Dernier domicile connu de José Giovanni : parole et musique

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De Dernier domicile connu (1970), on connait la formidable ritournelle de François de Roubaix, qui fut allègrement pillée par la suite. Moins peut-être le sujet du film : Leonetti (Lino Ventura), un policier émerite de la Criminelle arrête le fils éméché d’un influent avocat, ce qui lui vaut une plainte pour violences. L’accusation est fausse mais Leonetti possède un passif qui ne joue pas en sa faveur. Il est muté, le temps d’oublier l’affaire, dans un commissariat de quartier. C’est là qu’il se voit discrètement confier une enquête qui semble de routine mais s’avère importante : il s’agit de retrouver Roger Martin, le témoin principal d’un crime à la veille d’un grand procès – argument convenu du récit policier dont Walsh tira le meilleur parti dans La Femme à abattre.

A défaut d’être Raoul Walsh, dont il n’a certes pas la vigueur visuelle, José Giovanni connait suffisamment le milieu carcéral et policier pour savoir de quoi il parle. Cet ancien criminel fut condamné à mort et fit onze années de prison, avant de devenir romancier à succès, scénariste prolifique, puis réalisateur. Il est à l’origine, directement ou indirectement, d’une série de films policiers français au cours des décennies 1960 et 1970, qui se caractérisaient par un souci de réalisme et un fatalisme leur donnant grise mine à l’écran mais les éloignant des portraits romancés de certains films américains. La question que pose Giovanni dans Dernier domicile connu est des plus simples : à quoi sert d’abord la police ? C’est en tout cas ce que souhaiterait savoir Jeanne (Marlène Jobert), jeune auxiliaire qui va faire équipe avec le chevronné Leonetti pour retrouver l’invisible témoin.

L’efficacité de cet improbable duo repose sur leur complémentarité : Leonetti veut retrouver Martin pour faire tomber le malfrat, Jeanne pour protéger le témoin d’une mort possible. Pour schématiser, l’un incarne la dimension punitive de la police, l’autre sa dimension protectrice. Chacun se fait de son rôle une idée différente ; il y a là les prémisses d’un malentendu que Leonetti veut prévenir en donnant sa parole que Martin, une fois retrouvé, sera protégé. Giovanni filme leur enquête avec méthode et précision, une prédilection pour les extérieurs aussi (il y est plus à l’aise), qui confère au film une certaine qualité documentaire, le caractère enlevé et syncopé de la musique de Roubaix compensant, et même davantage, l’égrainage des interrogatoires. Plusieurs détails font mouche : ainsi, Marlène Jobert contrainte de courir pour suivre le pas pressé de Ventura. Le duo est bientôt surveillé par les hommes de main du malfrat avec à leur tête un Michel Constantin inquiétant. Son face-à-face avec Ventura, dans une ruelle sombre, est à mille lieux de la violence déréalisée propre à de nombreux films du cinéma américain contemporain. Ici, les coups font un bruit sourd et contenu, sans bruitage excessif, ils font mal, les corps tombent et parfois ne se relèvent pas. Nul besoin d’images sanguinolentes pour le dire.

Il est heureux que la réalisation persiste dans la voie du réalisme car Giovanni, comme prisonnier du réel, est moins inspiré visuellement quand il prétend mettre en scène les rêves de Jeanne. Le réalisme, du reste, ce n’est pas seulement le malheur des coups et des corps qui tombent, la grisaille répétitive des rues de Paris, c’est aussi ce qui relève de la dramaturgie du récit. L’optimisme de la chute de La Femme à abattre n’est plus de saison ou culturellement moins accepté. Le malentendu initial entre Leonetti et Jeanne se cristallisera dans un désaccord ouvert quant à la mission de la police, car Leonetti qui a du métier n’a pas dit toute la vérité sur ce qui va advenir, ne tient pas parole (sur ce point, il y a sans doute à la fin une petite entorse au principe de réalisme). Impuissants à entraver la machinerie qu’ils ont enclenchée, il ne leur restera plus qu’à attendre que frappe la fatalité, qui depuis le début attendait son heure. C’est quand l’alliance entre punition et protection se dénoue que la police faillit. C’est du moins la morale du récit. Un bon film et une réussite du genre.

Strum

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6 commentaires pour Dernier domicile connu de José Giovanni : parole et musique

  1. Merci Strum pour ce post plutôt élogieux sur José Giovanni (je n’ai pas vu le film je précise mais je te crois sur parole 🙂 ).

    C’est un très bon scénariste (qui a travaillé un peu avec Melville et Sautet, excusez du peu) et auquel on doit, en tant que réalisateur, le bouleversant Deux hommes dans la ville (que j’ai vu il doit y avoir à peu près vingt ans mais dont je garde toujours un souvenir vivace).

    Et si en plus on a Monsieur Lino au casting, on ne peut pas raisonnablement dénigrer le film, non ? 😉

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    • Strum dit :

      Oui, cela se voit très bien, et en effet Ventura est parfait (comme le reste du casting). 🙂 J’ai vu le film pour écouter la merveilleuse musique de François de Roubaix dans le contexte mais je ne regrette pas de l’avoir découvert. J’ai prévu de voir Deux hommes dans la ville, que je n’ai jamais vu.

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  2. Pascale dit :

    Un excellent polar avec un improbable duo.
    Lino tirait tous les films vers le haut.

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  3. Jean-Sylvain Cabot dit :

    Bonjour Strum. Passer de Naruse à Giovanni, c’est le grand écart ! J’ai revu le film hier qui est à l’image de la grisaille parisienne. Terne et d’une grande platitude et pauvreté visuelle. Je vous accorde que la scène du passage à tabac possède une force qui tranche avec le reste et la musique de De Roubaix insuffle un vrai dynamisme qui fait défaut aux images. Ca se regarde sans déplaisir comme un bon vieux film du dimanche soir, du cinéma populaire typique des années 70 qui n’est pas déméritant mais qui ne va pas trés loin non plus. Marlène Jobert est fidèle à elle-même et Ventura bourru et monolithique comme à son habitude. Votre brillant article, Strum, est trop élogieux, on vous a lu plus exigeant sur la forme, pour un film et un metteur en scène ( au passé trouble de collabo) qui n’en méritent pas tant.

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    • Strum dit :

      Bonjour Jean-Sylvain, Oui, j’aime bien les grands écarts et le cinéma les autorise et même les favorise. Je suis peut-être un peu indulgent mais je voulais souligner la dimension réalise du film tout en évoquant quand même plus d’une fois les limites formelles de Giovanni (absence de vigueur visuelle, incapacité à rendre compte en images probantes des rêves de Jobert, etc.). Ce cinéma du dimanche soir représente tout un pan du cinéma français des années 1960 et 1970 dont il faut bien parler un peu. Et je préfère ce genre de film à un Tontons Flingueurs pour le coup. Il y a aussi ici une réflexion, si basique soit-elle, sur le rôle de la police qui n’est pas inintéressante et loin de se rencontrer dans tous les polars. Ventura est excellent, je ne l’ai pas trouvé monolithique, il fait passer la tristesse et le fatalisme de son personnage. Quant au passé trouble de Giovanni, certes, mais si l’on devait passer sous silence ou refuser de voir tous les films auxquelles ont participé, directement ou indirectement, ceux qui ont un passé trouble ou des casseroles, cela écarterait un nombre de films non négligeable, et ce serait dommage.

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