Les Trois Mousquetaires : Milady de Martin Bourboulon : tromperies

Je tiens pour acquis qu’il existe, lorsqu’on adapte un livre, une ligne de démarcation que l’adaptateur se doit de ne pas franchir ou alors à ses risques et périls : en-deçà, il peut exercer sa liberté de jugement et apporter au récit certaines modifications qu’il juge nécessaires ; au-delà, les changements apportés au livre sont trop importants pour qu’il ne s’en trouve pas dénaturé, avec des relations de cause à effet difficilement maitrisables. Ai-je été trop indulgent ? Il m’avait semblé devant Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan que les licences que s’étaient autorisés Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, bien qu’importantes, n’entravaient pas outre mesure le plaisir que l’on pouvait prendre devant le film au regard de ce qui se présentait comme une remise au goût du jour, pour résumer, du chef-d’oeuvre de Dumas. Il n’en va pas de même devant ce deuxième volet où la ligne est franchie : l’éloignement du récit d’origine prend de telles proportions qu’à la fin du film, on a l’impression de ne plus vraiment se trouver dans le monde des Trois mousquetaires mais dans une sorte de dimension parallèle où Buckingham survivrait, où Athos et Milady auraient un fils, Aramis une soeur (et Athos un frère protestant comme dans le premier), Louis XIII un frère comploteur, et le récit de Dumas une suite qui ne serait pas Vingt Ans après.

Comme le titre l’indique, le cahier des charges suivi consistait notamment à conférer plus d’importance au personnage de Milady en trouvant des justifications à son comportement, en en faisant un personnage antagoniste moins diabolique que la femme vengeresse et sans scrupules de Dumas. De là sans doute l’idée de l’absoudre de la mort de Constance (dont elle n’est plus directement responsable) et d’en faire la mère de l’enfant d’Athos. Car voyez-vous, Dumas se serait trompé, ce ne serait pas avec La Duchesse de Chevreuse (déguisée en Marie Pichon, lingère) qu’Athos aurait eu un fils, le futur Vicomte de Bragelonne, mais avec Milady elle-même. De là aussi l’idée de faire dire à Milady que les hommes se sont toujours servis d’elle, ont toujours décidé pour elle, et que maintenant, elle veut décider par elle-même. Sauf que les adaptateurs ont commis une énorme erreur de jugement en s’intéressant surtout aux répliques de Milady : ils ont oublié D’Artagnan et dans une moindre mesure d’Athos. Or, sans comprendre D’Artagnan et Athos, on ne comprend pas et donc on défend mal Milady.

Qui est le D’Artagnan de Dumas ? Nullement le jeune homme chaste, candide et transi d’amour (pour Constance) du film. Le D’Artagnan de Dumas est un intrigant et un ambitieux, assez largement dépourvu de scrupules. J’en appelle à la mémoire des lecteurs du livre qui ne peuvent que se rappeler cet épisode inouï, où D’Artagnan parce qu’il désire Milady, et qui a alors tout à fait oublier Constance, se fait passer pour le Comte de Wardes (l’homme qu’elle aime) pour coucher avec elle dans l’obscurité après avoir intercepté sa correspondance, abusant au passage de Kitty, la soubrette de Milady, qui s’est entichée du mousquetaire. Cette double tromperie qui s’apparente à un double viol rend Milady folle de rage et le lecteur peut très bien comprendre ensuite qu’elle souhaite se venger du fallacieux mousquetaire qui a vu au matin la fleur de lys sur son épaule, y compris, faute de mieux, en empoisonnant Constance.

Comment se comporte l’Athos de Dumas avec Milady ? Avec une très grande dureté. Il est implacable, ne cille pas un instant devant elle, et remue ciel et terre pour retrouver le Bourreau de Lille et faire passer Milady devant un tribunal privé qui la condamnera à mort pour ses crimes passées. Là aussi, tout lecteur de Dumas qui pense juste, a pu remarquer la dureté d’Athos et la regretter, une dureté de grand Seigneur exerçant ses droits seigneuriaux sur ses terres qui conduisit Athos à pendre, oui pendre (bien qu’elle en réchappe d’une façon que Dumas ne dit pas), sa propre femme et de ses propre mains, lorsqu’il aperçoit la fleur de lys, marque des criminels, sur son épaule, sans même lui demander de se justifier, sans même vouloir entendre son histoire. Un « meurtre » comme en conviennent ensemble D’Artagnan et Athos.

Et tout cela que Dumas décrit très bien suffit à faire comprendre au lecteur que D’Artagnan et Athos, tous gentilhommes qu’ils soient ne sont nullement des héros sans reproche, et que la société et les hommes de l’époque étaient absolument terribles pour des femmes comme Milady ; si cela ne justifie pas ses crimes, cela faisait voir qu’il n’y avait pour elle pas d’autres moyens de survivre qu’en séduisant et en trompant les hommes. Or, tout cela a disparu du film, tout cela qui rendait D’Artagnan complexe et le rival de Milady par la ruse, et Milady une femme inoubliable et indomptable dans son désir de vengeance, qui expliquait son comportement, tout cela donc, dont la force dramaturgique était si évidente, n’a pas été retenu par les adaptateurs, qui ont cru habiles dans leur désir de « rafraichir » le récit (quel mot) de faire en sorte que Milady ne soit plus coupable du meurtre de Constance. Pire : de faire pleurer Athos demandant pardon à Milady (impensable chez Dumas), qui rend la réaction de la jeune femme voulant le tuer impardonnable pour le coup. Quant à D’Artagnan, il apparait plus candide et plus chaste que le D’Artagnan hollywoodien des Trois Mousquetaires (1948) de George Sidney (un comble !), qui n’aurait certes pas refusé de coucher avec Milady. Plus largement, la dramaturgie est pour une large part absente de ce film qui se présente surtout comme une suite de poursuites et de combats souvent confus.

Il en résulte un affadissement général du récit, des personnages beaucoup moins attachants et fascinants (car unidimensionnels), beaucoup moins bien dessinés (les motifs de la Milady du film sont obscurs, bien qu’Eva Green dans le rôle ne démérite pas) que ceux assez complexes du livre. La ridicule fin ouverte, dans un esprit de série, et nullement de film de cinéma, laisse augurer d’une suite qui raconterait tout autre chose que le livre de Dumas. Mais j’en ai assez dit avec ces quelques développements hâtifs et de suite il n’y aura pas pour moi. Dumas aussi a beaucoup inventé et certains épisodes de ses livres sont tirés par les cheveux, mais jamais dans ces proportions-là.

Strum

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14 commentaires pour Les Trois Mousquetaires : Milady de Martin Bourboulon : tromperies

  1. Bertrand dit :

    Merci de ce bel éclairage qui remet les choses en place et qui me donne envie , non pas d’aller voir le film, mais de relire ‘Les trois mousquetaires’ dont je n’ai jamais du avoir sous la main qu’une version édulcorée.
    Je ne pensais pas le roman et les personnages si complexes, la faute a un a priori négatif sur la valeur littéraire de Dumas.

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  2. Pascale dit :

    Indépendamment du roman que beaucoup de spectateurs (et notamment les plus jeunes qui se précipitent pour François Civil) n’ont sans doute pas lu, le film n’est pas bon. Très confus la plupart du temps, impensable souvent (d’Artagnan qui menace Richelieu et repart sans être inquiété !!!) et précipité pour caser le plus possible d’action dont on ne comprend pas toujours le sens (qui contre qui ? où ? Pourquoi ?). J’ai particulièrement apprécié la prise de la forteresse sans un bruit, sur la pointe des pieds. Un grand moment de rigolade.
    Quant aux personnages… j’ai l’impression que cette pauvre Milady (et Eva Green est à la hauteur) se débat seule comme une brave pour faire exister l’histoire. D’Artagnan est bien fade, sans charisme et sans le pouvoir « hot » qu’Eva Green/Milady déploie. On se demande comment elle pourrait avoir envie de coucher avec ce gamin.
    Athos et Portos sont à la limite du ridicule et guère intéressants. Aramis plus sombre que jamais et suggère la suite : Aramis à la recherche de son fils !
    Bref…

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    • Strum dit :

      Athos à la recherche de son fils plutôt ! Ta main a fourché. Quand un film adapté d’un roman est mauvais – c’est le cas ici – et infidèle au point que l’on puisse ne pas reconnaître le roman, il est important de parler du roman notamment pour les plus jeunes spectateurs, pour ne pas leur donner de fausse impression, a fortiori quand les critiques professionnels ne font pas ce travail.

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  3. princecranoir dit :

    De la Patellière et Delaporte coupables de haute trahison ! Sans doute.
    Je me raccroche au dernier de tes paragraphes qui met en avant l’action, omniprésente dans le film. C’est ce qui m’a plu finalement dans cette suite, ainsi qu’un certain amour pour le film d’aventure à la française remis au goût du jour et plutôt bien servi par les acteurs. Quelque peu déçu par le premier volet, j’ai fini par mettre mon mouchoir sur les ambitions littéraires et préféré manger mon chapeau à plume pour profiter du spectacle. J’aurai en définitive passé un moment agréable alors que ton article ne laisse transparaître qu’agacement et déception.
    Gare à Monte Cristo désormais !

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    • Strum dit :

      Je pense en effet que les auteurs ont un piètre talent et se moquent comme d’une guigne du livre de Dumas. Monte Cristo sera paradoxalement plus dur à trahir car c’est un récit de vengeance assez simple au fond avec un fil directeur pour l’adaptateur. Mais tant mieux pour toi si tu as pris du plaisir devant ces trois mousquetaires modernisés ! Moi je préviens le spectateur que ce n’est plus du Dumas.

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  4. Cinépassion dit :

    Je suis d’accord avec vous, c’est du travail bâclé, irrespectueux envers Dumas et les spectateurs. La transformation des personnages leur ôte tout intérêt et toute cohérence. De plus les scènes d’action sont ridicules, une promenade de santé où l’on peut entrer dans une forteresse ou braquer le 2° personnage de France sans aucun dispositif de protection. J’en viens à me demander si la réussite de la 1ere partie n’a pas été calculée comme un argument marketing afin de ratisser large pour vendre la suite. Mais comme une deuxième suite est prévue, et que la déception est grande, pas sûre que ce soit la meilleure stratégie à long terme.

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  5. Tout à fait d’accord avec la ‘ »trahison » de Dumas. Pour ma part, j’aurais vraiment apprécié le dytique s’il s’était baptisé « Les quatre mousquetaires: d’Artagnan » / Les quatre mousquetaires [voire cinq]: Milady ». Mais là, c’est trop vouloir faire de deux pierres trois coups!
    (s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola
    PS: et bonne année 2024 à vous…

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    • Strum dit :

      Bonjour, votre commentaire était bloqué dans mes spams et je ne viens de m’en rendre compte que maintenant, désolé… Nous sommes d’accord au sujet du film en tout cas. Et bonne année également !

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