En Liberté ! de Pierre Salvadori : ripoux et victime

en liberté

Faire une comédie, c’est trouver un argument de départ, inversant souvent les rôles par rapport à la norme, à partir duquel peuvent s’articuler des situations comiques. Dans En Liberté ! (2018), Yvonne, la veuve d’un policier « ripoux », s’entiche d’Antoine, un innocent mis en prison par son mari décédé. Se sentant coupable, elle lui sert d’ange gardien à sa sortie de prison alors même que l’ancien innocent est devenu bandit malgré lui. Voilà pour l’argument de départ et l’inversion des rôles : le policier était corrompu, l’innocent ne l’est plus, la policière dévalisera une bijouterie. A ce schéma se rattachent des situations comiques souvent drôles (le cambriolage en tenues S.M., la fausse filature) reposant sur un parallélisme des formes : deux couples récalcitrants (Yvonne et son ami policier ; Antoine et sa femme), deux sorties de prison au début et à la fin, des dialogues très écrits se faisant écho. Le film n’est pas dénué d’humour noir, d’un fond d’angoisse, et un tueur en série découpant les cadavres y déambule sans entrave dans un commissariat.  « Il vaut mieux être salaud que victime » pourrait lui servir d’adage avant qu’Yvonne n’en donne une autre morale en assumant ouvertement sa culpabilité.

Pourquoi alors sort-on déçu de ce film répondant à toutes les demandes de construction du genre, avec le sentiment de n’avoir vu qu’un bon divertissement ? Sans doute parce que l’invention comique ne suffit pas, imaginer des situations ne suffit pas ; il faut aussi une invention de metteur en scène créant des images-types, des compositions de plan, des échos visuels, des encadrements de scène, un dynamisme dans le montage enfin, pouvant propulser les situations comiques, accentuer leur effet, les rendre mémorables au sens littéral du terme, au lieu de simplement les illustrer en deuxième intention. Or ici, trop souvent à notre goût, les cadrages n’ajoutent rien à la scène, les gros plans trop découpés en champ-contrechamp prennent le pas sur les plans larges si bien conçus pour le genre comique pourtant (Lubitsch en usait et Pierre Savaldori en est un admirateur avoué). Bien que l’on rit parfois beaucoup, que l’on s’amuse la plupart du temps et jamais aux dépens des personnages, que l’on perçoit bien la richesse structurelle du film où courent tout du long les histoires qu’Yvonne raconte à son fils non dupe sur son père décédé (son humeur influant sur elles comme dans Le Magnifique de Philippe de Broca), on reste donc sur sa faim faute d’une vivacité formelle reflétant l’élégance des mots. Les acteurs, très bien choisis, très naturels dans leur rôle, comptent pour beaucoup dans le charme que distille néanmoins occasionnellement le film, Adèle Haenel et Pio Marmaï en tête. A eux seuls ou presque, ils valent un détour.

Strum

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8 commentaires pour En Liberté ! de Pierre Salvadori : ripoux et victime

  1. Marcorèle dit :

    Aïe. Moi qui pensais que cela allait être sympa. Plus que le dépressif Grand bain, en tous cas…

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  2. Pascale dit :

    Pour ce qui est « des images-types, des compositions de plan, des échos visuels, des encadrements de scène » je ne sais pas… la technique m’échappe souvent (sauf si elle se voit trop), mais ce qui m’a gênée c’est que le dynamisme exceptionnel de la première scène ne se renouvelle pas. Je me suis d’ailleurs dit : il ne va jamais réussir à tenir ce rythme. Et en effet, il y a de gros coups de mou régulièrement. La scène où Adèle suit Pio est interminable. Et avant la fin, ça traîne…
    Mais Adèle sur sa moto, le hold up… c’est hilarant.
    J’ai aimé la répétition de la scène initiale de moins en moins valorisante 🙂 mais celle du serial killer qui essaie de se livrer à la police trop occupée ailleurs et son sac plein de sang… bof.
    Néanmoins j’ai ri. C’est une bonne comédie.
    Les acteurs sont bien voire surprenants et Audrey Tautou est émouvante sans en faire trop mais il faudrait revoir à la baisse les promesses de l’affiche hideuse.

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  3. dasola dit :

    Bonsoir Strum, moi, je n’ai pas ri une minutes. J’ai trouvé l’ensemble insupportable comme Pio Marmaï. Bonne soirée.

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