La Favorite de Yórgos Lánthimos : le quatrième personnage

la favorite

La Favorite (2018) de Yórgos Lánthimos est en apparence centré autour de trois personnages : Anne, reine de Grande-Bretagne ; Sarah de Marlborough, sa favorite ; Abigail Masham qui va supplanter la précédente. Mais la mise en scène en est si intrusive et prétentieuse qu’on a l’impression que Lánthimos se voit en quatrième personnage entrant dans le champ pour attirer l’attention du spectateur.

Plusieurs plans au début du film laissent penser que le réalisateur ne s’intéresse guère au contexte historique de son histoire. Il dépeint la cour de la reine Anne, dernière souveraine de la dynastie des Stuart qui s’est éteinte en 1714, comme un lieu à la fois carnavalesque et empesé où, en fait de personnages, des sortes d’automates poudrés et perruqués s’adonnent à des jeux décadents (courses de canards et autres jets d’oranges sur un homme déguisé en faune). Pour nous faire comprendre le mépris dans lequel il tient la cour, Lánthimos a recours à des ralentis et surtout des plans filmés avec un objectif hypergone (dit fish eye) dont la très courte focale courbe les lignes en bordure du plan, comme s’il observait ses personnages à travers un aquarium sphérique. « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface » : ce regard faisant des personnages des cobayes de laboratoire fait fi de tout effort de représentation historique viable. Du reste, le palais royal aux longs couloirs, filmés en travelling ou en panoramique, a quelque chose de vide et de froid.

Certes, les trois personnages principaux sont globalement épargnés par la caméra du réalisateur bien que les trois femmes encourrent leur lot de misères. Mais l’intrigue montre elle aussi que Lánthimos se désintéresse du contexte historique de son film (celui d’une rivalité politique). Il lui substitue une histoire de domination (à caractère sexuel en particulier), où deux femmes se disputent les faveurs de la reine Anne, une femme malade, diminuée physiquement et psychologiquement au terme d’une vie passée sous la coupe d’autrui et marquée par le malheur de dix-huit fausses-couches. Cet affrontement entre favorites de la reine n’est d’ailleurs pas le seul du récit : que ce soit dans les cuisines, ou entre ministres, tous les personnages s’affrontent pareillement, vision d’une société où prime la guerre de tous contre tous, renvoyant l’humanité à son caractère animal (c’est ainsi qu’il faut comprendre, sans doute, les multiples références aux lapins et blaireaux). Cette approche simplifie à l’extrême le destin de ces personnages historiques et échoue à rendre compte de l’affrontement entre Tories et Whigs qui le sous-tendait (dans la réalité, Abigail et Harley, tous deux Tories, étaient ainsi cousins). A l’extérieur, les campagnes anglaises pliant sous le joug des impôts et la guerre en France restent hors champ.

Pour déplaisant que soit le film, on le suit malgré tout sans désintérêt car il bénéficie d’un bon scénario se déroulant en trois temps (ouverture, progression d’Abigail, victoire de cette dernière) dans le genre très anglais de l’ascension sociale, à ceci près qu’ici celle que l’on croyait candide se révèle assez perfide. Alors que la sympathie du spectateur va initialement à Abigail, elle se reporte peu à peu sur Lady Malborough au fur et à mesure que cette dernière perd pied face à plus maligne qu’elle. C’est le personnage qui se targuait d’avoir des principes qui s’avère le plus dissimulateur. Lánthimos fait cependant régulièrement ce qu’il peut pour se rappeler à notre (mauvais) souvenir par ses afféteries stylistiques jusqu’à un plan final misanthrope. Les trois actrices principales sont en revanche très bien : Olivier Colman, émouvante et impuissante Anne, Rachel Weisz, fière et roide Sarah, Emma Stone, Abigail aux dents longues.

Strum

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12 commentaires pour La Favorite de Yórgos Lánthimos : le quatrième personnage

  1. Ronnie dit :

    ‘La Favorite’ pas vue, je mettrai pas non plus ‘2 Dollars Sur 1 Tocard’, à l’inverse je recommande Outsiders, question de cotes ou de quotes tout ça.
    ++

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  2. dasola dit :

    Bonjour Strum, je comprends tes réserves mais la manière de filmer ne m’a pas dérangée. C’est peut-être du sous-Greenaway comme je l’ai lu quelque part mais cela n’empêche pas que les trois actrices valent le déplacement. Bonne journée.

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  3. Ronnie dit :

    Coppola of course ……… ( de chevaux ) 😉

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  4. Pascale dit :

    C’est étrange un film déplaisant qui se suit avec intérêt !
    Je ne l’ai pas vu.

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    • Strum dit :

      Je n’ai pas dit « avec intérêt », mais « sans désintérêt ». La nuance est voulue. 🙂 Le fond est déplaisant, de même que la mise en scène, mais le scénario est bon, d’où ce commentaire.

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      • Pascale dit :

        Je l’ai vu finalement. Je me suis emballée puis lassée. L’objectif hypergone a fini par me donner le tourni. Et la dégradation physique des actrices (surtout 2) dégoûtée.
        La scène interminable de ce que tu appelles le faune est abjecte.
        Par contre j’ai adoré la scène de bagarre dans la forêt entre Abigail et son futur mari.
        J’aurais donné l’oscar à Rachel moi.
        Je ne sais si c’est la réalité mais Anne dit quelle a perdu 17 lapins… euh enfants : « certains dans le sang… certains n’avaient pas de souffle… certains ont vécu quelques instants avec moi ». Donc pas que des fausses couches. Un détail bien sûr…
        Les lapins sont là représentation de ses enfants et pas, selon moi, « vision d’une société où prime la guerre de tous contre tous ».
        Côté politique, c’est consternant mais finalement le récent (et excellent Vice) démontre que ça se passe toujours à peu près comme ça.
        Je ne vois pas pourquoi le dernier plan, incompréhensible, peut être interprété comme misanthrope. Merci de ton explication.

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        • Strum dit :

          Le réalisateur est coutumier de ces rapprochements de la nature humaine avec des animaux et je pense que la lutte du tous contre tous reflète assez sa vision. Le dernier plan renvoie à nouveau à une foultitude d’animaux (certes les lapins) montés les uns sur les autres, étouffant dans un cadre étroit où ils sont coincés, je ne pense pas qu’il représente une vision humaniste de la société, même si le terme « misanthrope » que j’ai utilisé est peut-être un peu fort – une autre interprétation qui ne me convainc guère serait que l’image renvoie à nouveau aux enfants morts-nés. D’accord avec toi pour Rachel Weisz et la dégradation des personnages. Vice racontait un cas particulier sinon, tous les hommes politique ne sont pas comme Dick Cheney. Bon, Trump est encore pire…

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