Jeune femme de Léonor Serraille : itinéraire de Laetitia Dosch

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C’est peu dire que Jeune femme (2017) de Léonor Serraille repose tout entier sur le talent de son interprète, Laetitia Dosch. On ne voit qu’elle dans ce film-personnage qui retrace l’itinéraire dans Paris d’une jeune femme nomade et rétive aux conventions. Ce film plaisant se compose d’une suite de vignettes narratives racontant les mésaventures de Paula, une jeune femme de 31 ans qui sort d’une relation amoureuse lui ayant oté toute confiance en elle. Rien de très original a priori dans ce scénario d’une jeune femme à la dérive qui reprend pied peu à peu. Le récit part d’un point A (Paula désemparée que sa soif de liberté rend excessive – le mot « liberté » la fait précisément sortir de ses gonds) pour arriver à un point B (Paula requinquée, réconciliée, même avec sa mère, enfin prête à prendre sa soif de liberté par le bon bout). C’est Laetitia Dosch qui amène de l’imprévu dans ce récit, qui amène cette liberté dont il est question, laquelle n’est qu’un concept à défaut d’incarnation.

La caméra le sait et la regarde fascinée, interloquée même, comme dans cette scène au début où un interne en médecine est dépassé par cette tornade rousse. Léonor Serraille, dont c’est le premier film et qui a déjà ce mérite d’avoir trouvé l’interprète idéale, rend compte de cette fascination, et c’est un autre mérite, à travers sa caméra et son montage : regard-caméra, point qui saute, jump cuts, toute cette première scène est un festival Laetitia Dosch qui galvanise l’image, dont la forme est sinon modeste. Le film tient sur cette première impression, ce premier ton donné : on se demande ensuite, intrigué, quelle autre folie Paula va commettre et la caméra la suit comme une ombre, ne la lâchant pas d’une semelle. Tout le suspense qui suit, si l’on peut parler de suspense, va être de savoir si la caméra va pouvoir cerner Paula de manière apaisée, la filmer sans que son instabilité chronique ne brise le cadre de l’intérieur. Ce qui finit par advenir dans la dernière scène, où l’on voit enfin le visage de Paula filmé de face, devenu net et apaisé.

Paula possède comme les personnages de Modigliani des yeux vairons, un oeil très bleu, et un oeil très marron. C’est une belle idée de mise en scène. Ce regard littéralement bi-polaire figure sa spontanéïté explosive mais aussi sans doute sa psychologie : il y a l’oeil très bleu qui irradie vers l’extérieur, dont jaillit ces monologues péremptoires mais faussement assurés (qui sont bien écrits), et l’oeil très marron tourné vers l’intérieur qui traduit sa fragilité et son absence de confiance en soi (c’est pourquoi elle aime bien garder cette petite fille qu’elle aimerait parfois encore être), car cette jeune femme pleine de ressources se croit sotte à cause de son ancien compagnon qui l’a rabaissée pendant 10 ans. Pour que Paula soit heureuse, elle doit se libérer de son emprise, et il faut que ses deux yeux se réconcilient : pour cela, la caméra doit nous la montrer de face et apaisée après s’être habituée à elle.

Les limites du film sont celles de tout film qui se veut exclusivement un film-personnage, quoique cette forme narrative sied bien à l’itinéraire que Léonor Serraille entendait raconter. Tout est vu à travers les yeux de Paula et les autres personnages n’existent guère, à l’exception peut-être du vigile et d’une gynécologue dont on devine la fragilité dans une courte scène – d’ailleurs les quelques observations satiriques sur Paris viennent de Paula elle-même. Il est donc recommandé pour apprécier Jeune femme d’être sensible au charme singulier et explosif (je ne trouve pas d’autre mot) de Laetitia Dosch, une actrice rare dans le cinéma français d’aujourd’hui que l’on espère revoir souvent.

Strum

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4 commentaires pour Jeune femme de Léonor Serraille : itinéraire de Laetitia Dosch

  1. Muriel Hervé dit :

    Merci pour cette jolie critique bien écrite !

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  2. kawaikenji dit :

    Retour à l’horrible « nouvelle nouvelle vague » du début des années 90 et son lot de Lvovsky, Ferreira Barbosa, Desplechin et autre Kahn…

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