Black Coal (2014) de Diao Yi’nan, dont Le Lac aux oies sauvages est récemment sorti sur nos écrans, est un polar chinois fuligineux et glacial. On peut relier superficiellement le film (comme l’a fait la critique à sa sortie) au genre du film noir à travers le personnage de l’inspecteur Zhang Zili (Liao Fan), qui après avoir échoué à résoudre une enquête cinq ans auparavant, durant laquelle deux de ses collègues furent tués, se voit offert une seconde chance d’y parvenir. Entre-temps, Zhang a quitté la police et est devenu un agent de sécurité alcoolique dont la vie part en lambeaux, un être à la marge. Mais tout le reste du film relève d’un autre territoire, d’un autre horizon, aux confins du nord-est chinois, que le film noir. A la place d’une femme fatale, on trouve une femme apeurée qui va être dupée. Au lieu d’un monde marqué par le fatalisme où des dieux cruels semblent avoir décidés par avance du sort de protagonistes regardés avec compassion (l’ancien monde occidental), est représentée une société chinoise d’une froideur et d’une dureté extrêmes, où les destins dépendent d’actions individuelles jugées par des corps collectifs (à l’usine, dans la police) sur un plan d’immanence selon leur utilité pour la société (le nouveau monde chinois). « Pleurer ne sert à rien, cela nous fait juste perdre du temps » dit un policier agacé à cette veuve qui a perdu son mari, du moins le croit-on alors. Il revient à chacun de décider de vivre au sein de la communauté ou non, mais gare à celui qui a choisi une route solitaire car le collectivisme confucéen semble dépourvu de pitié.
Zhang le policier et Wu Zhizhen (Kwai Lun-Mei), la veuve employée de la teinturerie, ont pour des raisons différentes mal choisi leur route il y a cinq ans. Le film raconte comment Zhang finit par revenir sur ses pas pour recoller certains morceaux de sa vie aux dépens de Wu, qui est impliquée non seulement dans l’ancienne affaire non élucidée mais aussi dans de nouveaux meurtres. Zhang va s’y atteler méthodiquement, sans scrupule apparent, avec un détachement aussi glaçant que le paysage de neige qui envahit la seconde partie du film, livrant sans hésiter cette femme à la police, alors qu’elle lui avait fait confiance, et qu’elle aussi était victime des circonstances. Ce qu’il veut, c’est recouvrer l’estime de ses anciens collègues policiers et peu lui importent les conséquences – c’est ce que s’il semble, du moins, jusqu’à la scène finale plus ambiguë. Black Coal, Thin Ice, dit le titre international. C’est comme si les personnages n’avaient le choix qu’entre le marteau et l’enclume, le feu et la glace, la brûlure anonyme du charbon, qui empoisonne l’atmosphère en Chine par les émissions polluantes que son exploitation génère (choix collectif), et la morsure de la glace promettant une vie solitaire (choix individuel). « Je ne veux pas être un perdant » dit Zhang à son ancien collègue policier. C’est que, dans cette société-là, où l’individualisme est la règle malgré l’apparence d’un bien collectif, il n’y a pas de place pour les perdants, pour les errants, sinon sous la forme de fantômes. Or, même les fantômes sont mortels, ainsi que le montre le film.
Diao Yi’nan tire parti du numérique pour signer de belles scènes nocturnes, aux dominantes de couleurs marquées (jaune ou rouge) et quasi-fantastiques, qui semblent se dérouler juste à côté de la réalité, faux refuge pour Wu où se prépare sa condamnation. A l’instar de ses collègues réalisateurs chinois, sa mise en scène sans gros plans inscrit les personnages dans un environnement dont ils ne peuvent s’extirper – quoiqu’il préfère les plans moyens aux plans larges de Jia Zhang-Ke et surtout Gu Xiaogang (voir Séjour dans les Monts Fuchun). Le titre international comme le titre français perdent l’ironie du titre original chinois (signifiant « Feu d’artifice en plein jour« ), contrepoint sarcastique au pessimisme du film qui fait aussi référence à la dernière scène. La jaquette de DVD du film porte une citation de Positif curieuse (« une oeuvre majeure qui va illuminer vos vies ») étant donné le caractère très sombre, presque désespéré, de ce film.
Strum
pas fuligineux du tout ton texte….. Chuis toujours content de l’avoir vu en salle…!
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Effectivement, en salle, le film devait dispenser une atmosphère encore plus particulière. Mais l’ensemble est si pessimiste que je ne suis pas certain d’avoir envie de voir Le Lac aux oies sauvages.
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Ah…. ‘Le Lac … ‘ est un peu plus lumineux quand même. … plus ‘sophistiqué’ aussi je dirais.
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Merci. Je le verrai peut-être dans ce cas.
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La note de Positif n’a aucun sens.
Ce film auquel tu trouves tout ce sens (bravo) avait fait sourire ou dormir les festivaliers de Beaune.
Intrigue alambiquée, tarabiscotée, multiples rebondissements auxquels on croit de moins en moins, scènes sans intérêt ni explication comme celle où ce cher Zhang, plaqué par sa femme tente de la violer… et surtout l’antipathie générale provoquée par tous les personnages ont eu raison de la patience et de l’attention.
Quant à l’actrice Lunmei Kwai objet de tous les fantasmes, de toutes les convoitises, censée être la grande énigme du film, elle est d’une inertie impressionnante, d’une fadeur et d’une inexpressivité confondantes.
Le lac (TRÈS ennuyeux aussi avec le même sens de la complexification inutile de lintrigue) bénéficie au moins de beaux acteurs, d’une fin qui pourrait illuminer nos vies (lol)… et de cette réplique sublime :
rejoins moi au lac, je te trahirai là-bas.
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Tu sais bien tailler les costards, mais je pense que l’inertie, l’inexpressivité de surface sont la conséquence du monde froid et impitoyable que le film décrit où les personnages subissent une énorme pression sociale et doivent pour survivre s’armer d’une carapace. Ce n’est pas un cinéma très amusant, c’est sûr, mais n’en déplaisent aux festivaliers de Beaune, il y a un sens à chercher … Quant à l’actrice dont tu parles, son personnage n’est l’objet d’aucune « convoitise » à mon avis et elle n’a justement rien d’une femme fatale : c’est un fantôme pour laquelle s’est sacrifié un autre fantôme. Elle n’a plus la force de lutter. Brr… quel univers sombre. Je préfère suivre la future carrière de Gu Xiaogang et Jia Zhang-Ke que celle de ce Diao.
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Le cinéma sombre ne me fait pas peur et je ne pense pas me cantonner aux films amusants.
A Beaune il a eu le Prix de la Critique composé de critiques de magazines auxquels je ne comprends pas grand chose.
Convoitise n’est peut-être pas le bon mot mais elle est au centre de toute l’attention et son apathie la rend inaccessible au spectateur moyen.
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Je ne voulais pas te viser par ma remarque sur les « festivaliers ». 🙂 A te lire, je pense d’ailleurs que tu peux comprendre n’importe quelle critique si tu en avais envie. Inaccessible parce que c’est un « fantôme » encore une fois. C’est le sujet du film. Cependant, comme je le disais, j’ai trouvé l’univers du film si sombre et désespéré que je n’ai pas tellement envie de suivre ce cinéaste.
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Bonsoir Strum. J’ai presque envie de redonner une chance ,grâce à votre article, à ce film que je n’ai pas vu en entier car je n’y comprenais rien, mais j’hésite…Avons -nous du temps à perdre ? En janvier, un ami bien intentionné m’a trainé, à l’insu de mon plein gré, voir le Lac aux oies sauvages qui est long, sophistiqué peut être mais surtout superficiel et ennuyeux et encore une fois, j’ai pas compris pas grand chose à l’intrigue, et je me suis souvent demandé ou voulait en venir le réalisateur qui a le don de rendre toutes choses opaques, mêmes les plus simples. A la sortie, je jurais qu’on ne m’y reprendra plus, j’ai bien retenu le nom du réalisateur cette fois.. et moi aussi j’attends avec impatience la suite de Séjour dans les monts Fuchun.
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Bonsoir Jean-Sylvain, avons-nous du temps à perdre ? Je ne crois pas. Comme je le disais, je n’ai pas spécialement envie de voir Le Lac après ce Black Coal si sombre, même si à l’occasion…
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