
Sous ce titre de chanson de Neil Young, se cache l’un des films les plus drôles et tendres du Ford des années 1930, le troisième et dernier qu’il tourna avec Will Rogers, qui perdit la vie dans un accident d’avion après le tournage. Il y est question d’un certain Docteur John Pearly, vendeur d’elixirs miracles le long du Mississippi, de son neveu condamné à la pendaison pour avoir voulu sauver la vie d’une fille des marais menacée par les siens, d’une course de bateaux à vapeurs. Comme d’habitude avec Ford, le film a davantage à offrir que ce que laisse soupçonner son intrigue de surface, sortie d’un album de Lucky Luke avant l’heure : c’est aussi l’histoire d’un homme solitaire qui veut le bonheur des autres (le bonheur n’est pas pour le solitaire, thème typiquement fordien) et s’est donné la tâche de marier son neveu avec la fille des marais. Pour y parvenir, il lui faut trouver un faux prophète, témoin du drame, qui seul pourrait innocenter son neveu. Partir à la recherche d’un auto-proclamé Nouveau Moïse sur les bords du Mississippi pour sauver la vie d’un homme : voilà qui ressemble aussi bien à une blague de potache de Ford, catholique facétieux, qu’à une histoire juive. On rit d’ailleurs beaucoup pendant le film, malgré son argument de mélodrame, et la façon dont Pearly attrapera le Nouveau Moïse au lasso pour le ramener à bord de son bateau n’en est pas le moindre élément truculent.
Tout au long du récit, Ford fait voir le caractère disparate du peuple américain vivant le long du fleuve, qui n’est pas ici une métaphore du temps qui passe comme dans Young Mr Lincoln, mais plutôt la représentation du cours de l’histoire des Etats-Unis : habitants des rives du fleuve, hommes des marais, sudistes, noirs pas encore tout à fait émancipés de leurs anciens maîtres qui leur cherchent des noises dans le Sud américain des années 1890. Faire voir les conflits et la violence latente entre les différentes composantes de la nation américaine et réfléchir à ce qui pourrait les réconcilier dans une fraternité commune, a été une des grandes tâches de son cinéma. Plusieurs pistes nous sont données dans ce film apparemment mineur mais formidablement stimulant. Première piste : ces gens-là pourront vivre ensemble en ne prenant pas les prophètes autoproclamés au sérieux ; il n’y a qu’à voir le choix par Ford des sauveurs du film : un charlatan et un faux prophète. Deuxième piste : les idoles sont fausses et interchangeables ; c’est le sens de ce musée de cire abandonné que Pearly va embarquer sur son bateau, où se côtoient plusieurs figures de l’histoire, y compris le Général Lee pour les Sudistes et le Général Grant pour les Nordistes ; l’équipage de bric et de broc va démontrer ce caractère interchangeable et leurs airs ridicules en les déshabillant et les rhabillant selon leur goût, grimant Grant et Lee en frères James, c’est-à-dire en bandits. Sans compter cet autre gag énorme : c’est en utilisant les mannequins de cire, soit les idoles des guerres d’antan, Napoléon compris, comme combustible pour la chaudière du bateau, avec l’ajout d’une bonne dose de Rhum (l’elixir miracle de Pearly, qui refourguait du Rhum frelaté à ses clients), que la bateau gagnera la course. Parmi les membres de l’équipage, on reconnait Stepin Fetchit, que Ford fit jouer plusieurs fois, et dont le rôle de noir peureux au dialecte pas toujours compréhensible renverse un stéréotype (au sens où il est clair qu’il joue la comédie par crainte d’être tué, se cachant dans la baleine en faux Jonas lui aussi) pour dénoncer en creux la vindicte de certains émeutiers sudistes.
Mais ce qui est le plus typiquement fordien dans le film, au-delà de son caractère picaresque, pas si loin de Mark Twain, c’est sa sensibilité secrète : c’est la troisième piste. En témoigne toute la superbe séquence où Fleety Belle, la fille des marais, surgit apeurée sur le bateau de Pearly en compagnie de son neveu. Tout d’abord, Pearly la rudoie car sa première réaction est d’en vouloir à cette sauvageonne, de lui reprocher le pétrin dans lequel elle a mis son neveu. Mais quand la famille de Fleety Belle vient la réclamer pour la battre, la tuer peut-être car elle est devenue impure à leurs yeux à fricoter avec ceux du fleuve, Pearly la protège, l’accueille dans sa propre famille dans un élan de fraternité. Sa première impulsion était mauvaise, sa seconde vue sur la situation, d’où il faut extirper la tentation de l’ostracisme, afin de lutter contre le racisme gangrénant toutes ces communautés exclusives, est un élan de fraternité. Ou encore ce mariage en prison sous la psalmodie des prisonniers. Ainsi était aussi Ford, brute au premier abord, généreux en secret et Pearly est ici son porte-voix qui exprime cette tendresse secrète sous des dehors rudes. Qui pourrait résister, il faut dire, à l’adorable visage d’ingénue d’Ann Shirley qui joue Fleety Belle, fleur des marais aux yeux grands ouverts sur ce monde conflictuel ? Pas Pearly, que le bonheur de Fleety Belle et son neveu rendra heureux et à qui restera toujours son elixir miracle à prendre les soirs de déprime.
Strum
C’est une très plaisante chronique pour un Ford qui semble l’être tout autant. Encore un qui m’a échappé mais sur les flots duquel j’aimerais bien voguer, et trinquer un verre de rhum avec Pearly.
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Merci, c’est toujours agréable de revoir des vieux Ford et sa filmographie est riche de perles peu connues.
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