Minuit à Paris : le Paris rêvé de Woody Allen

Afficher l'image d'origine

Pour Woody Allen, il en est des villes comme des films : ce sont des portes d’accès à son cinéma. Jadis, c’est New York qui offrait à Allen sa silhouette de ville debout, et lui inspirait une représentation largement imaginaire de la ville. On oublie parfois que Manhattan (1979) lui valut à sa sortie les foudres de certains critiques américains, rétifs aux représentations rêvées du monde. Dans Minuit à Paris (2011), après d’autres villes européennes, c’est Paris qui fournit à Allen le cadre de ses rêveries. Un Paris méconnaissable pour qui l’habite bien sûr, vidée de son atmosphère réelle et de ses aspérités. La série de plans en forme de cartes postales ouvrant le film au son de Sydney Bechet annonce d’emblée la couleur : Woody nous emmène dans un Paris fantasmé.

Devant les premières scènes dialoguées du film, on se réjouit d’ailleurs de voir le récit bifurquer très vite vers la veine fantastique de la filmographie d’Allen, où l’ont précédé plusieurs films (La Rose Pourpre du Caire, Zelig, Alice). Le début du film est en effet marqué par un défaut propre à certains films d’Allen des années 2000 : un manque d’empathie pour certains personnages, qu’il caricature volontiers, comme ici les insupportables parents de la fiancée superficielle de Gil, qu’Allen exécute à chacune de leurs apparitions (regards pincés de la belle-mère, allusions aux « pervers déments » du tea party), sans compter ce portrait d’un universitaire imbu de lui-même. C’est que c’est surtout du personnage de Gil Pender (Owen Wilson), scénariste hollywoodien en voyage à Paris, et ceux imaginaires du Paris du début du XXe siècle, dont le réalisateur entend parler. L’origine du film est d’ailleurs autobiographique (pendant le tournage de Quoi de neuf Pussycat (1965), Allen eut envie de fausser compagnie à Hollywood qui maltraitait son script et de s’installer à Paris).

Minuit à Paris ne démarre donc vraiment que lorsque Gil, assis sur les marches de l’Eglise Saint-Etienne-du-Mont, voit soudain surgir devant lui aux douze coups de minuit le Paris des années 1920, comme s’il voyageait dans le temps. Cette idée de conte de fées permet à Woody Allen de mélanger une fois de plus le réel et l’imaginaire. Le film se fait alors plus vif et tendre, plus drôle aussi. Le fantasme que Paris inspire à Allen, c’est de rencontrer les artistes mythiques vivant à Paris dans les années 1920. Ce que voit Gil, c’est un Paris qui n’a jamais existé, un Paris tel qu’il le rêvait ; comme Cécilia le temps d’un dîner dans La Rose Pourpre du Caire, Gil passe de l’autre côté de l’écran, du côté de la fiction. De ce côté-là, les rêves les plus fous de Gil se réalisent : Hemingway et Stein lisent et commentent son livre, le sacrant grand écrivain ; Gil se permet de souffler à Bunuel le sujet de son Ange Exterminateur ; son visage inspire Dali, ses histoires Man Ray, etc. On voit à cette énumération incroyable que l’on se situe dans le domaine des purs fantasmes. Lors de ces scènes, le film témoigne d’un enthousiasme enfantin et la joie de Gil se communique au spectateur, qui rit de plaisir. La photographie de ce Paris imaginaire des années 1920, signée par un Darius Khondji forçant sur l’étalonnage, reproduit les teintes caractéristiques des films de Woody ayant lieu dans le passé, avec l’orange, le rouge et le jaune comme couleurs dominantes. Quant au découpage du film, il retrouve lors de ces scènes du Paris un peu de vigueur, sans toutefois recouvrer la rapidité d’exécution qui donnait ce caractère pétillant aux chefs-d’oeuvre d’antan (Susan Morse, monteuse historique d’Allen, ne pourra jamais être remplacée).

A un moment, alors qu’alternent virées dans ce Paris rêvé et douches froides de la réalité, on craint que le film ne finisse par se répéter, jusqu’à ce qu’une autre idée, celle d’un nouveau glissement temporel, de 1920 à 1890, relance son intérêt et permette d’en énoncer la morale : on est toujours insatisfait de son époque, mais c’est la seule qui ne soit pas une illusion. La Rose pourpre du Caire le disait autrement, en renversant cette morale : les personnages de fiction veulent davantage de réalité car ils sont illusions. Woody Allen a toujours aimé faire dire la morale de ses récits par ses personnages ou une voix-off, jusqu’à abuser parfois du procédé. Ici, cela fonctionne parce que Gil énonce cette morale pour se convaincre lui-même qu’il doit retourner dans le Paris du XXIe siècle.

La fin du film retombe dans le fantasme. Gil rencontre une jolie femme sur Le Pont Alexandre III et part avec elle. Dans La Rose Pourpre du Caire, Cécilia demeurait seule, Tom l’ayant abandonné pour repartir à Hollywood. Pauvre, sans travail, sans avenir, vivant à l’époque de la Grande Dépression, bref, à des années lumières des palaces parisiens de Minuit à Paris et du Pont Alexandre III, il ne lui restait que ses yeux pour pleurer, sa vie à maudire, et le cinéma pour rêver. En 1985, les rêves et la légèreté apparente de son style n’empêchaient pas Woody Allen de nous parler aussi de notre monde. A défaut d’être un film du même calibre, Minuit à Paris nous fait passer un très agréable moment.

Strum

Cet article, publié dans Allen (Woody), cinéma, cinéma américain, critique de film, est tagué , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

7 commentaires pour Minuit à Paris : le Paris rêvé de Woody Allen

  1. modrone dit :

    Je l’aime bien ce film. Et je ne me pose pas trop des questions sur les différentes périodes de W.A. J’ai bien sûr quelques films plus chéris que d’autres mais même les moins bons sont intéressants.

    J’aime

  2. Strum dit :

    Bonjour eeguab. Si J’aime autant Woody Allen, c’est pour ses chefs-d’oeuvre de son âge d’or (Crimes et Délits, Hannah et ses soeurs, Une autre femme, Annie Hall, La Rose pourpre du Caire, etc.), donc dès que je peux dans un article rappeler que ses films d’aujourd’hui ne sont plus du même niveau (même si ce Minuit à Paris est parfois charmant), je le fais au cas où un lecteur ne les aurait pas encore vus et ne connaitrait que ses films des années 2000. Cela ne m’empêche pas de rester un spectateur fidèle de son cinéma et d’avoir vu tous ses films.

    J’aime

  3. modrone dit :

    Allez je te fais un petit quarté vite fait, Manhattan, September, Annie Hall, Une autre femme. Mais tout de suite d’autres me viennent, Intérieurs, La Rose Pourpre…, Alice, Hannah… Exercice quasiment impossible. Woody et les robots est le seul que je n’ai jamais réussi à voir. Bon dimanche. J’aime énormément l’atypique Cassandra’s Dream.

    J’aime

  4. 2flicsamiami dit :

    C’est une bien jolie escapade dans l’age d’or de la pensée parisienne que nous offre ici Woody Allen. Une belle réussite.

    J’aime

  5. Ping : Café Society de Woody Allen : choisir, c’est regretter | Newstrum – Notes sur le cinéma

  6. Valfabert dit :

    Les scènes du Paris imaginaire des années 20 ont en effet plus de vigueur que les autres, nettement inférieures. En particulier, la première incursion de Gil dans le passé (notamment sa rencontre de Zelda et Scott Fitzgerald) me paraît très réussie, toute de légèreté et d’humour.
    Le côté kitch de la photographie relève d’un choix esthétique qui peut se défendre. Toutefois, sur le traitement de l’image, il me semble que la dernière scène (sur le Pont Alexandre III), scène nocturne située dans le Paris contemporain, aurait mérité de ne pas être suréclairée. Ce faisant, elle aurait peut-être mieux exprimé ce moment où Gil, ayant quitté le fantasme de l’âge d’or, se met à envisager les choses autrement et apprécie la rencontre d’une personne ordinaire (la jeune vendeuse succédant aux célébrités mythiques).
    Au regard de certaines idées qui charpentent le scénario (l’artiste doutant de son talent et faisant des allers-retours entre passé et présent, « l’âge d’or » qui se dérobe au fil des glissements temporels successifs, le choix final d’un retour au présent et au monde ordinaire), je serais prêt à parier que Woody Allen a vu et estimé « Les belles de nuit » (1952) de René Clair

    J’aime

    • Strum dit :

      Je suis d’accord avec toi s’agissant de l’éclairage de la scène finale. Je ne suis pas très amateur de la photographie des derniers Woody Allen de manière générale. Je n’ai pas vu Belles de nuit de René Clair, mais ce que tu dis est fort possible car il garde une notoriété parmi les cinéastes américains qu’il a perdue chez nous.

      J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s