Vera Cruz (1954) de Robert Aldrich est un grand film d’aventures picaresques autant qu’un western. Ici, tout le monde trompe tout le monde, les décors mexicains baroques et les diagonales du cadre intègrent dans l’image des éléments disparates qui préfigurent les retournements de situation constants (il faut dire que le film était écrit au jour le jour), et Burt Lancaster rayonne en crapule charismatique face à un Gary Cooper qui tente tant bien que mal de sauver l’honneur du cow-boy américain. Le cynisme du film anticipe de plusieurs années les films de Peckinpah et Leone, à ceci près que chez Peckinpah, une atmosphère mélancolique teinte le cynisme de regret, tandis que chez Leone, le lyrisme recouvre de ses fastes le fond désabusé. Dans Vera Cruz, au contraire, le cynisme ambiant n’a nul besoin des auxiliaires du regret et du lyrisme. Il est si bien accepté, semble tellement faire partie de l’état naturel des choses, que Robert Aldrich en tire la raison d’être des nombreuses péripéties du film qui lui confèrent son dynamisme : quand Joe Erin (Lancaster) vend un cheval volé à Ben Trane (Cooper) on s’en amuse, quand il prend en otage des enfants pour se défaire d’un piège on ne s’étonne déjà plus, et quand Erin et Trane rejoignent les révolutionnaires de Juarez qui ont pour eux le sens de l’Histoire (le rideau tombe pour l’Empereur Maximilien soutenu par Napoléon III), on sait que ce n’est qu’une alliance de circonstances aux fins de s’approprier un trésor.
Seule une aventure collective semble être à même de donner un sens à cette vie de coups fourrés et de poignards plantés dans le dos, et c’est elle que recherche Ben, dans la cause perdue de la Guerre de Sécession ou à défaut dans les soubresauts de la révolution mexicaine. Les autres cow-boys, Joe et consorts, sont des exclus du territoire du western américain d’alors, ricanant de leur propre turpitude, moins des perdants (ils n’ont rien perdu d’un honneur qu’ils n’ont jamais connu) que des individus poursuivant sans scrupules leurs propres objectifs, armes au poing. Joe est un bandit inconscient, sans foi ni loi, mais un inconscient heureux et Lancaster, sourire éclatant de blancheur, lui prête une incroyable vitalité. C’est Ben qui est malheureux, pour lui-même mais aussi pour Joe. L’honneur, cette ancienne valeur, est du côté des mexicains, que les westerns américains ont plus d’une fois ridiculisés (jusqu’au Rio Bravo de Hawks), renversement de perspective sur lequel repose le film et qui est revendiqué par Aldrich. Le principe du renversement, de perspective, d’alliances, d’angles de prise de vue, est au coeur de ce film, comme d’autres films d’Aldrich, notamment ceux prenant le point de vue des indiens. Ernest Borgnine, Charles Bronson et Jack Elam prennent leurs marques avant de s’imposer chez Peckinpah et Leone. La superbe musique d’Hugo Friedhofer, non exempte de mélancolie pour le coup, sert d’agréable contrepoint.
Strum
PS : le film est en Superscope (2:1), un format intermédiaire qui ne parvint jamais à s’imposer mais Aldrich en tire ici le meilleur parti.
Le dernier film de Charles Buchinsky dont je me souvienne 😉
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Oui, il ne s’appelait pas encore Bronson, mais j’anticipe, comme Aldrich. 😉
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Burt Lancaster : Les plus belles dents du cinéma… Mais rares étaient les cowboys à en avoir d’aussi éclatantes ; ) Excellent western!
PS : avez-vous vu Naked Kiss ?
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Dents blanches, haleine fraiche, Joe Erin ! Oui, les cow-boys avaient plutôt les dents de Jack Elam que de Burt Lancaster à mon avis. 🙂 Pas encore vu The Naked Kiss, mais j’espère pouvoir le voir bientôt.
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Ca y est, j’ai vu The Naked Kiss ! Ca m’a drôlement plu.
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Ça augure une chronique !
Moi hier soir j’ai été ébloui par Le Plaisir… Mais c’est un autre sujet.
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Oui, tout à fait, j’en ferai une chronique prochainement. 🙂 Le Plaisir : film magnifique, chroniqué ici par votre serviteur si vous voulez en parler.
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Oui, cynisme, anti-héroïsme, le film donne vraiment l’impression qu’Aldrich filme ici en totale liberté, totalement affranchi des conventions hollywoodiennes (un peu comme à chacun de ses films, en fait, qui transcendent les différents genres qu’il a pu traiter).
E.
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Je ne suis pas sûr qu’il transcende les genres qu’il touche pour autant, mais c’est sûr qu’il prend un malin plaisir à renverser leurs conventions. Mon film préféré d’Aldrich doit être Fureur Apache (mais je suis loin d’avoir tout vu).
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Fureur Apache est également mon Aldrich préféré devant Véra Cruz et Baby Jane. Il a su imiter parfaitement certains motifs d’un de mes peintres préférés, Frédéric Remington, dans ses westerns.
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Il y a quelques jours, j’ai lu la critique publiée sur le site Critikat à l’occasion de la ressortie sur nos écrans de ce Vera Cruz, et sa lecture avait alors aiguisé ma curiosité. Ton avis éclairé m’a aujourd’hui convaincu de sauter le pas. Ça colmatera ma faible culture du genre western.
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Et si tu poursuis tes découvertes, tu verras que c’est un des genres les plus riches et les plus divers de l’histoire du cinéma.
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