Ariaferma de Leonardo Di Costanzo : rapprochements

Ariaferma (2022) de Leonardo Di Costanzo déjoue constamment les attentes du spectateur. C’est un film dont la première scène se déroule en extérieurs, dans un paysage de pierre et de guarrigue, quelque part en Sardaigne. Tout le reste du récit se déroulera dans une prison tombant en ruines et en passe d’être fermée, où se retrouvent temporairement assignés une poignée de détenus et de gardiens avant leur transfert, que l’administration annonce imminent. C’est un film où l’on attend une évasion qui ne vient pas, un transfert qui ne vient pas, des inimitiés entre prisonniers, mais aussi entre gardiens, qui restent à l’état latent, sans éclat de violence. L’architecture de la prison se conforme au schéma carcéral du panoptique de Bentham qu’évoquait Foucault dans Surveiller et punir : un cercle conçu pour avoir constamment les prisonniers sous les yeux, sans que ce contrôle constant soit perceptible. Là aussi, l’attente est déjouée : ce ne sont pas seulement les prisonniers qui sont surveillés mais les gardiens eux-mêmes par les premiers. Ils ne savent pas plus que leurs captifs à quel moment ils seront transférés, et dans la mesure où les régles de la prison doivent être adaptées à cette situation imprévue censée être temporaire, ils doivent rendre compte de leurs faits et gestes aux prisonniers mécontents, partageant la même nourriture, assujettis aux mêmes contraintes matérielles.

Une fois que le spectateur a pris conscience de ce schéma narratif décevant les attentes, il peut voir quel est le mouvement général du récit : celui d’un rapprochement progressif entre gardiens et prisonniers, qui partagent désormais un sort identique : attendre le moment où ils quitteront la prison fantôme. Leur condition et leur promiscuité communes culminent dans une scène de dîner où en raison d’une panne de courant, les prisonniers et quelques gardiens partagent un repas eocuménique au centre du panoptique, sous le regard réprobateur d’autres gardiens soucieux de conserver leurs privilèges. Véritable Cène où les participants boivent un même vin, rompent un même pain. Les rapprochements entre les personnages se feront non en fonction des attributs et des fonctions de chacun, à l’intérieur du groupe des gardiens ou de celui des prisonniers, mais en franchissant la frontière les séparant, au gré des origines des uns et des affinités électives des autres, pour retrouver ce qu’ils ont en commun et qui fonde une communauté. L’optimisme du réalisateur-scénariste, voulant qu’une telle situation d’urgence en milieu carcéral permette un renforcement des liens humains plutôt qu’une crispation générale, rapproche le film de la fable ; de même que le personnage du jeune prisonnier serviable et doux, agneau prêt au sacrifice sous la menace d’un procès pour homicide involontaire.

Le rapprochement le plus notable, celui qui est au centre du film, associe deux grands comédiens italiens, Silvio Orlando, en parrain affable et cuisinier, et Toni Servillo en chef des gardiens mutique et humain, le fils de l’aubergiste et le fils du laitier, qui exhument et recouvrent à la faveur des circonstances le lien social qui les unissait enfants et que la vie avait effacé. Ce lien recréé est discrètement figuré dans le film par les coursives désaffectées de la prison et un jardin abandonné qui a résisté à l’hiver, que foulent de nouveau ensemble les deux hommes. C’est à travers la nourriture, si importante dans la culture italienne, que commencent à se retisser les premiers liens, lorsque le parrain se met aux fourneaux pour préparer des pâtes à la fois pour les gardiens et les prisonniers. Un joli film, sans joliesse ni afféterie, si ce n’est quelques choeurs dans la bande son faisant écho aux couloirs vides et délabrés de la prison.

Strum

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