Gone Girl de David Fincher : tromper ou être trompé, telle est la question

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Comme souvent chez David Fincher, Gone Girl (2014) est un film qui met en scène un esprit manipulateur qui se targue d’avoir un coup d’avance sur les autres personnages, ainsi que sur les spectateurs. Fincher, cinéaste sceptique qui se méfie de l’image qu’il se plaît pourtant à fabriquer, semble ici percevoir Hitchcock comme un anti-modèle. Chez Hitchcock, c’est le spectateur qui a un coup d’avance, grâce à ce qu’on lui a montré : de cette connaissance de ce qui est et de ce qui peut advenir naît le suspense, qui fait participer le spectateur, qui l’attire à l’intérieur du film par un phénomène de fascination. Et quand les images mentent pour les besoins de l’intrigue (ce qui peut arriver chez Hitchcock, comme dans Vertigo ou La Mort aux Trousses), cela ne dure qu’un moment. Dans Gone Girl, au contraire, les images mentent constamment, et le spectateur, à qui peu est montré qui soit digne de confiance, est sommé de rester sur ses gardes.

Au début du récit, le spectateur croit assister à un film à suspense centré sur la disparition d’une femme. Une première partie bien mise en scène le rapproche progressivement de la question suivante : Rosamund Pike a-t-elle été tuée par Ben Affleck ? Puis, survient la révélation qui lève le voile sur la nature manipulatrice du principal personnage féminin du film : substitut de Fincher lui-même, elle a mis sur pied une mise en scène visant à faire croire que son mari l’a assassinée. Le spectateur a été trompé, y compris par certaines images, engendrées par l’esprit manipulateur de cette réalisatrice à l’intérieur du film. Première tromperie. La deuxième tromperie arrive ensuite : la mise en scène fait tout (cadrage, découpage, lumière, musique) pour suggérer que les jours de Rosamund Pike sont menacés par un ancien amant éconduit, que de chasseresse elle est devenue proie. Survient alors la deuxième révélation : non seulement la femme peut se défendre, mais en outre, c’est une psychopathe. Commence la mise en place de la dernière partie, là aussi en forme de tromperie assumée. On craint maintenant pour la vie du mari, lui le premier. On se trompe encore. Le dernier plan du film, à interpréter en relation avec la première phrase du film (où le mari parle d’ouvrir le crâne de sa femme pour en voir le cerveau), nous montre que dans le futur hors-champ du film, c’est la femme qui devra craindre son mari. « Tromper ou être trompé » semble être le modus vivendi de tout ce monde.

Ce systématisme de la tromperie qui préside à la structure du film fait que celui-ci pourrait continuer à l’infini, par une succession de séquences mensongères, chacune s’ouvrant de l’intérieur au moment de la révélation de son caractère factice, comme autant de poupées russes. On comprend dès lors pourquoi la dernière partie du film, bien longue, s’arrête de manière arbitraire : c’est une histoire qui ne peut avoir de fin du fait même de la nature mensongère de la mise en scène. Gone Girl est un film où tout ou presque donne l’impression de mentir, images et personnages, de jouer un rôle, de jouer au jeu du chat et de la souris. Fight Club, déjà, ne faisait pas autre chose. La seule qui ne ment pas, c’est la soeur jumelle de Ben Affleck. C’est d’ailleurs le plus beau personnage du film, son ancre émotionnelle, qui nous aide à traverser ce monde de fantômes et d’apparences. Quant au soi-disant discours sur le couple et son rapport à l’image que tiendrait le film, on peut mettre en doute sa profondeur ou sa pertinence, dès lors qu’il repose sur le postulat de départ que la femme est une psychopathe. On est en droit de préférer à ce cinéma de l’image menteuse, un cinéma qui donne foi aux images que des cinéastes américains de la même génération portent aujourd’hui (parmi lesquels Jeff Nichols, Bennett Miller ou J.C. Chandor, chacun à leur façon, mais aussi Paul Thomas Anderson, qui sait si bien mettre en images le monde subjectif de ses personnages)

Strum

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8 commentaires pour Gone Girl de David Fincher : tromper ou être trompé, telle est la question

  1. ClemiZone dit :

    J’ai trouve ce film tres bon, en plus d’avoir une ambiance et un visuel a coupe de souffle, le scenario est super. Juste un bemole, c’est un peu long a se mettre en place…

    Merci pour ton article 🙂

    Clemi
    https://clemizone.wordpress.com/

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  2. Strum dit :

    Bonjour Clémi, de rien et merci pour ton commentaire ! 🙂 Je rêve où c’est Burano sur la photo de ton avatar ? Merveilleux endroit.

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  3. southshield dit :

    Un très bon film même si on rage d’assister à une telle soumission du personnage de Ben! J’aime beaucoup votre blog. J’écris actuellement un feuilleton sous forme de scénario, n’hésitez pas à venir réagir, questions et critiques sont les très bienvenues!
    Bonne semaine
    A.F.

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  4. Strum dit :

    Merci beaucoup Southshield ! Je passerai voir votre blog.
    Bonne semaine également,
    Strum

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  5. 2flicsamiami dit :

    Je découvre ton blog par l’entremise de celui de Martin, « Mille et une bobines ». Je t’avoue que je reste béat d’admiration face à ta chronique, magnifiquement écrite et qui, en outre, révèle certains éléments du film à côté desquels j’étais passé (notamment ta passionnante interprétation de la phrase introductive croisée à l’image finale). Bravo 🙂

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  6. 2flicsamiami dit :

    D’ailleurs, à ce titre, j’ai moi même un blog traitant de cinéma : https://poingcritique.wordpress.com/
    Tu y sera le bienvenu 🙂

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  7. Strum dit :

    Bonjour et merci pour ton commentaire qui fait chaud au coeur ! J’irai voir ton blog. 🙂

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  8. Ping : Mank de David Fincher : un révisionnisme mettant Welles hors jeu | Newstrum – Notes sur le cinéma

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