Dans Inspecteur Lavardin (1986), Claude Chabrol reprend un sujet qui lui est cher, et que l’on retrouve tout au long de sa filmographie : celui d’une justice personnelle venant se substituer à la justice défaillante. Dans Que la bête meure (1969), Chabrol racontait l’histoire d’un homme voulant tuer « un salaud » pour venger la mort de son fils. Inspecteur Lavardin est une sorte de variation ludique sur ce même thème à ceci près que cette fois, c’est un policier aux méthodes peu orthodoxes qui décide de prendre les choses en main. Comme souvent chez Chabrol, l’intrigue de surface, passablement embrouillée, a peu d’importance car « seule l’histoire derrière l’histoire » lui importe, mais on pourrait la résumer ainsi : l’inspecteur Jean Lavardin (Jean Poiret) arrive à Saint-Enogat en Bretagne pour enquêter sur le meurtre de Raoul Mons, un écrivain bigot dont la religiosité ostentatoire cachait une double vie ignoble. Il se trouve (une de ces coïncidences improbables prisées de Chabrol) qu’Hélène, la veuve du défunt, et son frère Claude (Jean-Claude Brialy) sont de vieilles connaissances de Lavardin, qui aima beaucoup la première. Invité à résider avec Hélène et Claude dans la maison cossue du défunt, Lavardin découvre derrière les armoires vernies et l’ordre affiché de la bonne société bourgeoise, un monde de réseaux et de trafics où les notables abusent des jeunes filles par l’entremise d’un gérant de boite de nuit, Max Charnet (Jean-Luc Bideau).
On pourrait sourire de cette description binaire et caricaturale de la bourgeoisie provinciale, vertueuse en surface et immorale en dessous. Mais Chabrol possédait ce sens de l’exagération qui fait les bons conteurs d’histoires et on peut l’imaginer écrire son récit sourire en coin et prompt aux sarcasmes, comme son héros Lavardin. Que l’on ne s’y trompe pas, cependant : derrière leurs deux visages débonnaires, celui du cinéaste et celui du personnage, se cachent des âmes de redresseur de torts, des justiciers ne se satisfaisant pas de la loi des tribunaux, ni de la morale de la société. Les vrais coupables, les vrais bourreaux, ne sont pas punis : c’était la leçon de Fritz Lang, que Chabrol a reprise à son compte en y ajoutant une dose d’ironie. Alors, Chabrol et Lavardin vont faire le travail eux-mêmes, Chabrol en faisant en sorte par le point de vue de sa mise en scène et un scénario aux révélations successives que son spectateur se place du côté du plus faible face au salaud, Lavardin en s’affranchissant des contraintes légales pour arrêter les salauds plutôt que les coupables. On peut ainsi interpréter la scène où Lavardin décroche le Christ du mur de sa chambre de deux manières : la première, s’inscrivant dans la tradition anticléricale française, verra dans ce geste amusant (d’ailleurs, on rit) le témoignage de l’exaspération d’un Lavandin ne supportant plus cette religion hypocrite qui sert de paravent dissimulant des comportements abjects. Mais il y en a une seconde, peut-être plus féconde : Lavardin confisque la figure d’un Christ absolvant les pêchés et les turpitudes pour se faire lui-même Dieu vengeur, renonçant à suivre la loi officielle des hommes pour suivre sa propre loi de justicier punissant les méchants et sauvant les bons. Un Dieu vengeur qui aime certes les bons mots et arbore le sourire narquois de Jean Poiret, ce qui en fait une version distrayante et bretonne de Monte Cristo.
A la photographie du film, on retrouve le fidèle Jean Rabier, qui par sa lumière d’un naturalisme terne et sentant le renfermé, donna si longtemps l’impression que la plupart des films de Chabrol se déroulaient peu ou prou au même endroit et à la même époque (alors même que 17 ans les séparent, Inspecteur Lavardin semble ainsi se dérouler peu de temps après Que la bête meure et en un lieu très proche). Comme souvent chez Chabrol, les visages sont filmés d’assez près, même si les cadrages, simplement composés, sont peu révélateurs et servent plutôt à dissimuler qu’autre chose. Quant à la distribution, elle contribue au charme du film, Poiret et Brialy formant un duo complice et plein de verve, tandis que Bideau affecte un faux sourire des plus efficaces. En revanche, Bernadette Lafont est moins bien servie par le récit et son personnage mélancolique et vivant dans le passé est un peu sacrifié pour les besoins de l’intrigue – d’ailleurs on peine à croire à cette ancienne passion censée avoir uni Lavardin et Hélène. Mais peut-être est-ce parce que leur amour date d’avant l’époque où Lavardin partit en croisade.
Strum
Bonsoir Strum
Vous êtes bon public et trés indulgent pour ce qui à mes yeux est très médiocre, tout comme le précédent Poulet au Vinaigre, deux films qui se rapprochent davantage du téléfilm à la FR3 que du cinéma. Et encore, il y a de bons téléfilms. Que la bête meure était quand même d’une autre trempe…
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Bonsoir Jean-Sylvain. Je suis indulgent certes, quoique je n’ai fait qu’évoquer le « charme » du film sans en rajouter, mais vous me paraissez un peu sévère. Que la bête meure est certes de loin un meilleur film (plus nerveux, plus rageur, plus sérieux, plus tragique, plus émouvant), ce que je me garderai bien de nier, mais ce qui m’a intéressé ici, c’est que nonobstant les bons mots de Lavardin, les deux films parlent en réalité de la même chose, c’est une variation sur un même thème, avec beaucoup de prolongements (y compris sur le plan de la mise en scène et de la photographie). C’est ce que je voulais mettre en valeur dans cette critique et c’est ce qui me fait penser que l’on n’a pas d’un côté un grand film et de l’autre un téléfilm à la FR3. Je n’ai pas vu Poulet au vinaigre qui est peut-être différent.
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Je suis sans doute un peu sévère et je lis toujours avec un grand plaisir vos analyses pertinentes et j’ai apprécié votre analyse thématique. Mais votre analyse est bien plus brillante que le film lui même.Car Bien que Chabrol ne filme pas avec la désinvolture je-m’en-foutiste d’un Mocky, sa mise en scène est trop souvent d’ une grande paresse, pour ne pas dire négligée. Sa photo est triste et d’une manière générale, je pense que Chabrol est un metteur en scène surestimé mais il est vrai que ma culture cinéphilique m’incline à davantage prendre en compte, et estimer, les films de Chabrol, entre autres, des années 60 et 70 que ceux des dernières décennies.
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Merci Jean-Sylvain. je pense que la photographie de ses films avec Rabier est triste parce que sa vision du monde est triste. Aussi, il ne croit pas aux apparances aussi se méfie-t-il de la belle image et des plans bien composés. Au final, ce n’est sans doute pas un grand cinéaste, mais à sa façon, c’est une sorte de « petit maitre » avec son univers singulier.
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J’aime beaucoup cet Inspecteur Lavardin-ci, Jean Poiret n’y étant pas pour qu’un peu. Je ne trouve pas que la réalisation de Chabrol soit molle ici, il soigne ses atmosphères, est particulièrement attentif aux relations sociales les plus discrètes et nous délecte de ses clins d’oeil à Hitchcock… Je rejoins donc la belle analyse de Strum sans hésiter ni défaillir !
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Merci Benjamin, sa réalisation est fonctionnelle à défaut d’être belle, et surtout il sait en effet créer une atmosphère, en tout cas dans ses meilleurs films.
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Bonsoir Strum, j’ai vu les deux : Poulet au vinaigre et Inspecteur Lavardin : j’ai autant aimé l’un que l’autre. C’est là que l’on que Poiret était un grand acteur : un régal. Même si cela ressemble plus à un téléfim qu’à un film. On peut le dire de beaucoup de films français ou d’autres nationalités. Bonne soirée.
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Bonsoir Dasola, Chabrol n’a jamais attaché beaucoup d’importance à la beauté des images et il s’en méfie même, mais de là à parler de téléfilm (dans le sens péjoratif habituellement prêté au terme), il y a un pas que je ne franchirais pas. Cela dit, la frontière entre film et téléfilm a toujours été ténue et l’est de plus en plus. Okja en est un bon exemple : difficile de parler de téléfilm (au sens péjoratif du terme) devant un film si spectaculaire. Bonne soirée également.
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