
Dans plusieurs de ses films tardifs, Dino Risi met en scène des hommes d’âge mûr qui refusent de vieillir. Dans Parfum de femme (1974), la perspective d’une vieillesse solitaire suscite des envies de suicide. Dans Dernier amour (1978), un comédien fini s’éprend d’une soubrette à laquelle il promet une place dans son hypothétique nouveau spectacle. Dans Valse d’amour (1990), un grand-père sorti d’un hôpital psychiatrique s’imagine redevenir jeune auprès de sa petite-fille. Mais malgré leur mélancolie, ces films font encore droit à des éléments comiques, peuvent encore, in extremis, être rattachés à la satire. Il n’en est rien dans Ames perdues (1977), drame scabreux se déroulant dans une Venise décrépie et fantomatique, la Venise d’avant les rénovations qui en font aujourd’hui la plus belle ville Renaissance du monde, où l’attrait pour la jeunesse devient une maladie mentale autant qu’une damnation, cause des malheurs de Fabio Stolz (Vittorio Gassman) et de sa femme Sofia (Catherine Deneuve).
Il y avait pourtant dans la première partie du récit le matériau d’une comédie à l’italienne comme Risi en a fait tant, dénonçant l’hypocrisie de Fabio, grand bourgeois aux idées conservatrices et tyran domestique ne cessant d’humilier sa femme et d’houspiller son neveu Tino, venu vivre auprès d’eux pour apprendre à peindre. L’idée maîtresse du scénario est que Fabio, qui n’a que les mots moral et vertu à la bouche, posséderait un double, un frère fou vivant dans le grenier du palais familial et s’abandonnant à tous les vices que Fabio vomit : la luxure, la paresse, la saleté, la grossièreté. C’est lui que Tino entend la nuit et qu’il prend d’abord pour un fantôme hantant la demeure. Or, le film ne fait pas longtemps mystère, au sens où le spectateur le devine rapidement, que ce double n’est autre que Fabio lui-même, qui s’autorise sous son autre personnalité, aux heures où il ne se trouve pas en représentation dans son palais, tout ce qu’il prétend s’interdire et faire interdire aux autres au grand jour. Si Fabio était sain d’esprit, son petit jeu social et familial aurait pu donner lieu à des scènes satiriques, a fortiori s’il était pris en flagrant délit d’hypocrisie.
Mais ce n’est pas la pente du récit. Car le véritable mystère du film est tout autre, et relève de ce scabreux que j’évoquais, l’attrait de la jeunesse menant ici le personnage aux extrémités les plus abjectes de la folie, qu’il a imposées à sa pauvre compagne qu’il a connue petite fille. Tino, le neveu innocent qui s’est aventuré dans l’antre de l’ogre Fabio découvrira son secret en même temps que nous après une nuit passée dans des tripots qui sont ici comme le ventre pourri de Venise. Et la vie de son oncle et de sa tante lui apparaîtra alors comme une représentation théâtrale illusoire destinée à cacher une affreuse vérité. Une nouvelle fois chez Risi, Vittorio Gassman livre une performance impressionnante en personnage aux deux faces et Catherine Deneuve possède ici un teint diaphane, presque transparent, qui sied à son personnage de femme soumise et victime, qui suit son bourreau dans la folie. La photographie de Tonino Delli Colli, aux couleurs brunâtres, flottantes et mélancoliques, et le principal décor du palais, double comme Fabio, avec les salons d’apparat d’un côté, et les pièces abandonnées et mangées par la pourriture de l’autre, toile de fond gothique, donnent une représentation adéquate de la maladie à l’oeuvre dans ce film, l’un des plus noirs tournés par Risi, et dont la très bonne facture est attestée par le fait que le spectateur est à la fois révulsé et un peu ému, devenant double lui aussi.
Strum
J’étais tellement amoureuse de Vittorio Gasman que je l’ai vu et jamais revu depuis sa sortie… Je me souviens de Vittorio monstrueux. Il fait ça très bien.
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Ne pas oublier non plus la superbe musique de Francis Lai qui souligne sans surligner la Schizophrénie de l’ensemble . Dino RISI avait apprécié la partition et avait à nouveau collaboré avec Francis Lai pour il toglio disturbo toujours avec Vittorio GASSMAN
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Merci, c’est vrai que la musique est belle.
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Tu as beaucoup chroniqué sur Risi qui est un réalisateur que je connais peu et qui je dois dire me fait envie, ce film là comme les autres. J’espère que l’occasion se présentera un jour.
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J’aime beaucoup le cinéma italien, et en particulier la comédie à l’italienne dont Risi fut un des grands réalisateurs. Je te conseille ses films en effet. Son Une Vie difficile est un de mes films préférés.
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Merci du tuyau Strum
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De rien !
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