Glass de M. Night Shyamalan : trait d’union et conclusion

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M. Night Shyamalan clôt dans Glass (2019) la trilogie de films qu’il avait entamée avec Incassable (1999). On peut affirmer sans crainte de se tromper qu’elle aurait été différente si le réalisateur avait pu tourner les films à la suite d’Incassable comme il le souhaitait en 2000. Faute de perspectives commerciales suffisantes, Disney lui avait alors signifié qu’aucune suite au film de 1999 ne pouvait être envisagée. Le détour imprévu par le territoire du film d’horreur, via Split en 2017, oblige Shyamalan à un difficile exercice de réconciliation entre le ton initiatique d’Incassable et celui horrifique de Split, entre le super-héros ayant embrassé la cause du bien et l’homme brisé par ses souffrances devenu monstre. C’est Mr. Glass qui assure le trait d’union entre les deux univers ainsi que le thème qui imprègne tout le cinéma de Shyamalan : celui de la croyance. Toutefois, la réconciliation n’est qu’à moitié réussie. C’est une chose de retrouver les personnages d’Incassable à la fin de Split, surprise certes réjouissante pour le spectateur sur le moment, c’en est une autre de construire un film à partir de ces retrouvailles forcées par Shyamalan.

Au début du film, David Dunn (Bruce Willis) et « La Bête » (James McAvoy) sont arrêtés par la police et placés dans un établissement psychiatrique où ils rejoignent Mr. Glass (Samuel L. Jackson). Une psychiatre s’est mise en tête de les convaincre qu’aucun ne possède de capacités physiques ou intellectuelles surnaturelles leur permettant de s’arroger le titre de super-héros. Le spectateur, mis dans la confidence depuis deux films, sait pertinemment qu’elle a tort. Lorsque la psychiatre entend démontrer à ses patients que les superhéros n’existent pas et sont une aberration mentale, que le monde réel n’est pas celui des comics books Marvel, on imagine Shyamalan s’amuser derrière la caméra, filmer ses dialogues en simples champs-contrechamps regard caméra, comme s’il condamnait frontalement (condamnation déterminée par les champs-contrechamps) ou tout du moins remettait en perspective l’engeance des films de super-héros qui ont envahi Hollywood comme le lierre une vieille maison. Séduisante idée de mise en abyme. Mais comme souvent chez Shyamalan, la scientifique n’est pas le personnage que l’on croit ni la chute du film celle que l’on prévoit.

Car la deuxième partie du film laisse entrevoir un autre thème : celui de la normalisation imposée aux individus par le monde actuel. Ce n’est pas seulement La Bête qui serait dangereuse (par les morts qu’elle cause), mais David Dunn lui-même (par le caractère libératoire que ses facultés physiques hors normes pourraient avoir sur l’imaginaire des individus). Ce qui fait que tant La Bête que Dunn deviendraient des ennemis à abattre pour les pouvoirs en place. Cela, seul Mr. Glass le comprend, lui qui croit depuis le départ que la vérité du monde se niche dans les comics books de superhéros. On en revient donc dans le film à ce thème cher à Shyamalan qui est celui de la croyance. Croyance (certes naïve) qui permettrait à chacun de réaliser son potentiel quand le principe d’une normalisation de tous les individus leur impose de suivre une voie déjà tracée. La mise en abyme est à nouveau possible si l’on se réfère à notre monde contemporain, mais elle donne un résultat entièrement différent de ce que l’on imaginait initialement quand on croyait que le film s’en prenait surtout aux films de superhéros gavés aux effets spéciaux à l’instar d’oies trop grasses.

Tout cela rend le film intéressant par ses thèmes et difficile à prévoir quant à son déroulement (marque de l’auteur), mais également plus théorique, bien moins efficace du point de vue de l’efficacité narrative que ses prédécesseurs Incassable et Split qui étaient plus unis, et donc plus convaincants dans le genre du fantastique. L’esprit de série est également bien davantage présent ici qu’auparavant ce qui est logique puisqu’il s’agissait de relier, de repriser, plusieurs fils narratifs épars venus de deux films différents (qui finissent par former trois paires : chaque super-héros est lié à un personnage humain normal qui le soutient et apporte au film sa part d’émotion). Le film, quoique décevant, ne donnant peut-être pas un rôle suffisant à David Dunn, n’en reste pas moins une conclusion estimable à cette trilogie de films compte tenu des difficultés scénaristiques qui se présentaient. Et bien qu’on trouve ici davantage de scènes d’action que dans Incassable, elles restent à la marge ; il est agréable de voir un affrontement final à hauteur d’hommes, modeste, à terre sur un gazon, et non pas en haut d’une tour en flamme au nom de je ne sais quelle improbable et déréalisante pyrotechnie.

Strum

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5 commentaires pour Glass de M. Night Shyamalan : trait d’union et conclusion

  1. Ronnie dit :

    Superheroes will be Shattered 😉

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  2. Benjamin dit :

    Beh en fait je te suis très bien et sur toute la longueur. Une fin estimable, ça me va.

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