Obsession (1976) est l’un des films de De Palma qui se veut le plus manifestement palimpseste, réécrivant par dessus la narration de Vertigo une intrigue proche où un homme rencontre le double de sa femme morte avant de s’apercevoir qu’il a été joué. Si le film déçoit, c’est parce qu’à force de renvois à l’oeuvre matricielle d’Hitchcock, Obsession peine à se démarquer de son modèle et à faire valoir une existence autonome. Tout est dit dans la scène de restauration de la fresque dans l’église florentine qui laisse apparaitre en-dessous une peinture plus ancienne, mise en abyme flagrante de l’opération entreprise par De Palma. Le cinéaste s’amuse à nous faire découvrir les points de jonction avec l’oeuvre d’origine, peut-être dans l’espoir d’en percer le mystère ; mais en se définissant comme copie effaçable, Obsession donne surtout envie de revenir à l’original qui approfondissait davantage ses thèmes. Ici, on reste au niveau de la surface, de la dernière écriture du palimpseste. Sans doute est-ce un film qu’il faudrait voir en ayant tout oublié ou presque de Vertigo afin de le regarder d’un oeil neuf, si la chose était possible.
Même en tant que copie, Obsession souffre de la comparaison avec son modèle. Esthétiquement, on peut trouver que le chef-opérateur Vilmos Zsigmond utilise avec une libéralité trop systématique des filtres propres à donner aux images l’apparence du rêve alors que les rouges et les verts de Vertigo n’étaient utilisés qu’avec parcimonie pour conjurer la force d’attraction de la mort dans quelques scènes clés. Conjugés avec le jeu peu expressif de Cliff Robertson qui manque de nuances, ces filtres donnent au film une atmosphère de mauvais rêve alangui dont il ne peut se dépêtrer, malgré la musique de Bernard Herrmann lui-même.
Florence est cependant filmée avec sensibilité, et on retrouve bien les couleurs un peu passées de la ville historique. Le choix de la basilique San Miniato Al Monte comme lieu de rencontre entre Robertson et Geneviève Bujold est également judicieux. C’est l’église la plus étrange de Florence : surplombant la ville de l’autre côté de l’Arno, solitaire le long de la route qui part du Belvédère, elle fait une étrange impression à qui la contemple de l’extérieur. On se demande ce qu’elle fait là, à l’écart ; on a l’impression qu’elle vous regarde, comme un monstre tapi. Ce monstre, c’est le passé du personnage de Robertson, ce passé ineffaçable (sous la fresque, la peinture toujours présente) qui se prolonge dans son présent, pour paraphraser Bergson.
Sans déflorer l’intrigue, on en pressent assez vite les rebondissements, bien que le récit ait l’heureuse idée de diverger de la fin de Vertigo et d’éviter le scabreux que la situation recelait. Mais même ainsi, on ne peut se retenir de comparer les deux films comme si décidément la copie ne parvenait pas à sortir de l’ombre longue de son glorieux ainé, comme si l’obsession promise par le titre était celle de De Palma envers Hitchcock avant d’être celle de son personnage. Nous ne sommes pas encore au temps de Body Double (1984) quand il pouvait la mettre à distance par la parodie. Tel un promeneur assis au bord du chemin, on assiste donc aux déambulations de Michael, marcheur hébété et à demi-éveillé, en sachant par avance ce qui va lui arriver. On a toujours un coup d’avance sur lui, sentiment qui empêche de rentrer tout à fait dans l’atmosphère de rêve de ce film inachevé.
Strum
De bonnes intentions ne font pas un bon film de même que la copie est souvent pâle comparée à l’original. Mais que le film est mou, ennuyeux, sans surprises….Et Cliff Robertson n’est pas James Stewart…Un vrai ratage.
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Oui, ce n’est pas terrible et assez mou.
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Si tu vas par là, SUEURS FROIDES n’était pas spécialement plus nerveux!
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En effet, mais le film possède un pouvoir de fascination nettement supérieur.
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C’est vrai que SUEURS FROIDES est très bien voire même magnifique. Mais j’avoue aimer OBSESSION. Et je dois admettre que son « twist » m’avait bluffé.
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Un vrai ratage? Il ne faut quand même pas exagérer!
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Je l’avais vu, en garde quelques images…
Ça donne surtout envie de ratavoir Vertigo…
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Oui, à la fin, on a envie de revoir Vertigo pour la dixième fois.
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Pas une grande fan de ce film et pourtant j’aime beaucoup ce que fait De Palma habituellement !
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Oui, on est d’accord, c’est un de ses moins bons films.
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Bizarrement, je le trouve meilleur que Vertigo
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Revois les deux films bout à bout, ce n’est pas possible. Vertigo est un film infiniment plus riche et intéressant sans même parler de la mise en scène.
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Vertigo certes et d’autres évocation hitchcockienne dans ce film. Ce n’est pas raté, mais c’est loin d’être abouti c’est sûr. Et pourtant rien que d’y repenser, le film fascine assez, notamment pour cette course à l’aéroport qui nous renvoie à La jetée.
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Le film a ses moments, mais c’est l’ensemble qui est inabouti.
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Vertigo certes et d’autres évocations hitchcockiennes. (sans oublier les accords cette fois !)
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Comme beaucoup, je considère « Vertigo » comme un des films les plus réussis et les plus fascinants qui soient. Pour autant, j’apprécie énormément « Obsession », lequel me semble avoir totalement dépassé le stade de la copie.
Dans la scène de restauration de la fresque, le dialogue entre Courtland et la jeune femme aboutit, d’après mes souvenirs, à reconnaître la valeur autonome de la seconde oeuvre, la plus récente. Il y a là une déclaration de principe de la part de De Palma, qui prévient d’emblée les critiques selon lesquelles son film ne serait qu’une vaine imitation. A travers ce rapprochement avec la peinture, le cinéaste revendique le maniérisme comme attitude artistique, dans la filiation des Veronese et autres Le Titien.
Ceci s’inscrit également dans sa conception du double, qui, selon lui, peut prendre la forme d’une duplication inutile et caricaturale ou, au contraire, d’une analogie créatrice (voir, par exemple, les deux voies suivies par le photographe, tantôt paparazzi, tantôt artiste, dans « Femme fatale »).
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Tout à fait, c’est un des charmes du cinéma de De Palma, cette capacité à dialoguer avec son spectateur et à expliquer sa position vis-à-vis de ses sources à l’intérieur du film. Il a souvent une approche intellectuelle du cinéma de genre. Avec la scène de restauration de la fresque, il entend effectivement définir Obsession comme une oeuvre certes dérivative mais réclamant un statut autonome par rapport à Vertigo. Pour autant, cela reste une déclaration d’intention (via le dialogue) et cela ne fait pas automatiquement d’Obsession un meilleur film.
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« Vertigo » est incontestablement meilleur que « Obsession ». D’ailleurs, je ne pense pas que De Palma ait jamais prétendu faire mieux que Hitchcock, ni même l’égaler. Son intention n’est pas de dépasser le modèle, mais de réaliser un film dépassant le stade de simple copie.
Le résultat est un film dont le propos – pas seulement le style – est complètement différent du film initial. Sa singularité est pleine et entière. En effet, la démarche du maniériste, basé sur l’emprunt, est créatrice, pas imitatrice. De Palma est un maître de la variation, pas un spécialiste du remake.
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