L’Innocent de Louis Garrel : jouer pour dire je

Quelques mots en guise de séance de rattrapage à propos de cette comédie policière fort réussie. L’Innocent (2022) de Louis Garrel peut faire valoir trois atouts : un entrain dans la narration qui maintient en alerte l’attention du spectateur ; une façon habile de faire du jeu, pas seulement le jeu de la vie, mais aussi le jeu des comédiens, enjeu du récit puisque c’est en jouant la comédie que la vérité est révélée ; surtout, une performance ébouriffante de Noémie Merlant qui vole la vedette à ses partenaires, tous bons pourtant, et qui apporte cette denrée inestimable : l’énergie. Les comédies françaises dotées d’un personnage féminin à la forte personnalité sont assez rares pour que cela soit signalé, contrairement aux comédies américaines classiques, où ce sont les femmes qui mènent souvent le jeu.

Le scénario est inspiré de la situation professionnelle de la propre mère du réalisateur, qui animait des ateliers de théâtre en prison – après le côté du père des premiers films, on est ici du côté de la mère. Anouk Grinbert incarne un personnage qui en est inspiré (avec les libertés permises par la fiction), tombant amoureuse de Michel (Roschdy Zem), un détenu sortant de prison. Son fils Abel (Garrel) soupçonne ce dernier de continuer ses activités illicites et va se retrouver impliqué, avec son amie Clémence (Noémie Merlant), dans l’organisation d’un braquage de produits de contrebande.

Ce qui est amusant ici, c’est qu’hormis le beau personnage de la mère, si candide qu’il faut lui dissimuler ce qui se trame pour ne pas briser ses illusions (à cette aune, le film devrait s’appeler « L’Innocente »), tous les personnages mentent ou se mentent à eux-mêmes. Michel ment en faisant croire à une réinsertion honnête parce qu’il s’est engagé à réaliser un dernier « coup », thématique habituelle du film policier. Abel est amoureux de son amie Clémence (Noémie Merlant) mais est incapable de lui dire de peur de s’exposer à une rebuffade. Il tait son amour par un excès de discrétion tandis que Clémence tait le sien par un excès d’exubérance. C’est par deux scènes de jeu que les masques tombent : une première répétition théâtrale où Abel et Clémence répètent la scène qui doit distraire le camionneur victime du braquage, et où Abel est houspillé pour sa rigidité de jeu, si bien qu’on a l’impression d’une mise en abyme où Louis Garrel lui-même est sommé de forcer sa réserve naturelle pour apporter au genre de la comédie l’énergie de jeu dont elle a besoin ; puis, la même scène se déroulant pendant le braquage où une dispute de couple mimée par Abel et Clémence leur permet d’extérioriser leurs sentiments et par conséquent de s’avouer leur amour, l’art du jeu faisant éclore la vérité.

Le film raconte ainsi deux histoires d’amour parallèles où la femme porte la culotte mais aux destins contraires : la première entre la mère et Michel, qui se défait, parce que Michel n’a pas su dire la vérité faute de jouer pour de vrai ; la seconde entre Abel et Clémence, qui se fait, parce que paradoxalement, jouer la comédie des sentiments a permis à leur amour d’advenir dans la réalité. Au cinéma, le jeu précède la vérité, et alors le jeu devient « je ». Cette sûreté dans la construction narrative et l’abattage des comédiens compensent une mise en scène quelque peu illustrative.

Strum

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14 commentaires pour L’Innocent de Louis Garrel : jouer pour dire je

  1. princecranoir dit :

    Je le rattraperai à coup sûr en vidéo au vu des nombreux retours positifs. Le tiens vient achever de me convaincre.

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  2. C’est un excellent film (doublé d’une excellente analyse : j’aime beaucoup la « mise en abyme de Louis Garrel » : c’est très vrai).

    Comme tu le dis, Noémie Merlant crève l’écran ce qui m’a assez bluffé car les autres films dans lesquels elle jouait que j’avais vu ne m’avaient pas sidérés.

    Je l’ai vu lors de la soirée inaugurale du festival Lumière de Lyon avec toute l’équipe (sauf Anouk Grinberg) qui était assez émue par l’accueil assez triomphal que la salle a réservé au film.

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  3. ideyvonne dit :

    Rien à voir avec le film… Très bon Noël et passe de bonnes fêtes de fin d’années !

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  4. Pascale dit :

    Un vrai bonbon ce film.
    Une comédie française aussi drôle et profonde parfois c’est un événement.
    Il est doué le petit Garrel qui s’affranchit du sérieux pesant de ses ancêtres.

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  5. Martin dit :

    Je serais volontiers tombé amoureux de Noémie Merlant après le film !

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