L’Alibi (1937) de Pierre Chenal vaut surtout pour son face-à-face entre Erich Von Stroheim et Louis Jouvet, tous deux géniaux. Von Stroheim y campe un télépathe polyglotte et sans scrupules, dont le maintien raide et les manières parfaites cachent un passé trouble, Jouvet un commissaire obsessionnel, au passé probablement tout aussi trouble, persuadé que Stroheim est coupable de meutre. Un meurtre il y en a bien eu un et le professeur Winckler (Stroheim) demande à Hélène (Janie Holt), une entraineuse de cabaret, de lui servir d’alibi la nuit du crime moyennant une confortable somme d’argent. Hélène ne connait pas le fond de l’affaire et lorsque qu’elle apprend que Winckler (rien à voir avec les personnages de Pérec a priori) est un assassin, un sentiment de culpabilité la tourmente.
Un crime, des face-à-face entre le meurtrier et le commissaire qui le poursuit, un sentiment de culpabilité qui étreint un personnage, on voit ce que cette intrigue doit à Crimes et Châtiment de Dostoïevski que Chenal avait directement adapté en 1935 et dont l’attrait repose principalement sur les fabuleuses scènes de confrontation entre Porphyre et Raskolnikov. Ici, cependant, le sentiment de culpabilité est déplacé sur une femme involontairement mêlée au crime qui hésite à dire la vérité à la police. Si les scènes entre Stroheim et Jouvet tiennent toutes leurs promesses (les deux acteurs y prennent un plaisir visible), il n’y en a pas assez, car Chenal et ses scénaristes Jacques Companeez et Marcel Achard choisissent inopportunément de porter leur attention sur Hélène alors que Janie Holt est dépourvue de tout charisme. On a l’impression d’un parasitage de l’intrigue principale, l’intrigue secondaire prenant le devant de la scène. Circonstance aggravante, au lieu d’emprisonner un innocent, ce qui intéresserait les spectateurs au cas de conscience d’Hélène en lui donnant un motif d’inquiétude réel, ils introduisent dans l’histoire un inspecteur de police déguisé en civil (le falot Albert Préjean) que Jouvet fait mine d’arrêter pour contraindre Hélène à avouer. Cette manigance, astucieuse de la part de Jouvet, ne l’est pas de la part des scénaristes car ils privent ainsi le film de tout suspense et de la vérité de son cas de conscience, auxquels est substituée une romance de peu d’intérêt entre Préjean et Holt. Le film a beau jeu de citer un texte de Luther sur le mensonge en introduction, on en est loin.
La réalisation de Chenal est correcte, dans ce style de film noir posé et littéraire qui avait cours dans le cinéma français des années 1930, mais un peu étriquée pour des personnages de la dimension de Jouvet et surtout Stroheim. En Mabuse du pauvre réduit à des numéros de cabaret, ce dernier parait sorti du début des Sept Boules de cristal de Tintin. C’est un film sur ce personnage là, et lui seul, confronté à sa némésis de commissaire, que l’on aurait aimé voir. De l’autre côté de la Manche, Hitchcock avait de son côté déjà inventé un autre type de cinéma nourri lui aussi d’intrigues policières mais reposant en fait entièrement sur la mise en scène.
Strum
PS : Vu dans une édition DVD Gaumont à la demande aux images défraîchies.
Je ne me souviens pas l’avoir vu et tu ne donnes pas très envie du revoir. En un sens tant mieux il y a tant de films à voir et à revoir.
Je suis inconditionnelle de Louis Jouvet par contre le jeu de Von Stroheim ne ma jamais atteinte.
Connais tu ce film oú Jouvet est à une table de restaurant ou de cabaret face à une femme. Ils ne peuvent absolument pas montrer qu’ils s’aiment aux personnes qui les entourent… Et il lui fait alors une déclaration dingue sans bouger un cil ; je vous aime, je vous prends dans mes bras je vous couvre de baisers.
Je sais c’est peu comme indication mais j’avais tellement aimé et impossible de retrouver ce film. Tu as peut-être comme moi été marqué par ce film.
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Oui, ce n’est pas le film de Jouvet que je conseillerais en priorité. Sinon, concernant ta question, je ne vois pas à première vue de quel film la scène provient (Jouvet fait une telle déclaration dans La fin du jour, mais dans un cadre un peu différent), mais si je m’en souviens ou le découvre, je te fais signe !
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