Appelez Nord 777 de Henry Hathaway : journalisme d’investigation et vertus de la technique

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Ce n’est pas le moindre intérêt d’Appelez Nord 777 (1948) de Henry Hathaway que de montrer une prison d’Etat (de l’Illinois) construite sur le modèle du panoptique de Jeremy Bentham, cette prison circulaire avec une tour centrale que décrit Foucault dans Surveiller et Punir (1975) et dont il fait le symbole d’une société carcérale ; ou encore le détecteur de mensonge de Leonard Keeler (lequel joue son propre rôle), que le film présente comme infaillible, et dont les résultats furent admissibles devant les tribunaux américains jusqu’à un arrêt de la Cour Suprême de 1988 ; sans oublier une séquence s’articulant autour d’un bélinographe, cet appareil pouvant transmettre des photographies à distance, prodige technique à l’époque. Si l’on ajoute qu’Appelez Nord 777 s’inspire d’une histoire vraie (la condamnation à perpétuité de Joseph Majczek et Theodore Marcinkiewicz en 1932 pour le meurtre d’un policier dont ils étaient innocents et la campagne de presse du Chicago Times pour les faire libérer douze ans plus tard) et fut tourné sur les lieux mêmes du fait divers qu’il adapte, on comprendra que l’on est en face d’un de ces films pédagogiques et presque semi-documentaires, positivistes et chantant a priori les louanges de l’Amérique, dont Hollywood avait le secret.

Résumé ainsi, Appelez Nord 777 apparaitra peut-être au lecteur comme un film d’un autre âge, trop optimiste, trop plein d’une confiance inébranlable dans le progrès technique pour être honnête (paradoxe de notre époque : la technique est regardée avec défiance mais toujours plus de personnes y sont volontairement asservies). Et pourtant, magie du cinéma, ou plutôt (restons dans le domaine de la technique) effet du découpage rigoureux et efficace d’Hathaway, que ce film est plaisant à regarder (si l’on excepte une voix off parfois redondante) !, parvenant à faire d’une scène aussi documentée que celle du détecteur de mensonges avec Leonard Keeler un pur moment de suspense, grâce à des idées simples mais pertinentes (Frank Wiecek averti par un co-détenu que l’appareil n’est pas fiable, ce qui suscite l’appréhension), des inserts de gros plans évocateurs (la main agitée de Wiecek) et une organisation de l’espace faisant du spectateur le double témoin de la scène, puisqu’il l’observe aussi par procuration, à travers le personnage de P.J. McNeal qui regarde l’interrogatoire à l’extérieur de la pièce.

Avec habileté, le scénario présente McNeal (James Stewart) comme un journaliste réticent, convaincu au départ de la culpabilité de Wiecek, tandis que Kelly (Lee J. Cobb), son rédacteur en chef, se montre plus empressé à venir au secours du polonais innocent. La finesse de jeu de James Stewart, son oeil candide, ses hésitations et ses « now, wait a minute! » trainants et nasillards, comme sa capacité à incarner la droiture, rendent crédible l’évolution progressive de NcNeal, qui de journaliste cynique parlant tirages devient journaliste d’investigation travaillant à faire triompher la vérité. Faire de McNeal un personnage initialement récalcitrant le rend plus humain, et nous épargne un film tout d’un bloc mené par un héros paré de toutes les vertus, tout en mettant en valeur l’héroïne cachée du film : le beau personnage de la mère de Wiecez qui fait des ménages depuis onze ans pour économiser l’argent pouvant servir à prouver l’innocence de son fils. Le duo de Stewart avec l’excellent Lee J. Cobb, au jeu tout aussi fin mais plus rentré, plus circulaire dans ses approches, est un autre attrait de ce film, qui sans ces petits détails de jeu et d’écriture typiques du cinéma hollywoodien classique, aurait couru le risque de ployer sous un excès de bons sentiments. Quant à Richard Conte, il donne à Wiecek le visage de marbre et l’oeil noir de l’homme condamné par erreur et qui se sait innocent envers et contre tout.

On remarque enfin un bel usage des ombres, des ombres diffuses, dans les scènes de nuit du film, en particulier celles se déroulant dans le quartier polonais de Chicago. Rien d’étonnant à cela : c’est le grand chef-opérateur Joseph MacDonald qui supervise les lumières du film, qui deux ans plus tôt avait signé la superbe photographie de My Darling Clementine (La Poursuite infernale) (1946) de John Ford et s’apprêtait à éclairer La Ville Abandonnée de Wellman (1948). Ces ombres fort peu innocentes dissimulent un secret qui incite à nuancer quelque peu notre jugement initial sur l’optimisme inébranlable du film : l’identité du véritable meurtrier ne sera jamais découverte, ni révélée la machination ayant conduit Wiecek en prison à sa place. Il y a beau y avoir un panoptique dans ce film, il ne révèle pas tout.

Hollywood a souvent représenté la presse sous un angle flatteur, comme un lieu de contre-pouvoir, mais alors que des films aussi différents que La femme du vendredi (1940) de Hawks ou L’homme de la rue (1941) de Capra faisaient d’un journal le cadre ou le prétexte de leur intrigue, Appelez Nord 777 fait du journalisme d’investigation le centre et le sujet du récit, ouvrant la voie à une lignée de films idéalisant la figure du journaliste d’investigation, où s’inscrit notamment Les Hommes du président (1976) de Pakula, et ses images là aussi ornées d’ombre (signées du « prince des ombres » Gordon Willis), ou le récent Spotlight (2015) de Tom McCarthy (où cette fois les ombres sont oubliées, simplification oblige). Quant à Hathaway, il aura de nouveau recours à une approche sèche et par instant semi-documentaire, avec un même bonheur mais dans le domaine du western cette fois, lorsqu’il réalisera L’Attaque de la malle-poste (1951) trois ans plus tard.

Strum

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9 commentaires pour Appelez Nord 777 de Henry Hathaway : journalisme d’investigation et vertus de la technique

  1. Tobac james dit :

    bonjour. belle analyse d’un des derniers Hathaway que j’ai vu. J’adore ce réalisateur qui a signé de très grandes réussites du western (l’attaque de la Malle-poste, oui, mais aussi la Fureur des hommes et le jardin du Diable) et quelques joyaux du polar (ceux auxquels vous pensez), genre auquel il a insufflé une énergie documentaire du meilleur effet. Et n’oublions pas Niagara…A partir de 1960, sa filmographie s’essouffle, l’époque a changé et le cinéma hollywoodien ne sait plus trop quoi faire de ses vétérans. Sauvons peut-être True Grit dans ses derniers films…

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    • Strum dit :

      Bonjour, oui, un excellent cinéaste auteur de plusieurs classiques et qui n’a probablement pas la reconnaissance critique qu’il mérite. Effectivement, ses derniers films ne sont pas au niveau du reste de sa carrière, même si comme vous j’aime bien True Grit (ce qui n’est pas le cas de tout le monde, loin s’en faut).

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  2. princecranoir dit :

    Excellent ce « call northside 777 », parfaitement décortiqué ci-dessus. La mise en scène d’Hathaway s’y montre experte et, effectivement, proche d’un style documentaire qui faisait déjà florès dans une veine plus propagandiste mais hautement efficace avec « la maison de la 92ème rue ». Puisque tu y vas en prolongements cinéphiles, ici c’est un peu pour moi « Jugé coupable » contre « J. Edgar », avec un Jimmy Stewart autrement plus sympathique que cette trogne taciturne d’Eastwood. La mention dans le dossier « Call Northside 777 » pourrait bien aussi renvoyer au très récent « call Jack Reacher » dans le film de McQuarrie (et plus sûrement le « One shot » original de Lee Child), l’homme d’action en moins, la technologie en plus.

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  4. J.R. dit :

    Les 3 Lanciers du Bengale (The Lives of a Bengal Lancer)
    La Maison de la 92e rue
    13, Rue Madeleine
    Appelez Nord 777
    14 heures
    À 23 pas du mystère
    Les 7 voleurs
    Les 4 fils du Katie Elder (The Sons of Katie Elder)
    5 Cartes à abattre
    100 dollars pour un shérif (True Grit)
    Le 5e commando (Raid on Rommel)

    Je suis assez fier de ma découverte : Henry Hathaway, au moins dans la version française de ses titres, est un grand réalisateur de films à numéro. Il fallait que ce soit dit!

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  5. Ping : Quatorze heures de Henry Hathaway : au bord du vide | Newstrum – Notes sur le cinéma

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