
Chez Fritz Lang, l’homme qui a été marqué par le destin ne peut y échapper, comme si le cinéaste lui attribuait un « signe » reconnaissable, pareil à celui de Caïn. Mais cet homme peut espérer bénéficier d’un sursis s’il le mérite. C’est ce qui arrive à Vance Shaw (Randolph Scott) dans Les Pionniers de la Western Union (1941), deuxième western réalisé par Fritz Lang. Hors-la-loi en fuite, Shaw sauve la vie d’Edward Creighton, ingénieur à la Western Union en charge du déploiement d’une des premières lignes télégraphiques de l’Ouest américain, entre Omaha et Salt Lake City. Cette bonne action lui est rendue lorsque Creighton fait plus tard de lui, en connaissance de cause, l’un des hommes clés de son expédition, qui doit traverser une contrée désertique et des territoires indiens. Mais le passé de Shaw reste tapi dans l’ombre, prêt à lui faire payer le tribut de sa précédente vie de bandit, qu’il entend désormais renier.
Les Pionniers de la Western Union n’est pas un western langien à la façon de L’Ange des Maudits, où Lang s’appropriait totalement le genre pour lui substituer son monde de somnambules et d’obsédés, avec ses saloons semblables à des brasseries berlinoises. On peut même dire que pendant la première partie du film, celle du sursis ou de la rémission, Lang n’est presque plus lui-même, faisant certes valoir la rigueur et l’économie narratives qui lui sont propres, mais injectant dans son histoire des scènes humoristiques fort réussies dont le réalisateur n’est pas coutumier. Passé le prologue, cette première partie tourne autour de la relation qui se noue entre Shaw, Richard Blake, un Pied-Tendre venu de l’Est, et Sue, la soeur de Creighton, qui travaille aussi à la Western Union. Une relation bâtie sur une estime réciproque, où la compétition entre les deux hommes amoureux de la même femme reste bon enfant et ne tourne pas à l’aigre, au contraire de ce que l’on pourra observer dans La Captive aux yeux clairs de Hawks, où l’attirance des deux héros pour la prisonnière indienne brisait leur amitié, sur fond de rivalité mimétique. La première partie du film est à cet égard très plaisante. Lang peut compter sur le scénario de Robert Carson et la belle photographie en technicolor d’Edward Cronjager qui embrasse les paysages de l’Ouest américain.
Ce qui va faire la différence entre Shaw et Blake, c’est leur passé, et donc leur destin, c’est le « signe » que porte Shaw sur son front, qui fut hors-la-loi avec son frère. De manière caractéristique, Lang ne s’intéresse pas tellement à Edward Creighton, personnage historique qui compte parmi les grands pionniers de l’Ouest américain, sinon pour en tracer le portrait d’un homme dur au mal et d’une certaine noblesse de coeur et d’esprit. Et s’il prête quelques qualités au pied-tendre Blake, c’est bien à Shaw, l’ancien bandit, que vont ses suffrages, puisque c’est lui que choisit la belle Sue. Choix malheureux qui va à l’encontre de la marche du temps représenté par la mission civilisatrice de la Western Union, car Sue donne sans le savoir son coeur à celui qui représente l’ancien temps des hors-la-loi : l’un des thèmes majeurs de Lang rencontre ici l’un des thèmes majeurs du western.
On peut trouver que le dernier quart du récit est raconté de manière précipitée, lorsque le passé resurgit devant Shaw, incarné par son frère bandit ; dès lors, la chute manque de force dramatique. Sans doute fallait-il éviter une trop grande rupture de ton avec la partie bon enfant qui précédait. Néanmoins, ce western reste de la belle ouvrage. On n’en attend pas moins d’un film de Fritz Lang. Interprétation sobre et efficace du quatuor Randolph Scott, Robert Young, Dean Jagger et Virginia Gilmore.
Strum
Je partage ton avis favorable sur ce film généralement sous-évalué. Très juste, cette réflexion sur la rencontre entre les préoccupations de Lang et celles du western.
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Merci Valfabert ! Il n’y a quand même pas beaucoup de « mauvais » Lang. J’aimerais bien revoir L’Invraisemblable vérité qui est généralement considéré comme très beau alors que j’en garde un souvenir moyen.
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« L’invraisemblable vérité » peut être apprécié sous divers angles. Je le trouve remarquable.
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Merci ! Raison de plus pour le revoir.
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