
La Villa (2017) de Robert Guédiguian possède les sentiments simples de certains poèmes de Victor Hugo, à l’instar des Neiges du Kilimandjaro (2011) qui s’inspirait des Pauvres Gens en reprenant le sujet de l’adoption d’enfants trouvés. C’est l’histoire d’une fratrie qui se réunit pour veiller sur un père victime d’un accident cardiaque. Armand (Gérard Meylan), Angèle (Ariane Ascaride) et Joseph (Jean-Pierre Darroussin) retrouvent la villa de leur enfance, celle où leur père Maurice rêvait de solidarités ouvrières et d’aubes nouvelles.
Guédiguian aborde son sujet avec beaucoup de sincérité, sans faux-semblants ni détours. On retrouve ici ses oppositions caractéristiques entre l’ancienne génération et la nouvelle qui ne se comprennent pas, les idéaux de la jeunesse et les lois de la réalité, les possédants qui prennent et les insouciants qui regardent, le passé et le présent, dualisme très hugolien là aussi. Le découplage weberien entre éthique de conviction et éthique de responsabilité est très net. Les anciens sont encore mûs par cette éthique de conviction qui nourrissait leurs rêves d’antan et les rend impropres à comprendre le nouveau monde, tandis que Bérangère (Anaïs Demoustier) et Yvan (Yann Trégouët) qui représentent la nouvelle génération acceptent le réel et la responsabilité d’en être et d’en tirer profit.
Guédiguian épouse le point de vue de cette ancienne génération de gauche ou de cette gauche ancienne génération à laquelle il appartient. A travers les personnages d’Armand, Angèle, Joseph et leurs voisins Martin et Suzanne, il met en scène quatre réponses possibles à l’échec des utopies communistes et l’arrivée d’une vieillesse déçue. Le suicide : c’est la réponse de Martin et Suzanne. L’aigreur vindicative : c’est la réponse de Joseph qui se déguise en humour pas toujours fin. Le déni de la perte : c’est la réponse d’Angèle, qui n’a pas voulu faire le deuil de sa fille qui s’est noyée il y a vingt ans (comme la Léopoldine d’Hugo, ombre tutélaire décidément). Enfin, le respect d’une mémoire qu’il faut continuer d’honorer : c’est la réponse d’Armand, ancre retenant la fuite du temps. Seul Armand conserve une espèce de foi candide, peut-être parce que lui seul est resté toutes ces années dans la villa paternelle de la Calanque de Méjean (située près de Marseille, comme il se doit chez Guédiguian). Cette foi intuitive dans la vertu du pays natal traverse le film et fait écho à la fidélité de Guédiguian aux mêmes acteurs et aux mêmes lieux depuis ses débuts (à quelques exceptions près) faisant de sa filmographie une sorte de journal intime.
Au début du film, les oppositions binaires qui sous-tendent le film laissent un peu circonspect, d’autant que si Guédiguian est hugolien par les thèmes, il ne l’est pas par le style. Puis, la fidélité de Guédiguian au passé, son pouvoir de conviction, le génie du lieu qui donne parfois au film un caractère de fable kaurismakienne (le thème des réfugiés, secondaire ici, était d’ailleurs traité directement par Kaurismaki dans son très beau L’autre côté de l’espoir) finissent par emporter l’adhésion, car c’est par l’image qu’il les fait passer, déléguant au cinéma la mission de lui rendre la foi et de la prêter au spectateur. En témoigne cette belle idée : une insertion soudaine au milieu du récit d’une séquence de son premier film avec son trio fétiche Ascardide, Meylan, Darroussin, Ki lo sa ? (1985), où ces derniers, jeunes et heureux, s’amusent de jeux simples dans la même calanque au son d’une chanson de Bob Dylan. C’est comme si les souvenirs et les espoirs de jeunesse de Guédiguian se confondaient avec ceux de ses films. Cette trouée dans la trame fatiguée du présent, cette irruption d’une jeunesse éclatante venue du passée, apportent au film un afflux de forces vives qui le régénèrent, comme si le souvenir pouvait à lui seul redonner à la calanque ses couleurs. Le film poursuit ensuite sur sa lancée, accueillant un premier acte de foi cinématographique venant des personnages (des enfants réfugiés recueillis, exemple d’une éthique de conviction à l’état pur) pour finir sur un second acte de foi dans les pouvoirs du cinéma : une fin qui émeut par l’idée simple qu’elle met en jeu : des voix dont l’écho profond semble venir du passé rappellent un condamné à mort à la vie.
Strum
Je n’ai pas saisi les références hugoliennes (même si une petite fille se noie) mais j’ai aimé ce beau film simple et sincère.
Je ne crois pas que Ki lo sa soit le 1er film de Guediguian.
J’ai un GROS problème d’amnésie avec la fin de tous les films. Il finit comment? Ariane emmène les petits ?
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Ki lo sa ? n’est pas le premier Guédiguian, mais c’est le premier où joue ensemble le trio Darroussin, Ascaride, Meylan. Pas sûr d’avoir compris ta question. Tu me demandes comment finit La Villa ou un autre film ? Si c’est La Villa, le dernier plan est le suivant : le père filmé de dos tourne très légèrement son visage vers la droite… je n’en dis pas plus pour ne pas trop spoiler (tu me diras, c’est trop tard). 🙂
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Ah oui d’accord. Tu dis bien le 1er film avec le trio.
Oui c’est la fin de La Villa.
Pratiquement toutes les fins de films m’échappent. Surtout ceux que jaime. Une vraie maladie.
Même avec ton indication je ne « vois » pas.
Avec tout ce que tu « spoiles » dans ta note tu peux me raconter la fin 🙂
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Bon. Attention Spoilers. A la fin, ils restent tous ensemble à la villa en gardant les enfants et le père sort de son état végétatif.
PS : pour tes trous de mémoire, c’est parce que tu vois trop de films. 🙂
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Ah oui je me souviens:-) merci.
Je vvois un film par jour. Cest vraiment pas trop.
Et j’ai le même problème avec les bouquins (que jaime), je ne veux pas led quitter alors je zapoe la fin.
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Ah, tu vois, un film par jour c’est déjà trop pour moi. J’ai besoin de digérer les films que je vois pour bien m’en souvenir. Un tous les deux jours est mon rythme maximum.
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Bonjour Strum, vu hier soir ce film solaire mais mélancolique. Le film où l’on voit Darroussin, Ascaride et Meylan tous jeunots m’a beaucoup émue. C’est un film sur le temps qui passe trop vite. L’arrivée des enfants kurdes est surprenante et pleine d’espoir. Bonne journée.
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Bonjour Dasola, j’ai moi aussi beaucoup aimé cette scène qui vient du passé. Merci et bonne journée aussi.
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Ping : Bilan de l’année 2017 | Newstrum – Notes sur le cinéma
Bonjour Strum,
Une véritable envie ce matin de découvrir le dernier film Guédiguian : Gloria Mundi. Mais moi qui est déserté les salles de cinéma depuis plus de cinq ans – à de rares exceptions près – en découvrant la bande annonce, j’ai eu l’impression que le film était tourné en HD numérique. Mes questions, si tu veux bien me répondre : quels sont aujourd’hui les normes de tournages ? Est-ce qu’un film comme The Joker contient des fragment de séquences numériques, comme Le Traîte, par exemple ? Est-ce que le 35mm perd du terrain aujourd’hui, et que penses-tu de la texture du numérique ?
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Bonjour J.R., j’aime bien Guédiguian et j’ai envie de voir le film moi aussi. Le 35mn, qui est plus cher, est réservé aujourd’hui à certains auteurs qui en ont les moyens et résistent au changement (Spielberg, Tarantino) ou à la limite aux films de studio qui veulent une certaine patine. Joker est en 35mm par exemple, car ils cherchaient à imiter une certaine patine année 70. Le numérique a fait d’énormes progrès en termes de rendu et honnêtement, la différence avec les dernières caméras par rapport au 35mm est faible aujourd’hui (et toutes ces histoires de changement ontologique du cinéma parce qu’on est passé de la pellicule dure au numérique dématérialisée, ce sont des bétises). Dans Le Traitre, le numérique avait un côté un peu artificiel qui m’avait gêné moi aussi mais je pense que c’était pour des problèmes de budget. Donc : 1. l’immense majorité des films aujourd’hui sont en numérique. 2. Guédiguian a tourné très probablement Gloria Mundi en numérique, mais en essayant sûrement de se rapprocher de la texture du 35mm, donc ce sera beaucoup moins gênant que dans Le Traître.
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Merci de tes réponses précises. Concernant le changement ontologique du cinéma, je dois reconnaître que hier soir en regardant les bonus du blu-ray de La chevauchée Fantastique chez Lobster film – le modeste By Indian post de 1919, et le très bon téléfilm The Rookie of the year (1955), hélas proposé en français, et dans un format un peu étroit – je me suis dit que l’on ne pouvait plus comparer le cinéma actuel avec ces deux métrages d’une autre époque, de plus, réalisés comme avant-programme, ou pour la télévision. Certes la grammaire, pour faire une métaphore littéraire, est un peu la même, mais c’est comparer le langage de Bossuet avec celui de George Perec : certes il parle la même langue mais utilise-t-il toujours le même langage ? La finalité des textes n’est peut-être plus la même. Il faudrait déjà définir la valeur ontologique du cinéma pour pouvoir dit ce qu’il est et ce qu’il n’est pas. Je pense quand même que le numérique ne va freiner l’accélération du découpage, et le nombres toujours croissant de prises de vues. Le principal est qu’il existe des œuvres profondes, qu’importe sinon leur nature. Bon revenons à Guédiguian au prochain épisode… un avatar du cinéma classique.
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Ce que permet le numérique, c’est surtout l’intégration de plus d’effets spéciaux. Mais pour le reste, les différences avec la pellicule sont beaucoup moins importantes qu’on ne le dit généralement, en tout cas insuffisante pour changer la nature du cinéma, le seul art visuel au monde à ne pas avoir été défiguré par l’art contemporain. Bien sûr, il y a des différences importantes entre The Rookie of the year et Avengers, mais c’est plus dû à mon avis à l’usage que l’on fait de la technique, du numérique, qu’à la nature du numérique lui-même. Bon, on s’éloigne de Guédiguian, mais ses films prouvent justement que le cinéma n’a pas changé de nature. 🙂
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