie de sa belle-mère, terrorisant ses amants, accumulant pour lui-même des conquêtes parfois brutalisées et dont il se moque. La mise en scène de Wong Kar-wai, attentive aux personnages, l’accompagne dans ses errements, tantôt mélancolique, tantôt vive. Quelque fois, une femme plus énergique qu’une autre, tente de le sortir de sa langueur, ainsi le personnage de Carina Lau. Mais elle n’aboutit qu’à faire fuir Yuddi. Son voyage à Taïwan pour retrouver sa mère est voué à l’échec ; il pressent que c’est une vaine fuite en arrière plutôt qu’une avancée dans le temps car il « n’oublie pas ce dont il faut se souvenir ». Le tic-tac du temps l’avait averti. Mais déjà, le temps se penche sur un autre personnage, Tony Leung dans l’épilogue, qui annonce certains films de Wong Kar-wai à venir (à défaut de suite directe).
Echec commercial à sa sortie, Nos Années sauvages est aujourd’hui un classique du cinéma de Hong Kong qui exerce une séduction immédiate, qui exhale une mélancolie persistante. L’histoire, quoique déjà fragmentée, en est plus limpide que celles d’autres films qui vont suivre. Deux fidèles accompagnent Wong kar-wai, qui seront toujours à ses côtés : le chef-opérateur Christopher Doyle et un directeur artistique de talent, qui compte à son actif plusieurs grands films hongkongais contemporains : William Chang.
Strum
c’est ta période Wong Kar-Wai ?
ça nous rajeunit pas…
Manque « Chungking Express » avec la belle Faye Wong !
et « Happy Together » avec feu Leslie Cheung….
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J’ai eu ma période Wong Kar-wai et tout cela ne nous rajeunit pas en effet. Là, j’ai eu envie de revoir Nos Années sauvages après Les Cendres du temps, pour revoir Maggie et Leslie. Ca tient encore bien le coup. Quant à revoir les autres, et en particulier Chungking Express, mon préféré, cela attendra.
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« pour revoir Maggie et Leslie » : c’est dommage pour la photo d’illustration ; c’est Carina Lau et Jacky Cheung ! :))
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Ben oui, je sais. 🙂 Mais je ne fais pas de capture d’écran, et je n’ai pas trouvé d’image bien où on les voit tous les deux et comme je voulais la photo d’un couple… Et puis j’aime bien Carina Lau aussi.
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J’ai envie jai envie… 🙂
Je ne connaissais pas ce film.
car elle la nourriture d’un sentiment
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Donner envie est la mission de ce blog alors « mission accomplished » comme dirait l’autre je suppose. 🙂 Tu ne l’as jamais vu ? Merci pour la relecture.
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Non je ne crois pas l’avoir vu.
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