Giuseppi Di Noi (Alberto Sordi), géomètre de retour en Italie après 6 ans d’absence est arrêté à la frontière pour une raison inconnue. Commence alors un chemin de croix qui le voit passer de prison en prison, sans que lui soient signifiés clairement les motifs de sa détention. Détenu en attente de jugement (1971) de Nanni Loy est à la fois un récit kafkaïen et une dénonciation des détentions provisoires. C’est un film d’une grande force, inexorable par sa limpidité narrative.
Au Procès de Kafka, Loy emprunte son incipit d’un homme qui ne sait pas pourquoi il a été arrêté et se retrouve prisonnier de la toile d’araignée d’une justice sibylline. « La procédure est engagée, vous apprendrez tout au moment voulu » : ce qu’écrit Kafka, Di Noi l’entend lui-même au début de sa détention. Au Château du même Kafka, Loy emprunte la profession de son héros : Di Noi est géomètre comme K. D’ailleurs, les prisons du film sont d’anciens châteaux dominant les villes qui semblent appartenir à un autre monde aux arcanes incompréhensibles. Le labyrinthe est un autre motif kafkaïen de ce film où les prisons sont filmées comme une succession de salles, de couloirs et de barreaux qui semblent n’avoir pas de fin.
Cette ascendance kafkaïenne confère une portée universelle au récit mais elle co-existe au sein du film avec une autre veine propre au cinéma italien très politisé du début des années 1970 (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon de Petri date de 1970, Au nom du peuple italien de Risi de 1971, L’Affaire Mattei de Rosi de 1971, L’Argent de la vieille de Comencini de 1972, Nous nous sommes tant aimés de Scola de 1974). Car Détenu en attente de jugement est aussi une charge contre la justice italienne et certaines méthodes pénitentiaires n’ayant pas beaucoup évolué depuis le fascisme (les cachots d’isolement sont les mêmes). Le scénario de Sergio Amidei, ancien scénariste d’élection de Rossellini et vieux communiste réglant ses comptes avec l’Etat italien, énumère sans trêve les tares de ce système carcéral : indifférence des gardiens et du juge, incurie et incompétence de l’administration, prisons délabrées, nourriture infecte, arbitraire des mises en détention, et surtout longueur des procédures qui fait croupir en prison des innocents en attente de jugement. C’est dans l’impressionnante scène de la révolte de la prison que culmine cette mise en accusation de la justice italienne : c’est alors que s’achève le passage du récit individuel kafkaïen à la dénonciation collective d’un système pénitentiaire qui brise les hommes, c’est là qu’on s’aperçoit que Di Noi n’est qu’un détenu parmi tant d’autres.
Dès les premières minutes, il est humilié, maltraité, fouillé (fouille rectale comprise), sommé d’appeler « Supérieurs » ses gardiens et obligé de se défaire de sa personnalité qu’il essaie d’adapter à la situation. Di Noi est à la fois isolé des autres (l’isolement, mère de la folie) et surveillé en permanence par ses gardiens, qui paraissent innombrables dans les couloirs des prisons. Cette surveillance incessante selon le principe du panoptique décrit par Foucault dans Surveiller et Punir est aussi le fait de la caméra agile de Loy qui quitte rarement son personnage, le filmant souvent d’en haut par des cadrages en plongée qui semblent l’écraser comme un insecte dans sa cellule (ce sont ces images-là qui font penser au fascisme), à l’instar de ce système carcéral humiliant et écrasant les hommes sous sa botte.
Loy rend compte du caractère labyrinthique de ce cauchemar grâce à un découpage précis et rapide ; les images et les situations s’enchainent à toute vitesse, trop vite pour un Di Noi perdu et hagard, trop vite même pour le débit et le bagout d’un Sordi une fois de plus génial dans un de ses rares rôles entièrement dramatiques (il y a bien quelques traits d’humour noir au début mais ils s’estompent vite) et qui est ici balloté de mains en mains et de lieu en lieu, comme un grand corps inerte. On a l’impression d’un train emballé qui ne s’arrêterait plus et qui avancerait dans un tunnel ; la photographie sombre presque sale du film participe de ce sentiment de sous-sol qui nous étreint peu à peu. Dehors, la dolce vita bât son plein et les italiens font la fête au son d’une musique gaie, insouciants de ce qui se trame dans les châteaux qui couronnent leurs villes historiques. Di Noi ne chantera plus les louanges de son pays natal qu’il entonnait au début du film.
Strum
PS : Durant cette même année 1971, Nanni Loy fit partie des 800 signataires d’un texte publié dans la presse accusant le commissaire Calabresi d’avoir défenestré un anarchiste lors d’une garde à vue. Une affaire qui fit grand bruit. Le commissaire fut ensuite innocenté durant l’instruction mais à titre posthume car il fut lui-même abattu en 1972 devant chez lui – c’étaient les années de plomb.
PPS : Balayons devant notre porte : la détention provisoire soulève aussi de vrais difficultés en France à cause de sa durée excessive. Les plus curieux se reporteront aux rapports annuels de la Commission de suivi de la détention provisoire.
PPPS : Détenu en attente de jugement fait l’objet d’une reprise à Paris.
Je n’ai aucun souvenir de ce film. Pourtant en ces annés 70 j’ai vu Enquête…, Confession d’un commissaire…, et les films de Rosi. Plus récemment j’ai découvert que Bolognini avait eu aussi sa veine « politique » dans ces mêmes années (Metello, Liberté, mon amour, Chronique d’un homicide). Ca me donne très envie, Sordi est tellement fabuleux. Je crois que c’est une sortie DVD, peut-être une reprise rare. Merci pour ce bel article.
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Sordi est formidable comme d’habitude. Effectivement, le nombre de films italiens politiques dans ces années-là est impressionnant. A part Fellini et Visconti, ils s’y sont tous mis. Detenu en attente de jugement se trouve dans le coffret DVD l’Albertone chez Tamasa (avec Une vie difficile, L’argent de la vieille, L’agent et Mafioso)
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