Âmes sensibles s’abstenir. Midsommar (2019) d’Ari Aster, entraîne le spectateur dans un maelström sensoriel qui entend restituer subjectivement les sensations des personnages, et en particulier de Dani (Florence Pugh), jeune américaine devant faire face au traumatisme du suicide de sa soeur, qui a de surcroit tué ses parents. Le film raconte comment une secte suédoise va prendre en charge sa douleur et lui apporter, telle une famille, la consolation que Christian, son compagnon, est incapable de lui donner. Aster oppose l’individualisme froid du groupe d’amis de Dani aux règles collectives de la secte qui sont observées religieusement par ses membres. Ces règles appellent des sacrifices primitifs sanglants censés purger la commmunauté de son mal sous la lumière du solstice d’été. C’est pourquoi chaque membre est vêtu de blanc : il s’agit de clamer son innocence, de résoudre les contradictions humaines, en reportant la faute sur autrui. Opportunément, les amis de Dani s’avèrent tous médiocres et décevants, ce qui leur fera plus facilement endosser (au sens littéral du terme) la tunique des boucs émissaires des cultes païens. C’est une facilité propre aux films d’horreur que de sacrifier des individus déjà coupables, affirmation de pulsions violentes taboues et appauvrissement ou retour au passé par rapport aux analyses de René Girard sur la violence et le sacré. Aster décrit le mécanisme par lequel les sectes endoctrinent leurs fragiles victimes, en leur apportant un prétendu réconfort psychologique que la société occidentale, en certaines de ses parties, en certains de ses lieux, ne serait pas à même d’octroyer.
Ce qui distingue Midsommar du tout venant du film d’horreur, cependant, ce n’est pas son sujet, qui n’est certes pas nouveau. C’est sa mise en scène. Aster sait que la première porte de l’horreur au cinéma, ce n’est pas l’image, mais le son. Dès les premiers plans, un chant lancinant enveloppe des plans d’arbres enneigés, voilés d’un rideau blanc. Ensuite, tandis que le lieu du suicide est exploré par des travellings d’une glaçante lenteur, l’horreur de la situation est amplifiée par un bourdonnement sonore très intrusif, comme d’une douleur venue du fond des âges, et par les hurlements de détresse de Dani. Le bourdonnement sonore continue lors de l’arrivée en Suède, où Dani a suivi Christian, venu avec des amis étudier les coutumes d’une communauté vivant en autarcie. S’y ajoutent des mouvements de caméra conçus pour dérégler et donc abuser les sens du spectateur avant même la rencontre avec la communauté d’Harga. On remarque en particulier des plans de drone pris du point de vue du ciel, qui non content de montrer le monde d’en haut, renversent à 360° l’image de la route, ce qui fait que le ciel blanc se retrouve alors sous nos pas. On ne peut montrer plus littéralement par l’image l’idée du dérèglement, du vertige, sensoriel. Ce renversement de l’image vers un espace ouvert annonce le principe esthétique qui va présider à la suite : c’est l’absence de barrière physique apparente dans le lieu communautaire, c’est la trompeuse ouverture topographique du lieu, fausse « société ouverte », qui vont engourdir et emprisonner mentalement les personnages, et indirectement le spectateur.
Cet assaut mené contre nos sens continue ensuite lorsque les personnages découvrent pour la première fois la communauté et ses rituels, à travers des plans subjectifs, les images des rêves de Dani, des fondus enchainés, une fusion des corps dans la lumière et le végétal, des sons étrangers, et surtout de subtiles distorsions des éléments du décor et des végétaux réalisées grâce à des trucages numériques, toutes les ressources visuelles et sonores du cinéma étant utilisées (y compris ce format peu usuel de 2,00:1 choisi à dessein) pour nous faire comprendre que la perception par Dani de son environnement se modifie. A ces modifications correspond une évolution de sa conscience qui est heurtée par l’indifférence et l’égoïsme de ses amis, mis à part Pelle, le membre de la secte qui les a amenés là. Ce quatuor représentant l’Amérique forme un groupe friable, où le chacun pour soi est la seule règle commune. Dans le même temps, Dani constate la capacité de la secte à l’accepter en son sein, via la cérémonie probablement arrangée de la Reine de mai qui achève de désorienter ses sens comme le suggèrent les mouvements de caméra tournoyants, et à aspirer sa douleur ; il en va ainsi dans la meilleure scène du film où Dani est entourée de « pleureuses » qui font écho à sa douleur, l’en délestant pour la transmettre à la communauté d’Harga. De tout temps, dans les communautés traditionnelles, cela a été la fonction des pleureuses que de soulager la famille en deuil. Dani se trouvera tout à fait libérée de sa douleur lorsqu’elle sera à même de couper le dernier cordon la rattachant au monde extérieur, son ami Christian. Ce n’est pas la seule chose dont elle se privera volontairement, car lui seront ensuite interdites la connaissance rationnelle du monde et la faculté de penser par elle-même. La secte possède en réalité beaucoup plus de tabous que le monde extérieur.
La réussite du film tient à ses redoutables suggestions visuelles et sonores qui nous font ressentir les sensations de Dani, son instabilité émotionnelle. Le spectateur se retrouve plongé dans une atmosphère de cauchemar cotonneux et doit se faire violence pour garder ses distances, sans toujours y parvenir. D’autant que plus l’image est blanche et lumineuse, plus ce blanc virginal sert à conjurer une violence cachée dans la terre et les cabanons, qui éclate ici et là en gros plans sanguinolents. Le numérique, en substituant la copie chirurgicale à l’imagination, a privé le cinéma d’horreur de l’ancienne poésie macabre du genre.
La limite du récit, propre à tant de films d’horreur, tient à la psychologie sommaire des personnages secondaires, presque tous réduits à des faire-valoir idiots, représentants repoussants du monde réel, victimes désignées des sacrifices propitiatoires à venir. Son autre limite, un peu plus dérangeante, et d’aucuns y verront une intéressante interrogation plutôt qu’une limite, c’est de donner de la société occidentale, du moins américaine, une image particulièrement froide et sinistre dans le prologue. Ces arbres enneigés du début, ne seraient-ils pas une représentation de la froideur et de l’indifférence du monde moderne plutôt qu’un avant-goût des forêts de Suède ? Dans ces scènes situées aux Etats-Unis, Dani ne fait montre d’aucun libre arbitre, trop esseulée et bouleversée, trop privée d’affection pour faire autre chose que de suivre les autres, de s’accrocher à Christian dans la réprobation générale, et l’horreur du monde réel n’est guère moindre que dans la communauté d’Harga si l’on en juge par l’épouvantable suicide familial (le lieu du suicide étant filmé là aussi via une caméra semi-subjective, ce qui est une tromperie car Dani n’est pas là). Au contraire même, puisque que l’on nous présente en surface cette communauté avec des images d’Epinal de jeunes femmes dansant et riant ; ne semblent y exister ni dissentiment, ni velléité de suicide, ce qui est une idéalisation des bénéfices de la secte car il est humainement impossible d’effacer les différences entre les individus sans contrainte, de prétendre réconcilier les contradictions humaines sans mensonge. C’est comme si le miroir qu’Aster nous tendait, si l’on tient le film pour un genre de fable, était d’abord fixé dans les images du prologue, dans la partie se déroulant aux Etats-Unis, où l’on meurt dans la souffrance et l’indifférence, plutôt qu’en Suède. Certes, les images gores sont là pour nous rappeler régulièrement que les sectateurs sont de sadiques assassins aux cerveaux ratatinés par trop de substances hallucinogènes, passé le mirage de l’impossible relativité culturelle, et qu’il faut prendre garde de ne pas laisser entre leurs mains les personnes les plus fragiles. Peut-être est-ce le lot d’un tel cinéma subjectif que de laisser au spectateur le soin de tirer les conclusions qu’il souhaite en fonction de sa propre sensibilité.
Strum
Je ne pense pas le voir.
Je ne comprends pas bien le sens et l’intérêt même après t’avoir lu.
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Il faut aimer se faire du mal. Certaines critiques m’ont rendu curieux bien que je ne sois pas très amateur de films d’horreur. Le réalisateur a un talent évident et c’est très bien fait, mais certaines scènes relèvent de l’épreuve (en tout cas pour moi) donc je ne te conseille pas vraiment le film.
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Les films d’horreur avec beaucoup de steacks tartares… j’ai du mal.
Je me dirige vers Une grande fille.
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Je n’ai pas vu Une Grande Fille mais son précédent film était assez dur.
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Suicide familiale filmé en caméra subjective ? Je n’ai pas vu la même chose…
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Ce n’était peut-être pas clairement écrit : c’est le lieu du suicide qui est filmé ainsi lors de l’intervention des secours, comme si nous étions présents, mais je ne voulais pas dire qu’il y avait un regard caméra bien sûr.
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Bonsoir Strum, j’hésite énormément. Ce qui me fait hésiter, c’est la durée du film et puis le sujet. Je n’arrive pas à savoir qu’est ce que cela raconte. Bonne soirée.
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Bonsoir dasola, tout ce que je peux te dire, en plus de ma critique, c’est que je me suis demandé pendant le film, à un moment donné, pourquoi je m’infligeais cela. Mais c’est très bien mis en scène. Bon courage. 🙂
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Bonsoir Strum,
Je suis quand même curieuse de découvrir cette version suédoise du film The Wicker Man (Le Dieu d’osier) du réalisateur britannique Robin Hardy. Un mélange des genres très spécial que j’avais bien apprécié. Tu l’as vu ?
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Bonjour Sentinelle, non, je n’ai pas vu The Wicker Man dont j’ai déjà entendu parlé mais je le verrais volontiers car c’était du temps où les films d’horreur n’étaient pas encore trop graphiques et suggéraient plutôt qu’lis ne montraient. Ce temps est passé.
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Je te le conseille vivement, d’autant plus que The Wicker Man est beaucoup de choses, mais pas du tout un film d’horreur. Un film étrange, déstabilisant, déroutant.
Ce temps est passé, comme tu dis. Il faut voir, en gros plans, que ça fasse le plus vrai possible, et filmer ces scènes avec une certaine complaisance. J’ai vu dernièrement J’ai rencontré le Diable de Kim Jee-Woon. Je m’attendais à un thriller très violent mais je me suis retrouvée dans un truc bien poisseux proche du film d’horreur.
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Merci du conseil en tout cas. Je verrai The Wicker man quand j’en aurai l’occasion. Comme tu peux le deviner, pas question pour moi de regarder J’ai rencontré le diable en revanche. 🙂
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Vu en partie hier soir, lâché l’affaire après 45 mns 😦
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C’est l’avantage de la salle : il est plus dur d’en sortir que d’arrêter un film chez soi. 🙂
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Je pratique les 2 sans la moindre difficulté. 🙂
++
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En salle je reste, sauf pour les films de Lars von Trier !
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Vu hier soir, dans ma salle personnelle. Etant plus féru que toi de ce genre d’épouvante, je n’ai pas eu envie de me sauver même si, je dois bien le reconnaître (et cela en fait à mes yeux un critère de réussite) j’ai été saisi par une sensation de malaise à mesure que le récit déroulait son propos. Pourtant, il ne m’a pas semblé qu’Aster faisait ici de la violence une forme de spectacle. Certes le film contient une part non négligeable d’images brutales et choquantes, mais il utilise tout de même intelligemment le hors-champ pour renforcer le malaise : ici la disparition est plus plus préoccupante que l’exécution. C’est assez fort de sa part tout de même de maintenir une telle tension alors que tout semble annoncé, notamment surces peintures qu’Aster montre à l’écran, ou sur ce rideau initial qui s’ouvrira sur le prologue traumatisant. Je te rejoins sur le portrait très sommaire des « invités » américains qui ne sont là que pour animer la galerie. Il va sans dire que l’intérêt du réalisateur va principalement vers Dani. Il parsème son environnement d’une foule de signes cryptés, le tout organisé autour d’une mise en scène qui peut rappeler celle de Kubrick à l’hôtel Overlook. Je lui trouve un certain talent, à commencer par celui d’explorer de nouveaux espaces d’exploration d’un genre qui manque actuellement cruellement de raisons de s’extasier.
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« de nouveaux espaces (d’exploration) » cela suffira 😉
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Ma foi, je reconnais volontiers la maîtrise technique du réalisateur et son talent pour susciter ce malaise dont tu parles même si en effet je préfère les films qui élèvent les spectateurs plutôt que les films qui cherchent à leur faire peur.
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