Je signale la rétrospective du cinéaste américain d’origine autrichienne Josef von Sternberg en cours à la cinémathèque française à Paris (jusqu’au 25 septembre 2016). Le programme est ici :
http://www.cinematheque.fr/cycle/josef-von-sternberg-353.html
Sternberg fut un des grands cinéastes baroques (baroque par son style visuel, qui annonce Welles, et par le jeu des passions humaines qui traversent ses films). Ses sept films avec sa muse Marlène Dietrich (série qui court de 1930 à 1935 et comprend L’Ange Bleu, Morocco, Agent X27 (mon préféré), Shanghaï Express, Blonde Venus, L’Impératrice rouge, La femme et le pantin) tournent autour du thème du voilement et du dévoilement des passions. Marlène y joue presque toujours une femme contrainte de cacher ses vrais sentiments, sous peine d’être sanctionnée par la société, le monde. Parfois, elle parvient à maitriser ses émotions et peut alors dominer son entourage ou simplement maitriser la situation, parfois elle n’y parvient pas, donne libre cours à ses passions, et en paie le prix.
Ce thème est porté par les images de Sternberg où il trouve, dans l’ordre plastique, sa traduction de deux manières :
D’une part, par l’entremise du visage de Marlène Dietrich. C’est un visage double, extraordinairement expressif : il peut être soit celui d’une femme-enfant effrayée, qui semble perdue (c’est le visage de Marlène quand elle a dévoilé ses sentiments et ses peurs, quand elle s’est mise à nu, et lorsque ce visage finit par devenir las et mélancolique, il est très émouvant), soit celui d’une femme qui dissimule sa vraie nature, qui s’efforce de dominer ses sentiments et ses pulsions (c’est alors un visage voilé, et c’est le visage que la postérité a retenu de Dietrich, mais qui n’est pas forcément le plus beau).
D’autre part, au travers des cadrages de Sternberg, qui sont souvent (surtout dans les derniers films avec Dietrich) pleins d’un bric à brac (comme Welles plus tard), qu’emplissent des objets au premier plan, qui sont autant de voiles placés là pour dissimuler les passions que le monde d’alors ne tolérait que difficilement quand elles étaient revendiquées par une femme (la société a toujours eu du mal à tolérer les « larges et impulsives natures » chez les femmes, pour reprendre les mots de Thomas Hardy quand il évoque l’héroïne de son roman Tess d’Uberville). Les voilages, les surimpressions, qui apparaissent à l’image sont de l’ordre des paradis artificiels : une fois levés, ils dévoilent la situation fragile de ce personnage de femme devant faire face aux conventions sociales de son temps.
Sternberg ne se remit jamais tout à fait de sa rupture avec Marlène Dietrich. Il ne réalisa que cinq films après les années 1930 et sa filmographie est relativement courte pour un talent de son envergure.
Je n’ai vu aucun de ses films muets, qui ont pour certains une très bonne réputation.
Une rétrospective à ne pas manquer.
Strum
Je viens juste de voir Blonde Vénus, Agent X27 et Shanghai Express. Je devrais en janvier animer un séminaire metteur en scène/actrice fétiche, muse, etc… Le couple Sternberg/Dietrich devrait être le premier. Bonne journée.
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Chouette. Les films t’ont plu ? Bonne idée de séminaire, et effectivement, le couple Sternberg – Dietrich est un duo de choix pour l’inaugurer. Quels seront les autres couples ?
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Oui, ,je n’avais jamais vu ces trois là. Blonde Vénus notamment est assez différent de l’image Marlene espionne-fatale-aventurière. Six autres couples normalement. Rossellini/Bergman, Antonioni/Vitti, Cassavetes/Rowlands, Bergman/Ullmann, Allen/Keaton, Almodovar/Maura.
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Tout à fait pour Blonde Venus, c’est pour cela que j’écrivais dans mon texte qu’elle était un personnage double (avec ce visage double si particulier, tantôt sûr de lui et dominateur, tantôt ingénu et victime ; on oublie trop souvent ce dernier visage). Beau programme de couples sinon.
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Tu as tout à fait raison Strum. D’ailleurs, je me demandais pourquoi j’appréciais autant Marlene, alors que je ne suis pas spécialement fan des personnages de femmes fatales en général. Mais c’est parce qu’elle peut aussi présenter cet autre visage, plus vulnérable et plus touchant, même s’il n’apparait que subrepticement. Tu as mis en évidence quelque chose que j’avais perçu inconsciemment 😉
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Je complète mon commentaire. J’avais d’ailleurs publié une photo de Marlene il y a quelques mois : http://livresque-sentinelle.blogspot.be/2015/11/une-photo-en-passant-marlene-dietrich.html
On retrouve cet air mélancolique et pensif, même si voilé et caché derrière une posture.
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Quel beau programme ! A quand le même à la Cinematek de Bruxelles ? Cela me fait penser que je dois aussi présenter un cycle qui me tente particulièrement. J’aime en tout cas beaucoup le couple Sternberg – Dietrich et j’ai vu (et beaucoup apprécié) récemment Shanghaï Express et L’Impératrice rouge. A propos, je dévie un peu mais comme on parle de réalisateur allemand, je te conseille le roman « Retour indésirable » de Charles Lewinsky (tu trouveras la chronique sur mon blog), à propos du chanteur, comédien, metteur en scène et réalisateur Kurt Gerron. L’Allemagne connait à cette époque un essor culturel considérable et nous côtoyons les stars de l’époque à travers les réminiscences du passé de Kurt Gerron, tels que Bertolt Brecht, Marlène Dietrich, Peter Lorre, von Sternberg, Emil Jannings, Georg Wilhelm Pabst ou Max Reinhardt. Un très bon roman sur un artiste oublié aujourd’hui, en tout cas, je ne le connaissais pas avec cette lecture.
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Merci du conseil, Sentinelle. Je ne connaissais pas non plus Kurt Gerron et ce livre a l’air effectivement très intéressant – je le note pour plus tard.
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Au temps pour moi, Josef von Sternberg est autrichien et non allemand. La présentation du réalisateur par Jean-François Rauger, disponible sur le site de la cinémathèque (cf ton lien) est vraiment très intéressante. Je n’avais jamais visité ce site mais je vais dorénavant m’y rendre plus souvent 🙂
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Oui, il est d’origine austro-hongroise ; contrairement aux autres cinéastes de langue allemande émigrés aux Etats-Unis pendant le vingtième siècle, lui y est arrivé assez tôt (j’avais relevé ton « comme on parle d’un cinéaste allemand », mais je me suis concentré sur Kurt Gerron dans ma réponse. 😀 )
Les textes de présentation de Jean-François Rauger sont de qualité en effet.
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