
Un film réussi est un morceau de mémoire arraché au temps. Pour ce faire, il faut considérer les plans d’un film comme les cadres d’une mémoire photographique, réelle ou imaginaire. Ce qui signifie que le centre du plan ou le point d’attention de la caméra n’existe que dans ses rapports avec ce qui l’environne. En découle l’importance primordiale des décors, de la lumière, du décor, de l’échelle du plan, bref tout ce qui entoure le ou les personnages.
C’est cette conception de la mise en scène qui est à l’oeuvre dans Les Magnétiques (2021) de Vincent Maël Cardona, et c’est au soin apporté à sa direction artistique que le film doit sa réussite. Il s’agit d’un récit d’apprentissage racontant le point de bascule de la vie d’un jeune homme au début des années 1980, au moment de l’élection de Mitterrand. La vague d’espoir qu’elle souleva dans la jeunesse fut rapidement ternie par le tournant dit de la rigueur de 1983, quand le pouvoir fut forcé de reconnaître les réalités économiques et géopolitiques de notre monde. Le reste est utopie ou illusion, dont s’abreuve si libéralement la jeunesse. Voilà pour le cadre temporel, qui permet au film de raconter le passage des radios pirates aux radios libres et surtout l’émancipation de Philippe qui vit dans l’ombre de son frère aîné Jérôme. Tous deux travaillent dans le garage du père, mais ils sont l’envers et l’endroit des sentiments de la jeunesse. On peut être jeune et se croire le centre du monde comme Jérôme ou se croire insignifiant dans un monde plus fort que soi comme Philippe. Il faut un juste milieu. Jérôme vit comme si le monde était infini, comme si seul existait le présent, comme si son corps était invincible, auquel il fait subir de dangereux jeux automobiles et des doses massives d’alcool et de drogue. C’est le « no future » des punks, pas celui des Sex Pistols mais celui des Undertones et de Joy Division que les deux frères diffusent sur leur radio pirate. Le discret Philippe vit dans l’ombre de ce soleil noir et s’il n’a pas envie d’en sortir, car il est dépourvu d’assurance, il possède cette raison qui fait défaut à son aîné. Le film raconte comment il trouve sa voie et, mieux encore, sa voix dans ce monde fini, après avoir d’abord utilisé les platines de radio comme substitut sonore.
Les évènements jalonnant le récit, que Philippe annonce d’une voix off murmurée, n’ont rien de surprenant ou d’ingénieux : il tombe amoureux de la compagne de son frère et, à la faveur d’un service militaire à Berlin, finit par déployer ses ailes. Ce n’est pas cela qui retient l’attention mais la mise en scène, la direction artistique, le travail de la matière sonore du film. Jérôme est filmé comme un garçon sauvage éclipsant le reste du décor tandis que Philippe est constamment asservi aux exigences de son environnement ; la composition des plans le montre plus d’une fois cerné d’une pénombre trouée de sources de lumière venant du fond du cadre, du bric-à-bras des objets et des usages du début des années 1980, en premier lieu les disques vinyles et les bandes magnétiques. Il est pareil à une image extraite des limbes du souvenir, et c’est ce qui donne au personnage sa vérité, ainsi dans ces plans où il figure au fond d’un couloir, réduit par l’échelle du plan, seul et courbé, captif déjà de la réalité qui vient et qui s’appelle la vie. Voilà donc un premier film très recommandable où la maîtrise de la mise en scène, rare pour un premier film dans le cinéma français, annonce un cinéaste soucieux de dire des choses vraies en reconnaissant l’importance au cinéma des artifices techniques. Thimotée Robart, Marie Colomb et Joseph Olivennes forment un trio d’acteurs attachant.
Strum
Bonsoir Strum. Un excellent premier film présenté (vendu) à tort comme un film « sur les radios libres » si je me souviens et qui est davantage l’histoire de deux frères et d’une émancipation-libération. Notre association Culture et cinéma l’avait choisi pour notre programme de décembre 2021. Par contre peu de monde mais çà c’est un autre débat. Un réalisateur à suivre, en effet.
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Effectivement, le film aurait mérité plus de succès en salle et a été mal vendu.
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Le thème me tentait beaucoup et puis je l’ai laissé filé en salle. J’espère pouvoir me rattraper un jour en vidéo, ton avis m’y encourage en tout cas.
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J’aurais bien aimé le voir en salle mais je n’arrive plus à trouver le temps nécessaire.
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Une des meilleures surprises de l’année dernière.
J’ai pu rencontrer le réalisateur lors d’un échange au Festival de Mâcon. Ce n’est plus un gamin, il a pris du temps pour son 1er film c’est peut-être ce qui explique ton admiration de la réalisation.
Timothée Robart est une révélation même si son intention n’était pas de devenir acteur. Il est perchman.
Son père est l’acteur qui joue Nicolas le Floch.
Bon j’arrête ces considérations people.
Ce film est épatant, je le reverrai avec grans plaisir.
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Grans avec un d.
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Merci pour ces précisions. J’espère qu’il trouvera un financement pour faire un deuxième film.
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L’un de mes coups de coeur de l’année dernière. Je suis content que tu en aies parlé et j’espère que le réalisateur pourra faire d’autres films. Quant à Thimotée Robart, je l’avais déjà beaucoup apprécié dans « Vif-argent » (avec aussi la délicieuse Judith Chemla).
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Merci. Et je suis content de mon côté d’avoir pu le découvrir !
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