Un beau soleil intérieur de Claire Denis : tours en rond

sourire intérieur

Un beau soleil intérieur (2017) de Claire Denis est un film qui n’est pas ce qu’il voudrait être et est ce dont il se défend. C’est l’histoire d’une femme déprimée et un peu perdue à la recherche du grand amour. Isabelle (Juliette Binoche), une artiste-peintre, fait l’expérience d’une succession de déceptions amoureuses. Sur un tel canevas, Hong Sang-soo nous séduit souvent par ses inventions narratives. En d’autres temps, Rohmer en faisait des films où le plaisir du discours amoureux ne le cédait qu’au charme des jeux de l’amour. Hélas, on ne retrouve ici ni le talent ludique de Hong Sang-soo ni la langue riche de Rohmer. D’ailleurs, les histoires sont prises en route, sans l’avantage ou la nouveauté de la rencontre. Seule exception : une scène de danse muette. Pour le reste, ce n’est qu’une suite de séquences verbeuses où la pauvreté du langage rend un son creux. Les phrases que répète Isabelle, son incapacité à dire ce qu’elle ressent vraiment, trahissent moins les hésitations d’une amoureuse incertaine qu’une médiocre recette littéraire (Christine Angot co-signe le scénario, ce qui explique sans doute bien des choses). Lorsqu’Isabelle rencontre un comédien alcoolique et velléitaire (Nicolas Duvauchelle), elle lui lance : « on a tourné en rond toute la soirée« . C’est précisément ce que l’on ressent, l’impression de tourner en rond, de piétiner pendant toute la durée du film.

D’aucuns trouveront peut-être dans cette identification du film avec les frustrations et les expériences de l’héroïne une manière de rendre compte de son état d’esprit. Le film accéderait ainsi aux sentiments intérieures d’Isabelle, ceux-là même qu’elle ne parvient pas à traduire en mots par le langage. C’est d’ailleurs la raison d’être du récit. Mais cette absence totale de recul sur le personnage, cet égotisme, produisent un film auto-centré qui épuise vite sa matière fictionnelle. Il y a là comme une incapacité à imaginer d’autres expériences humaines, d’autres vies, que celle d’Isabelle. Les autres personnages versent presque tous dans la caricature, alimentée par une vision très marquée des rapports de classe. Isabelle ne cesse ainsi de rencontrer des hommes cherchant à l’acheter et témoignant d’un mépris de classe qui la réduit au rang d’objet : un affreux banquier joué par Xavier Beauvois (un banquier, c’est forcément odieux et méprisant), un galériste qui intime à Isabelle de ne fréquenter que des gens de « son milieu » et pense pis que pendre des gens touchant le RSA et même un homme dans la rue qui lui parle régulièrement de sa maison dans le Lot. On est sans doute censé rire de ces stéréotypes. Je n’y ai vu pour ma part qu’une somme de clichés et de préjugés qui érigent la barrière que le récit prétend dénoncer. Mais ce film, où le personnage principal tente justement de franchir l’invisible barrière qui l’empêche d’exprimer son monde intérieur, n’est pas à une inconséquence près. Ce monde intérieur, c’est « le beau soleil intérieur » dont parle le titre et que l’on cherchera vainement ici. Juliette Binoche, très juste, ne ménage pourtant pas sa peine. Sa présence naturelle et son sourire rare mais radieux, et la scène qu’elle partage avec Depardieu (étonnant en radiesthésiste improbable, rôle trop court), confèrent au film son seul semblant d’intérêt

Strum

Cet article, publié dans cinéma, Cinéma français, critique de film, Denis (Claire), est tagué , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

9 commentaires pour Un beau soleil intérieur de Claire Denis : tours en rond

  1. Martin dit :

    Hum… je te trouve sévère, mais assez juste, finalement. Ce film m’a laissé un arrière-goût de frustration. Le talent de Juliette Binoche méritait mieux que cet inventaire du non-amour.

    La scène finale ramène un peu d’éclat au tout, mais il fallu, histoire de me gâcher le plaisir, que l’exploitant du cinéma rallume la lumière sitôt le premier nom apparu, tandis que notre Gérard Depardieu parlait encore.

    L’impression, donc, d’être vraiment passé à côté du truc, un peu trop « intello »…

    J’aime

    • Strum dit :

      Cela fait longtemps que je ne m’étais pas autant ennuyé au cinéma. Je rends au film ce qu’il m’a fait. 🙂 Même frustration que toi pendant la scène finale. C’est la meilleure du film et c’est incongru d’y faire défiler le générique. J’ai trouvé cela moins intello que caricatural.

      J’aime

  2. pascale265 dit :

    Ce film est ennuyeux et les dialogues d’une prétention sans nom. Il ne doit y avoir que C. Angot qui parle ainsi. Le summum étant le dialogue entre Juliette et duvauchelle a propos de l’avant et l’après…j’avais honte pour eux qu’ils aient osé proférer ces âneries.
    Quant à la galerie de portraits masculins… c’est consternant.
    Le film est à l’image de sa scène inaugurale: Binoche et Beauvois au lit pendant 10 mn !!! Ils ne parlent pas mais ce qu’ils font, enfin la façon dont ils le font, est du même niveau que les dialogues: consternant.

    Depardieu ne relève pas le niveau, c’est impossible, il fait mieux, il emporte avec génie la dernière scène inexplicablement filmée sur le générique qui défile. Sa voix, son regard, son faible sourire sont prodigieux.

    J’aime

    • Strum dit :

      Oui, les dialogues sont très mauvais et surtout très répétitifs – le même procédé est utilisé à chaque fois. Depardieu a la chance de pouvoir dire un texte moins mauvais que le reste, et l’intensité qu’il met dans le rôle fait le reste. En contrechamp, Juliette Binoche est très bien (quel beau sourire elle a).

      J’aime

  3. tinalakiller dit :

    ET BIEN BIIIIIMMMM !!!!!!
    (j’ai vu justement qu’Angot était au scénario : même pas la force d’aller le voir au cinéma),.

    J’aime

  4. kawaikenji dit :

    Mais qu’a Claire Denis pactisé avec la papesse de l’autofiction putassière et baveuse et l’endive en chef du cinéma français ? deux bonnes raisons de se vautrer ! en tout cas tu es bien courageux de te taper ce genre de trucs…

    J’aime

Laisser un commentaire