Perfect Blue de Satoshi Kon : perceptions et duplications

perfect blue

Précédé d’une réputation flatteuse, Perfect Blue (1997) de Satoshi Kon ne se montre pas tout à fait à la hauteur des attentes. S’il s’agissait de démontrer que le cinéma d’animation japonais est capable de produire des films aussi adultes, aussi élaborés en termes de composition de plans, que le cinéma en prises de vue réelles, alors l’objectif est cependant rempli. Ce récit d’une jeune actrice harcelée par un fan intrusif lui reprochant d’avoir abandonné sa carrière de chanteuse pop, qui va jusqu’à tuer une série de personnes de son entourage pour la punir de son choix, peut faire valoir un oeil sûr quand il s’agit de créer du suspense et de l’angoisse par le découpage et l’atmosphère. A cela s’ajoute un goût pour le jeu des apparences, pour la tromperie du spectateur, qui ne parvient pas toujours à démêler le vrai du faux, la réalité du rêve, de même que l’héroïne qui semble s’enfoncer dans la folie. Ce penchant pour les images mentales, pour les puissances du faux, qui est une manière de les dénoncer mais aussi l’aveu de la fascination qu’elles exercent, fait penser à la fois à Dario Argento et Brian de Palma, auxquels renvoient également les meurtres du film perpétrés au tournevis ou au pic à glace. D’ailleurs, tout ce qui tourne ici autour du voyeurisme et de la perception troublée de la réalité avait déjà été traité par De Palma dans Blow Up et Body Double, à cette différence notable près, il est vrai, que le personnage principal de Perfect Blue est une femme exposée et épiée plutôt qu’un homme voyeur, ce qui renverse la perspective, l’autre thème additionnel étant celui du dédoublement permis par les réseaux sociaux auquel font écho les images (reflets légions). La preuve de la réussite de l’ensemble en tant que film de cinéma est attestée par le fait que plusieurs plans ou idées en ont été repris tels quels ou presque par Darren Aronovsky dans Requiem for a Dream et Black Swan. Si ces images dessinées peuvent passer les feux de la rampe, être dupliquées sans besoin d’adaptation, alors c’est qu’elles étaient d’emblée des images de cinéma. La boucle de la duplication est bouclée.

La déception que j’ai ressenti tient à ce que le film ne dépasse pas l’horizon de son ambition. A savoir qu’une fois que le spectateur s’est avisé qu’il regardait un film plutôt qu’un dessin animé (à l’animation non exempte de reproches d’ailleurs), une fois qu’il a reconnu le territoire du film, celui d’un giallo japonais aux influences de palmesques pour résumer, l’effet de surprise s’estompe progressivement, sans que l’on ait l’impression d’un agrandissement du genre que s’est donné le film ou d’idées lui ouvrant d’autres espaces de pensées au-delà de l’intrigue, sinon cette substitution déjà évoquée de l’homme par la femme comme personnage central. Pour le dire autrement, les films de Miyazaki sont à considérer d’abord comme des films, parce qu’ils ont créé un genre en soi, qui repose moins sur la qualité de l’animation que sur un énorme travail d’écriture produisant des portraits de personnages très fins et des idées transperçant soudain le voile des apparence (ainsi, ce personnage de La Montagne magique de Thomas Mann surgissant dans Le Vent se lève ou les rêves de l’héroïne dans Nausicaä), révélant un ailleurs à la fois étranger et familier nous rapprochant de la réalité, conformément à ce double mouvement d’éloignement et de retour à la réalité que réserve le meilleur de la fantasy. Dans Perfect Blue, qui par l’esprit ne relève certes nullement de la fantasy mais possède le côté plus froid d’un récit gigogne à la façon d’un Philip K. Dick, il m’a paru manquer cet éperon du génie, peut-être aussi à cause de cette fascination manifeste du réalisateur pour des images mentales plutôt que pour des plans longs enracinés dans la réalité. Mais d’aucuns pourraient argumenter, a contrario, qu’en s’attachant aux images mentales, aux réseaux virtuels, plutôt qu’à la réalité, Perfect Blue annonçait justement, avec d’autres films, après certains livres, notre présent dédoublé, souvent pour le pire. A cette aune, ce film de Satoshi Kon, déjà parfaitement agencé pour un premier film, reste à voir.

Strum

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3 commentaires pour Perfect Blue de Satoshi Kon : perceptions et duplications

  1. Je ne connais pas – et d’ailleurs je connais mal l’animation japonaise. Le thème semble assez moderne, surtout pour un film animé de 1997 à l’époque où les réseaux sociaux n’existaient pas.

    Il y a une coquille dans ton post, tu veux dire Blow out (le film de De Palma), pas Blow up.

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  2. Strum dit :

    Oui, le thème est moderne, le film abordant Internet à ses débuts via un site de fan dédié à la chanteuse/actrice. Le film s’est taillé une certaine réputation, ainsi que Satoshi Kon de manière générale. Je ne suis pas un expert de l’animation japonaise mais Miyazaki fait pour moi partie des plus grands cinéastes vivants. En effet pour Blow Out, merci, c’est corrigé !

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  3. iade dit :

    Ce film est assez intéressant. Sur ma chaîne YouTube, j’ai fait une analyse sur lui et sur d’autres films pour adultes réalisés avec animation numérique. Si vous voulez vérifier c’est le lien👇

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