Au-delà des Montagnes (2015) était une interrogation sur le devenir de la Chine et la résilience de ses traditions. La force du film résidait dans la limpidité de sa construction, sa faiblesse dans un certain manichéisme. Dans Les Eternels, Jia Zhang-Ke continue de filmer la transformation de son pays à travers le destin de ses personnages, racontant une histoire longue de 18 ans, insérant à nouveau dans la narration des images de ses anciens films (quand ce n’est pas ceux des autres) qui apportent cette profondeur temporelle faisant la singularité de son cinéma.
Qiao (Zhao Tao), une ancienne danseuse, n’hésite plus ici entre un mineur et un homme d’affaire comme dans Au-delà des Montagnes Elle est dévouée corps et âme à Bin (Liao Fan), un caïd de la pègre de Datong de la province de Shanxi (d’où le cinéaste et l’actrice sont tous deux originaires). Lorsque Bin est attaqué par des jeunes gens, elle n’hésite pas à les faire fuir en se servant de l’arme de Bin, ce qui la conduit en prison pour cinq ans à sa place. A sa sortie, la Chine a changé, de même que Bin qui vit maintenant avec une autre femme. Les Eternels est donc l’histoire d’une passion, d’une fidélité qui n’est pas payée en retour. Qiao aime Bin sans chercher aucune rétribution. C’est ainsi. Or, Bin s’avère être un homme ingrat et surtout, ce qui est peut-être pire, un homme vaniteux. S’il fuit Qiao à sa sortie de prison, ce n’est pas parce qu’elle lui est devenu indifférente, c’est parce qu’il se sent humilié par la dette qu’il lui doit. Sa vanité surpasse sa capacité d’aimer. Plusieurs fois dans le film, on le voit ainsi préférer fuir, voire risquer de mourir, plutôt que d’affronter une humiliation publique. Lui-même trahi par ses affidés, il est incapable de respecter les règles de solidarité de son ancien clan.
Les Eternels est donc encore une histoire de fidélité, sur la difficulté de vivre dans le présent quand on ne pense qu’au passé, qui se place cependant sur un plan plus individuel, moins métaphorique qu’Au-delà des montagnes où Zhao Tao incarnait quasiment la Chine-mère affrontant la modernité. Ici, sa fidélité relève bien d’une qualité ancestrale (elle est pieuse et honore les ancêtres), d’un attachement au Shanxi où elle est née, où son père mineur travaillait avant que l’Etat ne décide de fermer la mine, mais la teneur politique du film est moins immédiatement identifiable. Pourtant, elle existe, Jia-Zhang Ke étant d’ailleurs devenu député de sa province. Certes, il ne filme plus la ville de Fengjie, déplacée par les autorités lors de la construction du gigantesque barrage des Trois Gorges, comme un lieu condamné à disparaitre, comme une mémoire à préserver, ce qu’il faisait dans Still Life. Mais il la désigne comme un lieu d’exil pour Qiao car elle ne reconnait pas le Bin qui vit maintenant là. Le meilleur de ce film au ton résigné est d’ailleurs dans cette partie centrale où Qiao erre dans la ville pour retrouver Bin qui s’y cache. Précisément, parce qu’elle garde alors un peu d’espoir à ce moment là et qu’on ne sait pas encore ce qui va advenir. A défaut de recouvrer son amour, elle retrouvera sa terre nourricière en retournant au Shanxi, mais on regrette un peu cette évolution du récit qui sonne le glas de la passion.
Il y a toujours chez Jia Zhang-Ke ce regret de voir la Chine changer et peut-être est-ce la raison pour laquelle il ne peut s’empêcher de se replonger dans les archives de ce qu’il a filmé il y a plusieurs années, qui préserve dans les images la Chine d’autrefois, pour insérer cette mémoire du passé dans ses films. C’est pour cela qu’il veut filmer des volcans immuables au loin, des personnages fidèles qui ne changent pas, et en premier lieu sa femme et muse Zhao Tao qu’il couve du regard du début à la fin. Au contraire de Bin qui s’est perdu dans une aventure individuelle, qui n’a littéralement plus les pieds enfoncés dans la terre nourricière à cause de son accident, elle reste fidèle au passé et à ses traditions, quand bien même il s’agit de celles de la pègre. Il y a dans ce film pessimiste une peur de ce que réserve l’avenir que l’on peut observer dans ces caméras de surveillance installées dans le Datong de 2018. Filmée par ces caméras, Qiao se retrouve seule dans le plan, alors que pendant la partie du film se déroule en 2001, les plans de groupe étaient légions. Le dernier plan ne témoigne pas seulement de sa solitude mais aussi de la disparition des communautés du passé, sans doute un peu idéalisées par Jia Zhang-Ke. Peut-être que Jia Zhang-Ke nous dit également que bientôt les histoires seront racontées, ou plutôt contrôlées, par ces caméras de surveillance là et non plus par la sienne, qui compose pendant le film plusieurs beaux plans embrassant le premier plan et l’arrière-plan des paysages. Faute d’avoir confiance dans le présent, et a fortiori le futur, il lui reste le passé.
Strum
Passé….je viens de lire dans les Cahiers qu’il projette 3 films situés dans le passé….
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Oui, on entend même à un moment donné l’excellente chanson titre d’Il était une fois en Chine de Tsui Hark…
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Le cinéma de Jia Zhang Ke est une mécanique désormais bien huilée. L’ensemble ronronne et tourne en rond. Les éternels n’est pas un mauvais film en soi mais il raconte rien de plus que ce qui avait été raconté dans ses précédents films. Jia Zhang Ke va finir par lasser ses plus fidèles suiveurs.
Aux dernières nouvelles, il travaillerait sur un projet de film en costumes. J’espère que ce projet aboutira, cela lui permettra de filmer autre chose.
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C’est vrai qu’il y a des redites par rapport à ses autres films, mais ça reste quand même un cinéma impressionnant et original par son usage des images du passé. Ses films sont aussi très intéressants par ce qu’ils montrent de la Chine et de son évolution. En revanche, Les Eternels est un film pessimiste avec un ton assez résigné.
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Pas encore vu. C’est prévu. Je lirai après.
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Tu me diras. Ce n’est pas un film facile je trouve, et on ne cesse de changer d’avis dessus pendant la projection (en tout cas moi).
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Oui je n’ai cessé de changer davis également.
J’aurai bien du mal à en parler.
Ma partie préférée est celle où elle déambule dans les rues, dans les trains et sa méthode très futée pour trouver de l’argent…
Les hommes (mâles) ne sont pas à la fête dans ce film.
C’est quand même très sombre, pessimiste un un (gros) poil ennuyeux.
décide de ferme la mine
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Moi aussi, cette partie est ma préférée parce qu’elle échappe à la morosité du reste. Merci pour la relecture.
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Petit commentaire tardif – j’ai vu le film hier seulement -. C’est le premier film de Jia Zhang-Ke que je vois donc je ne peux pas le comparer avec aucun de ces autres films.
J’ai trouvé le film très beau, des très belle images, une grande maîtrise de la caméra, des scènes sublimes (celle du train, celle du stade à la fin, celle boulversante où Quiao assiste au concert de variété et chante les paroles de la chanson à l’eau de rose qui raconte sa propre histoire) mais il manque un petit quelque chose : je n’ai pas eu autant d’empathie que j’aurais dû, je n’ai pas été aussi touché que j’aurais dû l’être. En fait je n’ai compris que très tard l’amour que ressentait Quiao pour Bin ce qui est dommage car c’est un peu l’élément moteur du film.
Cela reste du beau cinéma et j’irai voir les autres films de Jia Zhang-Ke à l’occasion.
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Oui, j’ai des réserves sur ce film-là, mais les films de Jia Zhang-Ke sont vraiment à découvrir.
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