On peut s’étonner de l’accueil critique globalement favorable de Tout de suite maintenant (2016) de Pascal Bonitzer, toujours à l’affiche, qui me semble concentrer plusieurs tares d’un certain cinéma naturaliste français confondant réalisme et absence de rigueur formelle. Il fut un temps où le cinéma français était reconnu pour l’élégance de sa forme et il est regrettable que tant de critiques se contentent aujourd’hui de films français si pauvres visuellement (car il n’est pas question ici de mettre au piloris le seul Pascal Bonitzer ; il n’est qu’un exemple parmi d’autres, et ils sont légions les cinéastes français qui semblent considérer la mise en scène comme un passage obligé et un peu rébarbatif pour encadrer des dialogues, alors que la mise en scène doit arriver en premier et que tout doit dériver d’elle). Mais puisqu’il faut parler ici de Tout de suite maintenant, disons que c’est un film qui est dénué de toute ambition visuelle, de toute idée de plan, à tel point que l’on a parfois l’impression, bien que l’on ne se cache pas la difficulté de l’exercice, que le chef opérateur a dans certaines scènes posé sa caméra au petit bonheur la chance. Certains plans frisent l’amateurisme technique. La gestion de l’espace est inexistante et dès qu’une scène appelle autre chose que le champ-contrechamp, dès que les personnages se meuvent dans l’espace, la maladresse du cadrage et du découpage, lui donne un caractère artificiel et hasardeux.
On en veut pour preuve la scène d’ouverture censée représenter l’arrivée de Nora (Agathe Bonitzer) dans un fonds d’investissement (et qui serait inspirée de l’arrivée d’Anne Lauvergeon à l’Elysée ; confondre l’Elysée et un fonds d’investissement n’augure déjà rien de bon). Rien n’est crédible dans cette scène, ni le décor froid et impersonnel (pas un seul papier sur les bureaux), ni les différentes rencontres que fait Nora que la caméra ne semble pas savoir comment filmer, ni surtout les dialogues et les comportements des personnages : Nora arrive sans un sourire, ne dit pas bonjour, n’est accueillie par personne, se voit reçue par des discours surréalistes des associés du fonds qui se mettent à lui confier des éléments très intimes de leur propre parcours. Le mépris et la méconnaissance de l’auteur pour le monde de la finance est manifeste (pour Bonitzer, les employés du fonds sont soit des « esclaves » soit des « putes » ; esprits nuancés et recherchant la vérité humaine au cinéma, passez votre chemin) et lui fait dès lors imaginer des situations et des dialogues qui font si peu sens humainement que l’on finit par se désintéresser du personnage de Nora et de l’intrigue principale, qui implique un vague conflit d’intérêt entre un associé du fond et un client. Il faut dire qu’Agathe Bonitzer est une actrice au charisme limité et au jeu glacial ; ses épaules sont trop frêles pour porter ce film et j’ai peiné à ressentir une quelconque empathie pour son personnage d’ambitieuse aux dents longues. Par instants, apparait un chien, que seule voit Nora et qui représente le mauvais oeil ou le malheur. On devine qu’il s’agit de touches fantastiques que Pascal Bonitzer tente d’apporter pour conférer plus de substance à son récit. Hélas, ce début d’idée n’est qu’à moitié développée : les apparitions du chien sont (là encore) amenées sans aucune idée de mise en scène, sans transitions ou liaisons poétiques; en réalité, Pascal Bonitzer semble ne savoir qu’en faire. Manque d’inspiration, défaut d’ambition ? Sans doute un peu des deux.
Pourtant, le film recelait un second récit, d’un tout autre intérêt celui-là, mais qu’il ne raconte pas : celui du passé du père de Nora, joué par Jean-Pierre Bacri. Centralien, il formait avec trois autres, Lambert Wilson, Pascal Greggory et Isabelle Huppert, un groupe d’amis. Bacri choisit la recherche fondamentale, tandis que Wilson et Greggory se lancèrent dans la finance. Trahi par Huppert qu’il aimait, Bacri plongea dans la dépression, ressassant son amertume dans les abstractions mathématiques, et Wilson et Greggory perdirent leur âme dans leur fonds d’investissement – on devine qui est le pur et qui sont les méchants pour Bonitzer, selon la structure manichéenne qui préside à son film, même si tous d’une certaine façon sont des victimes de leur choix de vie. Ce passé, le film y fait référence par instants, qui éveillent soudain l’attention du spectateur. D’ailleurs, les seules belles scènes du film sont celles où Huppert retrouve Bacri après des années de séparation. Près d’un hôpital, le temps d’une confession amère, on voit alors deux très bons acteurs pleurer en évoquant ces moments passés qui ne reviendront plus. Et on est ému par ces regrets tardifs. C’est cette histoire-là que l’on aurait aimé voir, pas celle de Nora. Mais pour filmer cette histoire-là, il aurait fallu un Balzac moderne. Il aurait fallu surtout un cinéma d’une autre ambition et d’une autre maitrise visuelle que celui de Tout de suite maintenant.
Strum
Ouh ! Tu ne donnes pas envie de s’aventurer sur ce territoire de cinéma, c’est le moins qu’on puisse écrire ! Quelle drôle d’idée aussi, pour un père, de faire jouer à sa fille un rôle trop grand pour elle. Bon, gageons que tout ce petit monde reviendra bientôt à de meilleures productions…
Je suis un grand défenseur du cinéma français, mais, sans l’exprimer aussi bien que toi, je trouve effectivement qu’il est parfois bien pauvre en mise en scène, se contentant de poser sa caméra au milieu de ce qu’il croit être le réel pour édifier le populo. Et j’ai bien l’impression qu’en pareil cas, ça ne marche pas franchement et que le public se détourne largement. Bref…
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Oui, mon texte n’est pas très encourageant et j’en suis le premier désolé. Il y a dans certaines parties du cinéma français cette idée reçue, héritage sans doute des équipes techniques légères des films et du mythe de la Nouvelle Vague, selon laquelle l’aspect technique, ce qui relève de l’image et de la composition des plans, seraient moins importants que l’écriture, que le ton, que la « captation du réel » (notion qui ne veut pas dire grand chose : on ne peut capter le réel : un angle de caméra, ce n’est qu’un point de vue sur une partie infime du réel…). Je ne partage pas cette approche : pour donner l’illusion du réel propre au cinéma (qui crée du vrai à partir du faux), il faut parfaitement maitriser l’image et la composition du plan. Et puis, beaucoup de films de la Nouvelle Vague étaient bien cadrés et découpés – Raoul Coutard et les autres savaient filmer.
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