L’Attaque de la malle-poste (Rawhide) de Henry Hathaway : vitalité du western et film situation

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Plusieurs décennies après la fin de son âge d’or, le western américain classique reste une source inépuisable de plaisir cinématographique et continue d’éclairer la psyché américaine, fondée sur l’idée du « struggle for life » selon laquelle il faut se battre pour (sur)vivre. Henry Hathaway fait partie des cinéastes américains qui ont montré cela de manière factuelle, sans regard moral affirmé, avec la sécheresse d’un excellent raconteur d’histoires, même si au fil des années, en particulier à la fin de sa carrière, son cinéma perdit la vitalité de ses premiers films.

L’Attaque de la malle-poste (1951) – Rawhide en version originale ; un titre qui claque et que l’on préférera comme d’habitude à sa traduction français prosaïque et imprécise – est un bon exemple du cinéma d’Hathaway quand il est à son meilleur : assez découpé, fondé sur le champ-contrechamp, où la tension rebondit de personnage en personnage, chaque plan répondant au précédent et annonçant le prochain, et s’appuyant sur des scénarios très bien écrits. Le film commence sur un mode héroïque avec une voix-off vantant avec force arguments publicitaires et chiffrés (approche typiquement américaine) les exploits des diligences qui reliaient l’Ouest à l’Est américain, et vice-versa. Tom (Tyrone Power) est venu apprendre le métier dans un relais de diligences de l’Arizona. Il y rencontre Vinnie, jeune femme voyageant avec le bébé de sa soeur décédée. A l’issue de diverses péripéties, Tom et Vinnie se retrouvent otages à l’intérieur du relais d’une bande de bandits menée par Zimmerman, qui vient de s’évader de prison. Pour sauver leur vie, Tom et Vinnie se font passer pour mari et femme. Ils attendent dans une atmosphère lourde où chacun s’épie la venue de la prochaine diligence censée transporter une cargaison d’or.

C’est un film qui décrit une situation (soit un film-situation) : un petit groupe est confiné dans un lieu clos (le relais de diligences), et le désert pierreux qui les entoure fait moins office d’immensité appelant au voyage comme chez John Ford que de mur d’ocre les emprisonnant dans un cercle étroit. Dans un bonus du DVD Sidonis du film, Bertrand Tavernier fait observer que c’est là une situation ayant plusieurs points communs avec le film noir (auquel Hathaway a donné un de ses fleurons, quatre ans plus tôt, avec Le Carrefour de la Mort), mais on pourrait tout aussi bien faire valoir qu’il y a tant de westerns qui se sont appropriés la figure de la prise d’otages dans un lieu fermé qu’il s’agit en fait d’une situation récurrente du western américain des années 1940-1950. On la retrouve déjà, par exemple, dans La Ville Abandonnée de Wellman en 1948. D’autres westerns célèbres sont aussi des films-situations aux allures de huis-clos. Citons, toujours avant L’Attaque de la malle-poste, L’Etrange Incident (1943) là aussi de Wellman, autour d’un lynchage trop hâtif ou le très beau La Cible Humaine (1950) d’Henry King, dans lequel Gregory Peck campe un ancien tueur quasi beckettien, désireux de mettre un terme à sa vie de cavale et de tuerie et attendant dans un saloon que son ancienne femme veuille bien venir lui parler.

Un film-situation s’apparente au théâtre classique – unité d’action (l’attente de tous les personnages converge vers un dénouement unique), unité de lieu (le confinement dans un lieu précis) et unité de temps (tout se passe toujours en vingt-quatre heures) et ne peut donc fonctionner que s’il est parfaitement écrit. C’est le cas de L’Attaque de la malle-poste, dont le scénario est signé Dudley Nichols, l’un des meilleurs scénaristes hollywoodiens de l’époque (qui officia chez John Ford bien sûr, mais aussi chez Hawks – le fabuleux scénario de comédie de L’Impossible Monsieur Bébé, c’est lui). Son script est ici un modèle du genre. Les personnages du film sont tous parfaitement caractérisés : Tyrone Power en jeune gandin de l’Est venu éprouver la dure loi de l’Ouest et multipliant les maladresses dans son rôle d’anti-héros (personnage assez original dans les westerns de l’époque), Susan Hayward, en femme à forte tête dont la vitalité sauve la mise, et les quatres bandits : Zimmerman le chef, sorte de double de Tom ayant mal tourné (c’est pour cela qu’ils se comprennent si bien) et ses trois acolytes, deux hurluberlus pas très futés qui se demandent sans doute ce qu’ils font là, et un pervers sexuel incarné par un jeune Jack Elam – il joue ici de son strabisme pour donner vie avec beaucoup de naturel à un bandit particulièrement inquiétant  : on devine assez vite qu’il se retournera contre son chef et qu’il est le maillon faible de la bande, conformément à une convention narrative très utilisée dans le western. De cette description précise des personnages, Hathaway tire parti pour créer une tension qui se dédouble : entre le couple Tom-Winnie et la bande de bandits, et au sein de la bande de bandits elle-même, où la dissension finit par leur être fatale. De même, Nichols utilise plusieurs objets (le pistolet, la lettre cachée, le couteau, l’enfant) pour relancer constamment l’attention et le suspense du film. Enfin, Nichols et Hathaway sèment le récit de plusieurs références à des mythes américains (le Colt, le jounaliste Horace Greeley) qui confèrent au film un intérêt supplémentaire et l’inscrivent dans le cadre de ces westerns ayant bâti la légende de l’Ouest.

Mais c’est bien la patte d’Hathaway qui se remarque d’abord, si bien que l’on finit par se dire qu’on lui a trop souvent reproché d’être versatile alors qu’on lui doit plusieurs grands films. Si sa mise en scène n’a peut-être la vigueur de celle de Wellman ou le dynamisme et les éclairs soudains de celle de Raoul Walsh, ses qualités de raconteur d’histoire éclatent dans ce film très bien construit, où la tension procède du découpage, chaque personnage tentant de prendre le meilleur sur l’autre dès que la caméra le montre, et ce dans chaque scène, y compris celles du début à table qui paraissent anodines mais qui annoncent déjà la lutte qui va suivre. La profondeur de champ fait le reste (voir ce plan où la silhouette de Jack Elam apparait dans un miroir derrière Zimmerman, qui augure le meurtre à venir où il lui tire dans le dos). Le récit contient aussi les habituels moments de violence et de noirceur des films d’Hathaway, à l’instar de Jack Elam tirant sur le bébé en riant de sa propre folie, dans une scène qui fait froid dans le dos et fait penser à Widmark poussant en ricanant la mère dans l’escalier lors de la séquence la plus marquante du Carrefour de la Mort – il y a des élans de sadisme chez Hathaway comme si la tension latente des oppositions entre individus, quand elle s’exacerbe, faisait ressortir le pire de l’homme. C’est également par la mort et la violence (malgré des fins heureuses pour le héros) que se terminaient deux des meilleurs films d’Hathaway, avec Gary Cooper, Les Trois lanciers du Bengale (1935), que j’adore, et Le Jardin du diable (1954), Widmark et Susan Hayward rejoignant Cooper au casting. Heureusement, Hathaway ne s’appesantit pas sur les scènes de violence qu’il met en scène (au contraire d’un Tarantino, qui voue à la violence un culte malsain qu’il cherche à dissimuler sous couvert d’une distanciation post-moderne). Elle est pour lui un passage obligé vers la civilisation, un élément factuel et évident de la psyché américaine, le pendant de la vitalité de son pays et de ses habitants, qui fait que les personnages du film se relèvent toujours et ne considèrent que le versant positif de la vie. Cette vitalité se retrouve dans la mise en scène de ce film fort et tendu où comme l’affirme Tom à la fin il s’agit d’apprendre (« learning the business ») la dure loi de l’Ouest.

Strum

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5 commentaires pour L’Attaque de la malle-poste (Rawhide) de Henry Hathaway : vitalité du western et film situation

  1. modrone dit :

    Je suis très impressionné par cette étude hyperétayée de ce bon western que j’ai vu il y a fort longtemps. Chapeau pour le sérieux de ton travail.J’aime beaucoup aussi Les lanciers…, Le jardin…, l’onirique Peter Ibbetson, et plus tard les déjà léoniens Nevada Smith et Cinq cartes à abattre. Est-ce que tu écris dans une revue par ailleurs?

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  2. Strum dit :

    Merci eeguab pour tes commentaires toujours encourageants. 🙂 Non, je n’écris pas pour une revue, même si quelqu’un me l’a récemment proposé. J’ai un peu peur de ne pas être assez discipliné et disponible pour cela. Sinon, moi aussi, j’aime beaucoup Peter Ibbetson. J’aimerais bien en parler un jour.

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  3. princecranoir dit :

    Je me permets de renchérir sur eegaub pour louer la qualité éminente de cette analyse. Un des meilleurs westerns d’Hathaway, bâti sur une scénario solide comme le roc, je ne peux que me ranger du côté du laudateur, même si je garde un colt fidèle au Tarantino ici dégommé au passage. 😉

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  4. Ping : Appelez Nord 777 de Henry Hathaway : journalisme d’investigation et vertus de la technique | Newstrum – Notes sur le cinéma

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