Boyhood de Richard Linklater : (im)permanence

boyhood

Boyhood (2014) est l’étonnant précis de la vie d’un jeune homme, que Richard Linklater a filmé de sept à dix-neuf ans au Texas, Etat dont le réalisateur est originaire. Il ne s’agit pas d’un documentaire puisque Linklater a construit un récit de fiction autour de ces images d’Ellar Coltrane, qui joue Mason Jr. grandissant sous nos yeux. Il ne s’agit pas non plus de dire à nouveau les métamorphoses d’un amour au cours du temps, dont Linklater avait rendu compte dans sa trilogie Before Sunrise/Before Sunset/Before Midnight. Linklater y parlait de l’impermanence des choses ; dans Boyhood, il parle de la permanence d’un être.

Les personnages de Linklater sont davantage spectateurs qu’acteurs ou actrices de leur vie. Ils la contemplent ainsi que celle des autres et en discutent, les dialogues prenant souvent la forme de monologues croisés, chaque personnage parlant de soi, ce qui traduit une aptitude à intérioriser les expériences de la vie. Cette approche considère et accepte le temps comme une matière insaisissable, que l’on ne peut fixer, ni par l’expérience, ni par les images. Il en résulte un certain détachement des personnages vis-à-vis des choses, comme celui de quelqu’un regardant couler une rivière dont il sait ne pouvoir arrêter le cours. La mise en scène de Boyhood parvient d’ailleurs, par la fluidité de son découpage, à refléter cette liquidité du temps – le film a beau durer 2h45, on ne ressent pas cette durée – temps que Linklater ne cherche nullement à retrouver (à l’inverse de ce qu’a fait Malick évoquant son enfance dans Tree of life) puisqu’il ne fait qu’accompagner Mason dans son apprentissage de la vie, apprentissage irréversible, sans retour en arrière possible. On retrouve pleinement ce détachement paisible chez Mason dans la partie du film où Linklater le filme adolescent. Si sa mère, jouée par Patricia Arquette, constate amèrement que la vie s’écoule trop vite (ce qui est certes vrai, à partir d’un certain âge), c’est peut-être parce qu’elle ne possède pas le même caractère que son fils.

Or, cette indifférence apparente de Mason vis-à-vis du monde était déjà perceptible chez lui enfant. A cinq ans, il avait déjà ce regard calme et comme extérieur aux choses de la vie. C’est cela, la véritable particularité du film, cette manière qu’il a de montrer que la personnalité de Mason et de sa soeur résidaient en germe chez eux dès les premières images du film. D’un côté, Linklater nous fait voir la fuite du temps, matérialisée par les changements dans les vêtements, les cheveux et le corps de chaque personnage se transformant au fil des années, par la routine du quotidien d’une famille américaine (Linklater a cette faculté de retranscrire la vie de tous les jours aux Etats-Unis ; les gens y parlent et se comportent vraiment comme le rapporte le film). D’un autre côté, il fait apparaître chez son personnage un noyau dur, presque immuable, dont on observe la germination mais qui est toujours le même : la personnalité de Mason et de sa soeur. Le Mason de dix-huit ans est déjà là dans le Mason de cinq ans. Il s’est simplement développé selon ses lois intérieures, à la façon d’une « monade ». Le regard du film, c’est le sien, qui se confond avec celui du metteur en scène. Mason est d’ailleurs photographe, comme le fut Linklater. Si Mason devait raconter sa vie, il se souviendrait probablement d’une suite de discussions, telles que les montre le film. La fin optimiste et à première vue idéalisée est un cadeau d’adieu de Linklater à son personnage. Il le place dans la situation la plus agréable, il l’éclaire avec la photographie la plus lumineuse possible, avant de laisser tomber le rideau. Un film superbe, autant par sa conception que par sa réalisation.

Strum

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12 commentaires pour Boyhood de Richard Linklater : (im)permanence

  1. princecranoir dit :

    Je n’ai pas pris le temps (contrairement à Linklater) de voir ce film qui pourtant me séduit par son concept. Le cinéma, art de l’artifice, est sans doute un de ceux capable le mieux de jouer avec le temps qui passe. Certains vont travailler sur les décors et les maquillages réels ou numériques (cf Scorsese), lui opte pour la patine des années. Il en tire un matériau sensible qui, je pense, et à te lire, me plairait beaucoup.

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  2. lorenztradfin dit :

    Belle critique – J’avais écrit en 2014, après la vision du film (je ne l’ai pas revu la semaine dernière) : « Film-vie qui hante encore le jour après, des images, des bribes de conversation qui reviennent, jamais spectaculaires – mais avec une finesse, subtilité et sensibilité très fortes, qui fait aussi réfléchir sur la filiation, la transmission. » – Dans une interview Linkater avait dit que finalement il était content d’avoir chaque fois au moins une année de temps de réflexion pour trouver (justement – comme tu le dis) les dialogues « vraies » de la vie de tous les jours…..!

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  3. Eeguab dit :

    J’ai adoré Boyhood, ce concept assez unique où l’on ne voit pas le temps passer, moi qui suis souvent irrité par le délayage, cette lèpre cinématographique dont on a des exemples toutes les semaines (à mon avis). J’aime beaucoup Ethan Hawke et la ballade Hero de Family of the year est très belle. Vraiment un film étonnant.

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  4. tinalakiller dit :

    En lisant ta critique, je me dis que ça serait bien que je puisse revoir ce film un de ces quatre. J’avais juste trouvé la fin longue – un peu l’impression qu’il y avait à chaque fois une fin, comme si le réalisateur avait du mal à laisser partir son personnage. Mais le film globalement passe quand même vite. L’expérience est formidable, ne paraît jamais artificielle (dans mes souvenirs), ça raconte des choses qui évoquent nos propres vies, c’est presque parfois déroutant. Linklater est un très bon cinéaste qui petit à petit est en train de bénéficier la reconnaissance dont il mérite tant.

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  5. JCBLYON dit :

    Très heureux que vous chroniquiez ce film, qui m’avait enchanté, et qui est réellement étonnant. D’autant qu’il se revoit et se re-revoit avec plaisir, comme souvent les « coming age pics », où l’on se surprend à préférer telle ou telle séquence selon son humeur du moment – je pense par exemple à un film qui n’a rien à voir, « La guerre à 7 ans », ce chef d’oeuvre de J. Boorman. Il serait d’ailleurs intéressant que nos lecteurs dvd et nos sites de streaming préférés disposent d’une fonction « vue aléatoire », qui feraient défiler les séquences en ordre dispersée…Cela garantirait quelques surprises poétiques. Linklater est effectivement un très bon cinéaste, fin et perspicace. C’est vous dire, j’ai même aimé « Rock Academy » ! (qui tient beaucoup par son acteur principal).

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    • Strum dit :

      Bonsoir, content que ce choix de chronique vous plaise. C’est un très beau film en effet, que je n’ai vu qu’une fois, à sa sortie, mais j’ai l’impression de bien m’en souvenir. Concernant votre proposition de visionnage en ordre dispersé, cela pourrait réserver des juxtapositions inattendues effectivement, mais je ne suis pas sûr que cela me plaise car cela remettrait en cause d’une certaine façon le travail important de montage, ou en tout cas de découpage a posteriori, qui préside à un film comme Boyhood.

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  6. Gladiateur dit :

    Tu as vécu aux États-Unis ?

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