
Tromperie de Philip Roth était composé d’une suite de dialogues entre l’écrivain et ses conquêtes supposées, qui interrogeaient les rapports entre la fiction et la réalité. Il était impossible pour le lecteur de savoir ce qui relevait de la réalité et de l’imaginaire et le livre devenait plaidoyer pro domo lorsque Roth affirmait, avec une certaine complaisance, la pleine et entière liberté de l’écrivain, son absence totale de responsabilité vis-à-vis de ses proches, en particulier dans un dialogue avec sa femme meurtrie par la mise en scène de son intimité dans ses livres.
Arnaud Depleschin en livre ici une adaptation très fidèle, qui reprend le principe d’une suite de dialogues, en les organisant par un découpage vif et en leur attribuant des lieux (aucune indication scénique n’était mentionnée dans le texte de Roth) : d’abord une scène de théâtre, puis l’appartement londonien où Roth travaillait lorsqu’il vivait avec l’actrice Claire Bloom. C’est là que Roth (Denis Podalydès) reçoit sa maîtresse anglaise (Léa Seydoux). Le narcissisme du livre se retrouve dans le film qui fait de l’écrivain un homme égoïste nourrissant ses livres des dialogues issus de ses joutes amoureuses. Sous couvert de donner la parole à ses maîtresses, de les écouter en se donnant le statut « d’écouteur, d’audiophile », Roth parle en réalité de lui, de ses aventures amoureuses plus ou moins imaginaires, d’un écrivain se faisant vampire, qui aspire le flux des dialogues des lèvres vermeilles de ses maîtresses.
Selon un procédé rhétorique habile, Roth (et par ricochet Depleschin) internalise dans le récit les critiques que l’on pourrait faire au livre (et au film). C’est une manière de les prévenir et de les déminer : au reproche de misogynie (les femmes sont ici faibles et tributaires des hommes) répond une scène de tribunal où Roth tourne en dérision ses accusatrices en se donnant le rôle de victime. Au reproche d’absence de sensibilité pour ses proches, réplique la scène clef de la dispute avec sa femme (émouvante Anouk Grinberg) où la ligne de défense de Roth est la suivante : la maîtresse anglaise n’existerait pas, elle aurait été inventée de toutes pièces. Cette excuse, concevable dans le livre, où il est difficile de faire la part de l’imaginaire et de la réalité, devient plus difficilement recevable dans le film où les images confèrent une impression de réalité plus grande : les scènes avec Léa Seydoux relèvent manifestement de la réalité, et Depleschin corrobore cette impression en les insérant dans une histoire linéaire, allant du début à la fin de la liaison. Le Roth du film apparaît dès lors plus encore comme un hypocrite qui cache sa liaison à sa femme au nom d’une licence artistique. Et puisqu’il se revendique « voleur et que l’on ne doit pas faire confiance à un voleur », autre roublardise rhétorique, il épuise par avance les épithètes peu amènes qu’on pourrait lui accoler. Desplechin fait sien ce plaidoyer d’artiste auquel sa propre histoire fait écho : on se souvient du procès perdu que lui intenta Marianne Denicourt à la suite de Rois et Reine (2004) où elle lui reprocha d’avoir utilisé sans son consentement des éléments de sa vie privée. Avec toute la prudence que la position de critique commande, cette tentative de justification suscite une certaine suspicion car le film n’existerait pas sans elle, les dialogues ne présentant pas beaucoup d’intérêt pour le reste.
Reste que Tromperie est un film très bien découpé et monté (ce qui a toujours été une des forces du cinéma de Depleschin), qui gagne en intérêt au fur et à mesure de son déroulement, en particulier grâce aux interprètes, qui sont tous très bien (non seulement Podalydès et Seydoux qui apportent une belle conviction à leur rôle mais aussi les seconds rôles). Et puis, on trouve ici une autre scène clef, celle du dialogue avec une ancienne étudiante new-yorkaise (Rebecca Marder) où l’on entend cette phrase : « le temps qu’un romancier de talent atteigne trente-six ans, il a renoncé à traduire l’expérience en fiction – il impose sa fiction à l’expérience ». La voilà, la formule qui traduit le mieux le sens du film, qui rend le mieux compte de l’art d’écrire et de filmer. Imposer la fiction comme vérité et effacer la réalité du champ de l’expérience de l’artiste. C’est le programme que Desplechin assigne à l’art. Mais il me paraît mieux servir son cinéma quand il fabrique de la fiction, comme dans Rois et Reine et Conte de Noël, que lorsqu’il dévoile comme ici les coulisses de sa fabrication en guise de justification.
Strum
Ah je n’ai pas aimé malgré la belle prestation de Lea Seydoux qui s’améliore de film en film.
Les scènes de sexe sont réfrigérantes à rendre impuissant.
J’ai trouvé ça poseur, intello dans le mauvais sens du terme.
Et moi aussi je préfère Desplechin quand il raconte une histoire au lieu d’observer une faune antipathique. Podalydes se « la raconte » 🙂
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Oui, Lea Seydoux est très bien – mais je trouve que dans un rôle impossible Podalydès s’en sort bien aussi. C’est surtout Philip Roth qui se la raconte et de ce point de vue, les problèmes du film viennent du livre.
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Il me paraissait impossible d’adapter le livre de Philip Roth puisque celui-ci laissait le lecteur dans le brouillard total de l’autofiction et interdisait ainsi de démêler le vrai de l’imaginé. En donnant corps à « ses » femmes, le cinéma se heurte à la réalité de l’image. Mais la prestation des acteurs et le montage gomment en partie ce handicap. Si Podalydès m’a presque toujours convaincu je trouve à Léa Seydoux une part de mystère et une intensité de jeu intéressants, bien au-delà des critiques qu’on lui applique souvent…
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Léa Seydoux est très bien en effet. Je dois dire que je ne trouve pas le livre très intéressant – je ne suis pas sûr qu’il méritait d’être adapté.
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