Hong Sang-soo s’était amusé avec bonheur dans Un jour avec, un jour sans à recommencer son récit au milieu du film. Yourself and yours (2016) est une nouvelle variation autour de l’idée du recommencement à ceci près que ce n’est cette fois pas le récit qui recommence mais Min-jung (Lee You-young), l’héroïne du film, qui veut vivre chaque rencontre comme un recommencement. C’est comme si le cinéaste du film précédent avait délégué à son personnage ses attributs de metteur en scène. Min-jung veut croire qu’en faisant mine d’oublier le passé, elle pourra ressusciter l’émerveillement des débuts dans une relation amoureuse.
Hong Sang-soo, plus cinéaste rohmerien que jamais, construit son film autour de ce personnage singulier, qu’il confronte à la réalité en tâchant de voir laquelle de celle-ci ou de Min-jung l’emportera (Rohmer procédait souvent ainsi). Au début du film, Min-jung se dispute avec son fiancé Young-soo (Kim Ju-hyuk). Croyant la rumeur, celui-ci l’accuse de trop boire et de fréquenter d’autres hommes au cours de ses beuveries. Elle prend prétexte de ce reproche pour le quitter, et le jeune homme n’a de cesse ensuite d’essayer de la retrouver tandis qu’elle-même fait une suite de rencontres avec d’anciens amants qu’elle feint de ne pas reconnaître en se faisant passer pour une autre.
Yourself and yours est moins un film sur le thème du double (Min-jung essaie de faire croire le contraire, mais elle n’a ni jumelle, ni double ; le personnage du cinéaste est à la rigueur le double du réalisateur) qu’une nouvelle exploration du thème de la rencontre et du recommencement cher à Hong Sang-soo. A la fois instable et obstinée, Min-jung est faussement innocente (elle prétend ne pas reconnaître) mais vraiment candide (elle croit consciemment ou non en une mystique du recommencement, lui demandant, comme dans les anciens mythes régis par un temps cyclique, de réenchanter le réel en le nourrissant à nouveau de la magie de la découverte). Peut-être aussi que recommencer pour elle, c’est s’imaginer être une autre, se donner à soi-même une seconde chance. Cette candeur du personnage rapproche encore un peu plus le film de Rohmer et ceux qui voudront croire à cette innocence proclamée (en vérité non pas réelle mais forcée par la volonté) aimeront beaucoup la chute du film qui impose par la fiction les vertus du recommencement. Il est vrai que la scène où les personnages s’obligent à croire chacun de leur côté qu’ils se rencontrent pour la première fois ne manque pas d’un charme naïf. Appartient aussi à un genre d’art naïf cette idée de mettre le pied de Young-soo dans un plâtre à partir du moment où la disparition de sa fiancée le désespère.
On peut préférer à Yourself and yours les films de Hong Sang-soo où l’idée du recommencement est exprimée non pas par les désirs des personnages mais au travers de la structure du récit, que celui-ci recommence en son milieu (Un jour avec, un jour sans) ou propose des variations de l’histoire principale (In Another country). Ce jeu autour du récit, aussi théorique que pratique, va d’ailleurs à l’encontre de l’affirmation selon laquelle le cinéaste n’attacherait aucune importance à la forme de ses films. Car bien qu’il filme chaque scène simplement et de manière identique, en plans fixes et simples, souvent deux personnages en train de boire (sans découpage à l’intérieur de la scène), l’attention qu’il porte à la construction du récit (recommencement, tentative, irruption du rêve ou d’autres images mentales dans la réalité) est une manière d’invention formelle (Comment raconter ?). Hong Sang-soo procéde avec ses films, presque tous courts et tournant autour de la possibilité du recommencement, de la même façon qu’un nouvelliste qui composerait un recueil de nouvelles : en explorant modestement mais avec obstination un thème unique et en se demandant à chaque fois quelle nouvelle structure (linéaire, alternative, réversible ?) il donnera à son récit. Aussi le spectateur se retrouve-t-il dans la situation d’un lecteur curieux découvrant chaque année un nouveau récit de ce recueil de nouvelles, à la fois toujours le même et toujours un peu différent.
Strum
Je ne te lis qu’en diagonale car j’ai envie de le voir sans trop en savoir auparavant. Hélas, toujours pas de date de sortie à l’horizon chez nous. Patience donc. D’ici là, je vais me rattraper avec « Un jour avec, un jour sans », pas encore vu à ce jour mais inscrit sur ma liste des films à voir depuis plusieurs mois. Je me rends compte que je connais finalement très mal ce réalisateur, à part In another country…
J’aimeJ’aime
Oui, Un jour avec, un jour sans est très sympa. Celui-ci m’a un peu moins plu malgré une presse dithyrambique. Hong Song-soo fait partie de ces cinéastes dont les films pris individuellement ne sont jamais géniaux mais qui pris dans leur ensemble finissent par distiller un charme certain.
J’aimeJ’aime
Moins aimé, comme toi, que son précédent film Un jour avec un jour sans. Je n’en suis pas moins sorti avec le cœur joyeux grâce à la fin magnifique, tout en grâce et naïveté, des débuts recommencés du couple principal. Rien que pour cette scène, j’ai hâte de le revoir. Sans compter qu’en plus, je trouve les films de Hong plus riches à la revoyure : j’ai revu dernièrement une nouvelle fois Un jour avec un jour sans ainsi que Oki’s movie, que j’avais trouvé sympa mais sans plus (comme pas mal de films de Hong je l’avoue), mais qui m’a davantage touché à la revoyure.
Deux autres films de Hong sont (déjà) à venir : On the Beach alone at night (avec l’actrice Kim Min-hee qui tenait déjà le rôle principal d’Un jour avec un jour sans) et un projet avec Isabelle Huppert intitulé pour le moment La Caméra de Claire.
Pour la rubrique people, j’ai été étonné d’apprendre dernièrement que l’actrice Kim Min-hee aurait eu (et aurait toujours) une liaison avec le réalisateur depuis le tournage d’Un jour avec un jour sans. Mais j’ai été encore plus étonné en découvrant sur les sites anglais qui relayaient cette information les réactions virulentes et imbéciles de certains internautes qui dénonçaient cette liaison (Hong étant marié, avec une fille) et se permettaient de surcroît de jeter l’anathème pour cause d’immoralité sur sa production artistique. Les mœurs ont décidément du mal à évoluer, sans compter qu’il n’appartient à personne de juger ce genre d’affaires privées…
Au contraire, je trouve que cette information autobiographique, si elle est pleinement avérée, ajoute une dimension émouvante supplémentaire à ce film sur un réalisateur marié qui tombe amoureux d’une femme avec qui il ne peut s’engager.
J’aimeJ’aime
Merci K pour cette anecdote, qui me fait penser à ce proverbe : les chiens aboient, la caravane passe. Internet permet au premier crétin venu de critiquer un artiste pour des raisons qui n’ont rien à voir avec son art. Hong Song-soo n’est certes pas le premier réalisateur à avoir une liaison avec une de ses actrices (chez certains, c’est même la norme) et on peut en tout cas dire qu’il a bon goût. 🙂 Et puis, je suis d’accord avec toi, cela fait écho à Un jour avec un jour sans de manière singulière. Hâte de voir ses prochains films en tout cas.
J’aimeJ’aime
Ping : Le jour d’après de Hong Sang-soo : conte moral | Newstrum – Notes sur le cinéma
Ping : Seule sur la plage la nuit de Hong Sang-soo : et si… | Newstrum – Notes sur le cinéma