Le Daim de Quentin Dupieux : saugrenu

le daim

Le Daim de Quentin Dupieux relève d’un cinéma que l’on pourrait qualifier au choix d’absurde ou de saugrenu. Cette histoire d’un homme obsédé par son blouson en daim et qui se fait cinéaste au gré du hasard pourrait, sur le papier, faire penser à une rencontre entre Le Manteau de Gogol (où un fonctionnaire russe entretient une relation obsessionnelle avec son manteau et finit par dérober ceux des autres) et Le Voyeur de Michael Powell (où un homme qui confond images et réalité filme ses assassinats). A ceci près que Le Daim est filmé bien trop platement pour prétendre s’inscrire dans la lignée de si prestigieux prédécesseurs. A travers l’homme-caméra malade du Voyeur, Powell s’interrogeait sur le pouvoir d’attraction de l’image, sur son caractère déréalisant, mais son premier souci était toujours de composer au sein du film des images inoubliables propres à rendre compte de cet attrait. Le Daim est un film étrange, dont le personnage principal (Georges joué par Jean Dujardin) est inquiétant, mais cette inquiétante étrangeté (qui ne peut s’appréhender puisque contrairement à Powell, Dupieux ne s’embarrasse pas d’explication psychologique) n’a à offrir que des images ternes d’un homme-caméra en rupture de ban filmant les autres à bord de sa voiture. On peut toujours présumer que Dupieux nous parle indirectement de la singulière importance des objets dans nos vies, puisqu’ici le blouson de daim devient personnage à part entière dans un dédoublement schizophrénique, mais cette idée ne compense pas la relative pauvreté du style ; souvent, même le point est fait en cours de plan, alternant entre premier et dernier plan (à moins qu’il ne s’agisse d’une afféterie stylistique par trop systématique destinée à désigner d’emblée le personnage comme flou, flottant dans son environnement).

Dupieux renouvelle l’absurdité de son point de départ en imaginant que Georges rencontre une serveuse (Denise, jouée par Adèle Haenel, peu mise en valeur), tout aussi stupide ou folle que lui, qui développe pour les images ternes et moches filmées par Georges une passion disproportionnée. C’est un écueil de tout récit absurde que de se trouver contraint de réalimenter la machine de l’absurde en cours de narration. Au moins le personnage de Denise est-il plus intéressant que celui de Georges, bloc solitaire, obscur et insondable, quoiqu’il soit sans doute censé faire rire ici et là. Plus intéressant car Denise permet de rattacher le film à l’idée que l’image peut fasciner au point de faire perdre pied dans la réalité. C’est donc bien du côté de Georges que le bât blesse, puisqu’au final ce film-portrait (par sa structure) ne fait le portrait que de situations toutes plus saugrenues les unes que les autres où les personnages secondaires ne font que passer avant de devenir de la chair à ventilateur. Ces situations sont mises en scène par Georges et filmées par Dupieux avec des couleurs passées, des couleurs en daim en somme, comme si nous étions dans l’univers mental du personnage. Sauf que celui-ci n’a pas grand-chose à nous dire, à part peut-être la constatation auto-centrée qu’un cinéaste court le risque de considérer tout ce qui l’entoure, accessoires et personnes, comme des objets propres à nourrir sa propre folie (ce que Powell, entre autres, avait déjà beaucoup mieux dit). Piètre consolation méta-filmique. Malgré l’interprétation irréprochable de Jean Dujardin, le film n’atteint donc jamais le domaine, qui aurait mieux convenu à mon goût, du conte à la Gogol (où l’absurde, porté par un style limpide et travaillé, était là pour nous révéler certains rouages du monde).

Strum

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22 commentaires pour Le Daim de Quentin Dupieux : saugrenu

  1. dasola dit :

    Bonjour Strum, plus je lis de billets, plus je me dis que je n’irai pas voir ce film même si Dujardin est bien et même si le film est court. Bonne journée.

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    • Strum dit :

      Bonjour dasola, c’était le premier film de Quentin Dupieux que je voyais et il me manque peut-être certains éléments pour mieux comprendre l’intérêt du film mais j’en suis ressorti extrêmement déçu alors que certaines critiques sont fort bonnes. Bonne journée également.

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  2. Pascale dit :

    Ah moi je me suis régalée.
    Je trouve que Dupieux plonge admirablement dans l’univers d’un homme (pas bien futé certes) qui crève de solitude et en devient fou.
    Dujardin est formidable et le personnage d’Adèle Harnel ne semble pas bien net dès le début pour être ainsi fascinée.
    Je te recommande vivement Rubber qui en plus d’être délirant offre de TRÈS belles images.

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    • Strum dit :

      Merci pour la recommandation. Je vais laisser passer un peu de temps avant d’essayer de voir Rubber, histoire d’oublier un peu cette première expérience décevante avec Dupieux.

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  3. princecranoir dit :

    En lisant les posts, je comprends mieux cette moue à l’encontre de ce film de Dupieux que j’aurais tendance à classer parmi les tout meilleurs de sa filmo. 😉
    Je ne les ai pas tous vus (mon panora débute avec Rubber) mais suffisamment pour mettre au credit de ce film de rupture une géniale idée de renouvellement, une maîtrise formelle qui ne mérite pas les reproches que tu lui fait, usant d’un dispositif minimal avec intelligence (là où d’autres n’ont de cesse de secouer la caméra sous prétexte qu’elle est portée) et tenu par un Dujardin dans une irrésistible toute puissance effrayante et hilarante. Grand film.

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    • princecranoir dit :

      « tu lui fais » dslé pour la fôte. 🙄

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    • Strum dit :

      Je n’ai pas été convaincu par la forme (beaucoup de mal notamment avec son alternance de point dans le plan), mais j’aurais sûrement été moins sévère en effet si j’avais pu mettre le film en perspective par rapport aux autres du même réalisateur. 🙂 En l’état, je reste fort déçu et je me dis que ce réalisateur ne doit pas être pour moi.

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      • princecranoir dit :

        C’est effectivement un cinéaste clivant, encore que la structure de ce dernier le rende plus « accessible » que ses autres réalisations. C’est un cinéaste à univers, un peu comme Michel Gondry dont la poésie me touche un peu moins. J’aime chez Dupieux cet attrait pour la comédie noire, cette absolue liberté d’écriture et de forme, ce goût de l’absurde « no reason » dont il faisait son mantra à l’époque de Rubber.

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  4. Tigger Lilly dit :

    A chaque fois que je lis le pitch ou vois la BA d’un film de Dupieux j’ai furieusement envie… de ne pas aller voir le film. Je n’ai pourtant rien contre le cinéma absurde et si ça se trouve j’aimerais ses films mais j’attends toujours le déclic.
    Merci pour ce retour intéressant, je prends note qu’il vaut peut être mieux ne pas commencer par celui-là.

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  5. Carole Darchy dit :

    Bonjour Strum, et bien je n’irai pas voir ce film !!!! En revanche je vais profiter de la canicule pour enfin voir Parasite !!!! Je poste un commentaire ce soir 😉 …

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  6. regardscritiquesho22 dit :

    « Le Daim » de Quentin Dupieux…
    Eh bien, il eût été dommage de manquer ce dernier film de Quentin Dupieux… Un peu d’appréhension, car ses derniers films m’avaient paru en dessous. Par contre, là, on retrouve le réalisateur de « Rubber », incontestable chef-d’œuvre. Là, ça tient vraiment la route! Le scénario est bétonné, époustouflant dans sa rigueur. Eloge de la folie en même temps qu’éloge du cinéma. Le héros est fêlé de chez fêlé, mais il trouve le moyen de dénicher une complice encore plus fêlée que lui. Vraiment du grand art, désopilant autant par sa folie que par son parallélisme avec le cinéma.
    Pour être fou, le héros, joué par Jean Dujar-daim, euh non, Dujardin, est réellement dans le délire le plus total, mais son comportement obéit à la plus rigoureuse des logiques. Quant au personnage d’Adèle Haenel, il est encore plus déjanté. Et c’est là qu’on aboutit au film qui décrochera peut-être la Palme d’or à Cannes, un thriller à la Tarentino. C’est tout simplement désopilant puisque aussi bien, la monture, euh non, la monteuse, Adèle Haenel, a décidé de remonter « Pulp Fiction » et de le remettre dans l’ordre chronologique, pour finir par s’apercevoir qu’ainsi remonté c’est nul!
    Bref, si vous ne connaissez pas encore Dupieux, vous allez être surpris! Personnage du cinéma complètement hors du commun dans l’absurde et le non-sensique. Mais encore une fois, le thriller tient la route et l’on suit ces aventures loufoques avec beaucoup de plaisir.

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  7. Vu le film hier et je suis moins sévère que toi. Je n’a pas recherché, en fait je n’ai pas souffert du manque « d’explication » sur le personnage de Dujardin (je n’ai pas vu le Powell) et je trouve que les deux acteurs Dujardin et Haenel sont épatants. J’ai pris l’absurde, la saugrenu comme tu le dis comme il vient, sans besoin d’explications et ai été sensible à une certaine forme d’humour présente dans le film. Mon seul grief vient de la fin du film, à mon avis bâclée ou pire, même pas imaginée ou écrite lorsque Dupieux a concocté son scénario.

    En tout ca c’est mon premier Dupieux et cela ne m’a pas détourné de son cinéma.

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