Il y a un moment dans L’Agent (1960) de Luigi Zampa où la satire comique propre au genre de la comédie à l’italienne cède la place à un ton plus direct de moraliste désabusé. Jusque-là, le film racontait les mésaventures d’Otello Celletti (Alberto Sordi), un bon-à-rien nommé agent de police d’une petit ville du Latium grâce à un fils débrouillard ayant sauvé le fils du maire de la noyade. Otello est un de ces crétins vaniteux que Sordi jouait à merveille et dont tous les travers sont résumés dans la scène d’introduction : au chômage, on le voit parader en robe de chambre dans la ville en prodiguant les pires conseils aux actifs. Une fois en poste, le pistonné s’esbaudit de son uniforme pourtant ridicule et provoque un immense embouteillage par sa bétise et ses interventions intempestives. Malgré l’abattage de Sordi et ses réjouissantes confrontations avec de Sica qui joue un maire mielleux et gominé, cette première partie du film est un peu décevante par rapport au potentiel comique de la situation. Peut-être parce que Zampa ne possède pas la verve comique de Monicelli ni la vivacité de son découpage, plus sûrement faute de gags inspirés, il ne parvient pas à tirer de Sordi l’intégralité de sa puissance comique (qui rendait Un héros de notre temps (1955) si hilarant) ni tout à fait sa capacité à camper un homme d’une lâcheté ordinaire (qui rendait La Grande Guerre (1959) si émouvant).
C’est lorsque le film prend une tournure franchement politique qu’il devient plus grinçant et convaincant. Sonego, au scénario, en donne l’occasion à Zampa : Otello se retrouve à contrôler le maire pour excès de vitesse alors que celui-ci rend visite à sa maîtresse. Comme il vient d’être rappelé à l’ordre pour avoir omis de verbaliser une actrice sans permis, Otello s’imagine candidement que l’on met à l’épreuve sa conscience professionnelle. Sa bétise n’ayant pas de borne, il va jusqu’à poursuivre le maire récalcitrant dans la maison de sa maîtresse. Les résultats de cet excès de zèle ne se font pas attendre : Otello est mis à pied, et selon un engrenage dont Sonego a le secret, devient la figure de proue d’un parti monarchiste qui dénonce la corruption généralisée du système, cependant que se prépare le procès qui l’opposera au maire.
Cette seconde partie donne lieu à une scène formidable où, en marge d’une soirée, Otello est pris à parti par le maire et ses adjoints qui le somment de revenir sur ses accusations (et de ne pas en émettre de nouvelles plus compromettantes sur des marchés public achetés) sous peine de voir révéler sur la place publique certains secrets enfouis de sa famille. La séquence vaut en particulier pour les roulements d’yeux ahuris de Sordi dont on ne sait s’ils témoignent de la peur qui le saisit devant sa propre audace ou de son effarement devant les méthodes de ces maitres-chanteurs. Le découpage de Zampa y est plus vif et précis qu’au début : il s’avère meilleur cinéaste moraliste que cinéaste comique, peut-être sous le coup d’une indignation intérieure. Il donne corps à l’idée que les petites gens honnêtes (car Otello est bête mais honnête à sa façon, vantard et filou mais trop bête pour être réellement malhonnête) ne peuvent rien contre les puissants corrompus (car dans ce film, tous les riches sont corrompus) selon une morale que n’aurait pas renié le La Fontaine des Animaux malades de la peste. Ainsi, ce film qui commençait comme une aimable comédie finit en règlement de compte politique impuissant et amer, malgré les sourires d’un Otello finalement soulagé d’avoir échappé à cet emploi de héros que les circonstances lui avaient offert. Mieux vaut rester crétin pour éviter les ennuis, un rôle pour lequel Sordi était taillé.
Strum
Qu’est-ce que j’aimerais le voir? Je n’ai vu de Zampa que Les années difficiles.
J’aimeJ’aime
Mon premier Zampa. Pas un grand film à mon avis, mais ça reste bien et c’est du Sordi grande période. Tu peux trouver le film dans le coffret spécial Sordi l’Albertone chez Tamasa, avec notamment Une vie difficile (le chef-d’oeuvre de Risi) et L’Argent de la vieille ; un très bon rapport qualité prix ce coffret.
J’aimeJ’aime
Merci. Mais le problème est que j’ai déjà et Une vie difficile et L’argent de la vieille, tous deux formidables. Les années difficiles est un bon film assez ancien avant l’arrivée des Cinq Colonels.
J’aimeJ’aime
C’est effectivement le problème de ce genre de coffret. J’avais déja vu Une vie difficile et l’Argent de la vieille, mais j’ai acquis le coffret pour découvrir L’Agent, mais aussi Mafioso de Lattuada et Détenu en attente de jugement de Nanni Loy que je n’ai pas vus.
J’aimeJ’aime
Bonsoir
Ai prévu de le voir à la cinémathèque de Nice ce mois-ci. Vu Une vie difficile de Risi en décembre. Vrai chef d’oeuvre, en effet.
J’aimeJ’aime
Bonsoir Jean-Sylvain. Bonne séance, cet Agent reste un film à voir. Une Vie difficile, oui chef-d’oeuvre de la comédie à l’italienne, que je ne manquerai pas de chroniquer un jour.
J’aimeJ’aime
bonsoir Strum,
Je viens de voir l’Agent qui est, en effet, une trés bonne comédie italienne et avec un glissement de ton et de genre dés que Sordi verbalise le maire…Oui,Zampa est sans doute plus vif et percutant dans la seconde partie où il dénonce la corruption généralisée mais je vous trouve sévère avec la première partie.Elle décrit bien ce Otello, incapable, vaniteux et imbu de lui-même qui n’est pas du tout sympathique. Il est même insupportable.
Car ce personnage, du peuple, lui aussi, profite du système tout comme son beau-frère boucher. Finalement, dans toutes les classes sociales, on s’arrange et on prend des libertés avec la loi. Et au final, il suffit de fermer les yeux pour vivre sans histoires. La loi est la même pour tous, non bien sur, et la femme d’Otello dit à son fils à s’habituer très tôt à l’injustice. Elle aurait du ajouter et à ceux qui ont le pouvoir. On ne peut pas dire non à celui qui commande comme dit un des personnages du film.Ce que Sordi, minable marionnette ne comprend vraiment que lorsque sont en jeu sa survie, ses intérêts et ceux de ses proches.
Ce n’est certes pas un grand film au point de vue mise en scène, Zampa n’est ni Risi ou Monicelli, mais je trouve le film très réussi et grinçant. La critique est cinglante et vaut bien L’argent de la Vieille par exemple. C’est une heureuse découverte et Sordi est épatant, bien sur..
J’aimeJ’aime
Bonsoir Jean-Sylvain, D’accord avec votre analyse, Otello n’est nullement sympathique et la critique est cinglante contre cette société des petits arrangements. Je crois que je suis un peu sévère avec la première partie car j’en trouve les gags assez pauvrement conçus et exécutés malgré le potentiel comique des situations (Zampa n’est pas un grand cinéaste comique) et j’avais vu peu avant Un héros de notre temps, où Monicelli tire meilleur parti du potentiel comique de Sordi. Content que le film vous ait plus en tout cas.
J’aimeJ’aime
merci de votre réponse.
Je vais essayer de voir Un héros de notre temps…
J’aimeJ’aime